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Regard critique · Justice sociale

Nouveau phénomène migratoire belge vers Istanbul ?

De plus en plus de jeunes belges d’origine turque retourneraient définitivement vivre et travailler dans le pays de leurs parents ou de leurs grands parents.

29-08-2011 Alter Échos n° 320

De plus en plus de jeunes belges d’origine turque retourneraient définitivement vivre et travailler dans le pays de leurs parents ou de leurs grands parents.

Nourri par l’essor économique et diplomatique du pays, ce nouveau phénomène migratoire qualifié de « retour » ou « migrationà l’envers »1 est-il en marche au sein de la diaspora turque installée depuis près d’un demi-siècle dans les pays de l’Unioneuropéenne ? La question semble d’actualité aussi bien pour les jeunes diplômés de la communauté turque de Belgique que pour les chercheurs qui tententd’objectiver les hypothèses.

En Allemagne, près de 40 000 citoyens d’origine turque ont quitté le pays en 2010 pour s’installer en Turquie provoquant ainsi un renversement du solde migratoireturc (le nombre de Turcs quittant l’Allemagne dépasse dorénavant le nombre de Turcs s’installant en Allemagne). Le professeur Faruk Sen de l’institut TAVAK fournit desstatistiques encore plus impressionnantes sur le phénomène du retour relatif aux « Germano-Turcs » : 100 000 d’entre eux en 2008, 105 000 en 2009 et 120 000en 2010 ont quitté l’Allemagne pour s’installer en Turquie. Aux Pays-Bas, cette tendance concernerait un millier de personnes tandis qu’en Belgique le phénomèneest encore difficilement quantifiable même si le nombre de personnes déclarant une volonté de partir serait beaucoup plus important que ceux qui franchissent effectivement cepas.

« Je me demande si c’est la bonne décision ou si je ne devrais pas plutôt changer d’avis, mais je pense que je suis maintenant arrivé au bout [de maréflexion], il faut absolument que je me lance », explique Asena Eken, trente ans, dans un reportage du journaliste Stefaan Meerbergen diffusé sur Canvas (VRT). Née etéduquée en Belgique, Asena a donc décidé de quitter définitivement Bruxelles cet été 2011 pour faire sa vie définitivement à Istanbul.Sa principale motivation ? Croissance économique et possibilités d’emploi : « La Turquie est en croissance et il y a beaucoup d’opportunités.J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup d’entreprises étrangères qui s’installaient aussi là-bas, c’est aussi une des raisons quim’incitent à m’y installer pour trouver peut-être plus facilement un job. Je resterai toujours en relation avec l’Europe et la Belgique, mais je travaillerai enTurquie. » Asena n’est pas la seule à se sentir attirée, d’autres jeunes belges diplômés d’origine turque rêvent de faire carrièreau sein d’une grande entreprise basée dans la capitale économique et culturelle de la Turquie.

Croissance économique

L’une des raisons qui expliquent cette attraction est effectivement la bonne forme de l’économie turque avec une croissance de 8,2 % du produit national brut (PNB) en 2010,un taux qui place la Turquie en tête des pays émergents derrière la Chine (10,3 %) et l’Inde (10,4 %), mais devant le Brésil (7,5 %). Le dynamismeéconomique, la stabilité politique et l’affirmation croissante de la Turquie sur la scène diplomatique en tant que superpuissance régionale plaident en faveur del’attractivité du pays.

Le sociologue flamand Patrick Deboosere (VUB) qui analyse depuis longtemps les mouvements démographiques en Belgique reste prudent en matière de statistiques : « Pourobjectiver le phénomène, il faudrait pouvoir analyser les chiffres du registre national, mais ce n’est pas possible en Belgique étant donné qu’environ troisquarts des personnes d’origine turque vivant dans le pays ont acquis la nationalité belge. Mais même lorsqu’on analyse les mouvements des personnes ne possédant que lanationalité turque, on constate effectivement la présence d’un mouvement de retour qui touche quelques centaines de cas individuels. Depuis la fermeture des charbonnages dans leLimbourg, des personnes décident de retourner vivre dans leur pays d’origine, mais l’élément nouveau aujourd’hui consiste à observer le départ dejeunes turcs nés et éduqués en Belgique vers la mégapole d’Istanbul. Ce qui est assez logique puisque plus on fait d’études, plus on maîtrise deslangues et des connaissances, plus le marché de l’emploi s’agrandit pour un jeune, mais il faudrait mener des recherches précises pour quantifier cephénomène », explique le Pr Deboosere.

Identification culturelle

Le facteur économique n’est pas le seul élément qui pousse les jeunes diplômés à s’installer en Turquie. « La migration àl’envers peut être considérée comme un élément positif pour la Turquie puisqu’elle profite de la fuite des cerveaux formés en Europe. Cephénomène du retour était constamment présent dans la tête des migrants de la première génération, mais aujourd’hui ce sont leurs enfants,c’est-à-dire la deuxième et la troisième générations, qui pensent émigrer suite au manque de motivation et d’identification à lasociété d’accueil européenne », explique le chercheur Gürkan Celik dans le quotidien turc Zaman. Pour lui, au-delà du facteur économique,c’est « le facteur d’identification ethnique et culturelle » qui explique cette volonté de s’installer en Turquie. « Les Turcsd’Europe se considèrent davantage comme des personnes appartenant à la Turquie et à la culture turque qu’à la culture du lieu où ils habitent. Cesentiment est renforcé par l’émergence de mouvements populistes de droite qui stigmatisent les populations d’origine étrangère. »

Si la tendance se confirme et s’amplifie rapidement au sein de la diaspora turque, l’effet risque d’être négatif sur le problème d’intégrationdes populations turques en Europe étant donné que le départ de tous les « cerveaux » laisse généralement le champ vide aux autres.

Plus de 120 000 c.v.

SecretCV, un site spécialisé dans les ressources humaines, annonce que 120 594 demandeurs d’emploi d’origine étrangère ont publié leur curriculumvitae pour trouver un job en Turquie. D’après ce site fondé en 2000, ce sont principalement des Turcs d’Europe et d’Amérique qui s’enregistrent en nombredans l’espoir de décrocher du travail au sein des multinationales installées en Turquie.

1. Tersine Göç (migration à l’envers), un documentaire filmé sur les jeunes qui déciden
t de partir s’installer en Turquie, produit etréalisé par Fikret Aydemir d’ARDA Productions – tél. : 02 215 64 25

Mehmet Koksal

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