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Regard critique · Justice sociale

Microcrédit en Belgique : la croisée des chemins ?

Le petit monde belge du microcrédit va connaître de grands changements dans les semaines à venir. L’occasion de faire un état des lieux.

22-02-2011 Alter Échos n° 310

Le petit monde belge du microcrédit va connaître de grands changements dans les semaines à venir. L’arrivée en Belgique d’un projet porté par l’associationfrançaise Adie1 et de BNP Paribas Fortis – sous l’enseigne « Microstart » – est en effet prévue pour la fin du mois de février. Etl’offre actuelle de microcrédit, développée par le Crédal2 côté francophone, est remise en cause par le Fonds de participation, partenaire majeurde la formule de prêt solidaire. Critiqué par certains, encensé par d’autres, le microcrédit est à la croisée des chemins.

« Le microcrédit est une des rares innovations sociales dont on parle et qui vient du Sud. » Cette phrase, lâchée par Marek Hudon, professeur à laSolvay Brussels School of Economics and Management3 et co-directeur du Cermi4 (Center for European Research in Microfinance), illustre parfaitement la situation dans laquelle setrouve ce service de la microfinance qui, depuis quelques années, semble s’être transformé en véritable « hype » économique. Dans ce qu’onappelle communément « le Sud » (principalement l’Inde et le Bangladesh, mais aussi l’Afrique et l’Amérique du Sud), le microcrédit est en effet devenuénorme, au point de susciter de plus en plus de questions quant aux dérives possibles de cette situation. Taux de remboursement exorbitants dans certains cas (on parle de 70 %à 80 % pour certains opérateurs au Mexique), commercialisation accrue du système, crédits accordés sans vérification de la solvabilité desdemandeurs ou encore surendettement sont ainsi régulièrement cités au rayon des dégâts collatéraux d’un système pourtant présenté commeune solution positive face à la problématique de l’exclusion financière (voir Alter Echos n° 226 du 30 mars 2007 : « Heureux les pauvres, le marché s’offre à eux »).

Et en Belgique, dans quelle situation se trouve-t-on ? S’il n’existait jusqu’ici qu’une seule offre de microcrédit proposée par le duo Crédal/Fondation Dexia depuis 2000, unnouvel acteur vient de faire son apparition : BNP Paribas Fortis et l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), avec le soutien du Fonds européend’investissement, déjà actifs ensemble sur le marché français, vont en effet bientôt lancer Microstart. Un événement matérialisé par unepremière agence qui devait s’ouvrir le 28 février place Bethléem à Saint-Gilles, suivie par l’installation d’une autre antenne bruxelloise, àSaint-Josse-ten-Noode.

Le crédit : la meilleure et la pire des choses ?

Néanmoins, à parler de microcrédit au Sud et au Nord, il convient de prendre certaines précautions d’usage. Si le prix Nobel de la paix reçu par Mohammad Yunus(économiste et entrepreneur bangladais connu pour avoir fondé la première institution de microcrédit, la Grameen Bank) en 2006 semble avoir eu une influence sur lanotoriété de ce type de produit sur notre territoire (le nombre de microcrédits octroyés en Belgique par Crédal et Dexia a connu un pic significatif en 2007), ilsemble cependant malaisé d’effectuer une comparaison entre ce qu’on appelle le microcrédit dans « le Sud » et au sein du plat pays.

Si le principe est bien sûr le même (il s’agit de prêter une petite somme d’argent à des personnes ne pouvant bénéficier de prêts bancaires ditsclassiques afin de leur permettre, notamment, de se lancer dans un petit entrepreneuriat), on semble pour le reste évoluer dans deux mondes différents. « Parler d’un secteurde la microfinance au niveau mondial serait « misleading », explique Marek Hudon. Il s’agit de contextes très différents, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la taille des institutions,qui n’ont rien à voir. Dans le Sud, c’est beaucoup plus grand. En Europe, il existe un filet de sécurité sociale qui permet souvent de ne pas tomber dans un entrepreneuriatsocial forcé alors que dans le sud, il y a beaucoup d’entrepreneurs, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’alternatives. A titre d’exemple, au Congo, l’exclusion financière est de98 %, c’est dire les différences d’échelle. Autre chose : dans le Sud, on assiste à une sorte de pression à la commercialisation, avec le retrait desbailleurs, comme la Banque mondiale. En Belgique, a contrario, il n’y a pas grand monde pour dire qu’il est possible de faire de la microfinance sans subventionnement. On considère d’ailleursce secteur comme une partie prenante de l’économie sociale. »

Et effectivement, si l’on prend en considération l’offre de microcrédit de Crédal/Fondation Dexia, celle-ci se voit soutenue par la Région wallonne, la Région deBruxelles-Capitale et le Fonds social européen (FSE) pour ce qui concerne l’accompagnement des personnes ayant fait leur demande de crédit. Un accompagnement qui se révèleprimordial si l’on en croit Bernard Horenbeek, directeur général de Crédal. « Nous défendons l’idée d’un microcrédit solidaire, éthique,qui soit un outil de développement, de lutte contre l’endettement. Cela dit, attention, le crédit peut-être la meilleure mais aussi la pire des choses. Pour que cela se passebien, il faut notamment que les contractants soient bien conscients de ce que représente un crédit dans un ménage. Il faut que celui-ci soit quelque chose deréfléchi, de pensé. Pour cela l’accompagnement est important. »

« L’important n’est pas de donner le crédit »

On le voit, la « pression à la commercialisation » en Belgique semble inexistante, si l’on en croit Bernard Horenbeek. Pas question ici d’accorder un crédità n’importe quel prix et à des taux trop élevés. « Nous accordons deux types de microcrédit : il y a premièrement le microcrédit“personnel” (microcrédit social accompagné, sorte de crédit à la consommation), d’un montant maximum de 10 000 euros et pour lequel nous nous centrons sur lebudget du ménage. Enfin, deuxièmement, nous proposons également le microcrédit “professionnel”, d’un montant maximum de 12 500 euros (microcrédit auxindépendants, pour financer un projet) pour lequel il y a introduction d’un dossier construit autour d’un projet et d’un porteur. Le taux de remboursement que nous fixons est de 5 %.Quant aux demandes de crédit, seules 15 à 20 % d’entre elles sont acceptées. »

Composé pour une bonne partie d’allocataires sociaux ou d’isolés avec charge de famille, les demandeurs d’un crédit chez Crédal se voient doncrégulièrement opposer un refus.
Une situation qui n’est pas forcément mauvaise, même si les alternatives ne sont pas légion. « Il ne faut pas voir lerefus comme quelque chose de négatif, explique Sybille Mertens, professeure à la HEC-ULG5 et titulaire de la Chaire Cera en Social entrepreneurship. Les projetsrefusés sont des projets qui n’auraient pas été viables et qui auraient mis les contractants en difficulté… En ce qui concerne les alternatives au microcrédit,pour les crédits personnels, il n’existe pas grand-chose d’autre mis à part les facilités offertes par les opérateurs commerciaux. Pour ce qui concerne le créditprofessionnel, il existe la solidarité intra-familiale, mais cela semble également assez compliqué, car il y a de fortes chances que les parents d’une personne fragiliséesur le plan économique le soient aussi. » Il convient également de noter que Crédal réoriente les personnes refusées vers des services demédiation de dettes ou des structures d’accompagnement à la création d’entreprise. « L’important n’est pas de donner le crédit, si ça ne marche pas,nous faisons de la réorientation, précise Bernard Horenbeek. Nous devons en fait évaluer si le crédit est la bonne réponse à la situation de la personne, ilfaut être clair. A titre d’exemple, durant la crise de 2009, nous avons été contactés par de plus en plus de gens qui ont essayé de monter un projet pour apurerleurs dettes. C’est une option catastrophique ! »

Dans ce contexte assez exigeant, il n’est pas étonnant de constater que les taux de remboursement semblent relativement satisfaisants, même si Bernard Horenbeek ne se dit pas enmesure de fournir des chiffres précis. « Pour le microcrédit personnel, le « taux de sinistre » est très faible. Le microcréditprofessionnel est quant à lui plus risqué puisqu’il dépend aussi d’enjeux économiques. On ne peut pas tout prévoir, cela devient un pari », note-t-il avantd’ajouter : « Il ne s’agit de toute façon pas de faire du bénéfice. Nous perdons plus d’argent que nous n’en gagnons… »

Un marché trop exigu ?

A ce manque de « rentabilité » du secteur belge pourrait, selon certains, venir s’ajouter une autre « tare » propre à notremarché : son exiguïté. Il faut en effet dire que depuis la création des microcrédits professionnels en 2000 par Crédal, 472 d’entre eux avaient ainsiété accordés au 31/12/2009. Pour ce qui concerne les microcrédits personnels, ils se montaient, depuis 2003 (date de leur création), à 1 117.

Des chiffres assez peu élevés, mais qui demandent cependant à être nuancés. « Pour envisager cette problématique, il faut se poser une question,précise Marek Hudon. Le marché du microcrédit est-il un marché des “exclus” ou bien un marché du micro entrepreneur qui ne trouve pas de financement ?Si on accepte la première hypothèse, le marché pourrait être beaucoup plus grand que ce qu’on pense. Si on prend la deuxième hypothèse enconsidération, c’est plus compliqué car lié à une dynamique plus large. On sait en effet que l’entrepreneuriat en Belgique pourrait être plus développési on le stimulait, ce qui pourrait également faire croître ce type de public pour le microcrédit. »

Pour Jean-Pierre Remacle, directeur général du Fonds de participation6, partenaire privilégié du Crédal, le microcrédit sous la formule desprêts solidaires souffre de plusieurs grands écueils : un volume de candidats limité, des dossiers peu viables et un accompagnement coûteux. La formule du prêtsolidaire est donc en train d’être évaluée et des discussions sont en cours avec les opérateurs de ces prêts – le Crédal côté francophone etHefboom côté flamand – pour en envisager l’avenir éventuel. Il est clair que la phase d’évaluation actuelle pourrait mener à la suppression des prêtssolidaires, au sein du Fonds de participation en tout cas.

La méthode des puits

C’est pourtant dans ce contexte de remise en question du microcrédit en Belgique que l’Adie et BNP Paribas Fortis, soutenus par le Fonds européen d’investissement, ouvrent leurpremier guichet Microstart. Un événement qui pourrait ne pas manquer d’interpeller si l’on veut bien se rappeler que ce type d’entreprise, d’après Bernard Horenbeek, ne semblepas très rentable. Quel est donc l’intérêt, pour des banques comme Dexia ou BNP Paribas, de s’associer à ce genre d’initiatives ? S’agirait-il ici d’une sorte de« greenwashing » économique ?

« Je pense qu’il est clair qu’on peut dire que BNP ou Dexia n’attendaient pas de mettre en place un système de microcrédit depuis trente ans, analyse Marek Hudon. Mais ily a un changement en train de s’opérer. La microfinance dans le Sud peut être quelque chose de rentable, ce qui entraîne un intérêt du monde financier pour ce genre deproduit. L’image des « pauvres » à ce niveau, vus auparavant comme un public risqué, peu rentable, est en train de changer. Cela dit, cela reste uneactivité difficile. S’agit-il de « greenwashing », dans le cadre d’une responsabilité sociale des entreprises ? Peut-être, mais si cela peut mener àune réflexion sur l’inclusion financière, pourquoi pas ? C’est de toute façon une bonne chose qu’une banque pense à l’inclusion financière plutôt que d’allerdistribuer des jouets dans les hôpitaux… »

Plus stratégique encore, Sybille Mertens analyse la politique de BNP Paribas. « Cette banque est en train de se positionner sur des thèmes comme la proximité etl’ancrage local. Dans ce cadre, le microcrédit est un outil intéressant pour elle. » Dans ce contexte, en quoi BNP Paribas et l’Adie pourraient-ils « fairemieux » que Crédal ? « Ils ont adopté une méthode de « puits » », souligne Jean-Pierre Remacle, expliquant que, à la différence deCrédal, l’approche de l’Adie est très locale, joue sur la proximité, repère les petits entrepreneurs dans une zone géographique relativement limitée et lessuit de près. L’approche belge classique est plus large, plus formelle.

Les approches respectives du Crédal et de l’Adie diffèrent en plusieurs autres points essentiels. Si le montant moyen prêté par le Crédal est de 8 000 euros,il est de 2 500 euros à l’Adie. De plus petits entrepreneurs, de plus petits projets, une politique de proximité, une approche – selon certains observateurs – plussouple, avec une instruction (l’analyse et le montage du dossier) plus légère : autant de caractéristiques de l’offre de l’Adie, qui la démarquent fortement de celledu Crédal. Jouer la carte de la proximité &ndas
h; et c’est bien la voie sur laquelle s’engage Microstart avec une agence à Saint-Gilles et bientôt une deuxièmeà Saint-Josse-ten-Noode – nécessite aussi d’investir dans l’accompagnement des petits entrepreneurs. Cet investissement sera-t-il tenable à long terme ? L’avenir nousle dira.

En France : le succès est au rendez-vous

En tout cas, en France, le succès de est bel et bien au rendez-vous pour l’Adie avec 12 023 prêts accordés en 2010. La situation de l’hexagone fait toutefois figure d’exceptionen Europe. Pour Maria Nowak, fondatrice et présidente de l’Adie, cette réussite est due notamment à la ténacité. « Cela fait vingt-deux ans que nous nousbattons pour le microcrédit », assène-t-elle.

Maria Nowak souligne en outre l’importance des trois missions de l’Adie, qui lui assurent son succès : l’octroi de microcrédits aux plus précaires (« 25 %de nos bénéficiaires savent à peine lire et écrire », pointe Maria Nowak), l’accompagnement et, enfin, la contribution à« l’amélioration de l’environnement institutionnel du microcrédit et de la création d’entreprise », selon les termes de l’Adie. Voilà une mission quel’association française a prise à bras le corps, remportant des victoires, dont la création du statut d’auto-entrepreneur, ou plus exactement d’Eirl (Entrepreneur individuelà responsabilité limitée), en vigueur outre-Quiévrain depuis le premier janvier dernier. L’Adie compte d’ailleurs bien faire évoluer le cadre législatif enBelgique aussi…

Interpellée sur la question de l’accompagnement chez Microstart, décliné de celui de l’Adie, qui serait plus souple que le coaching mis en place chez nous, Maria Nowakréagit en soulignant le sérieux des coaches et le fait que « Microstart » s’est entouré d’une série de partenaires de référence enBelgique.

Patrick Sapy, directeur général de Microstart, explique : « Nous avons rencontré et discuté avec tous les partenaires à Saint-Gilles etau-delà. Nous les avons associés à la mise en œuvre du projet et nous avons d’ailleurs commencé à travailler avec eux. » Au VillagePartenaire7, centre d’entreprises situé à un jet de pierre du guichet saint-gillois de Microstart, on confirme. Janaki Decleire, directrice du Village Partenaire, dit toutesa satisfaction de voir arriver un nouvel opérateur de microcrédit à Bruxelles avant de toutefois mettre en garde sur le microcrédit : le risque est de priver lesallocataires sociaux de leurs droits – puisqu’il doivent s’installer comme indépendant – sans les placer dans une perspective entrepreneuriale suffisamment financée, et dontles chances de réussite seraient donc réduites.

Les montants prêtés par Microstart sont effectivement faibles. Chez nous, les prêts s’élèveront au minimum à 500 euros et au maximum à 10 000euros. Par ailleurs, la moitié du montant doit être garantie par un proche. Notons enfin que le taux des prêts Microstart est assez élevé puisqu’il est de 8,5 %,contre un taux fixe de 5% pour le microcrédit du Crédal ou un taux de 4 % pour le prêt lancement du Fonds de participation. Enfin, et surtout, est-il vraiment possible dedémarrer une activité professionnelle avec 2 500 euros (le montant moyen des prêts Adie) ? Pas évident ! Un autre risque apparaît donc : celui de veniralimenter l’économie informelle plutôt que de réellement remettre le pied à l’étrier à des personnes professionnellement fragilisées.

Le microcrédit tel que le pratiquera Microstart, tablant sur la proximité, parviendra-t-il à donner un deuxième souffle à la microfinance en Belgique ?L’avenir nous le dira. En tout cas, comme le dit Maria Nowak, il y a de la place pour plusieurs opérateurs de microcrédit : « On est loin d’avoir saturé lemarché, tous ensemble. »

Eléments clés

Création du micro-crédit en Belgique : 2000

Création de l’Adie : 1989

Montant moyen des micro-crédits :
– Prêts solidaires du Crédal : 8 000 euros
– Micro-crédit Adie : 2 500 euros

Nombre de crédits octroyés :
– Crédal : 472 prêts octroyés de 2000 et 2009
– Adie : 12 023 en 2010

Taux d’impayés :
– Crédal : inconnu
– Adie : 9,42%

Montant maximum du crédit :
– Crédal Prêt solidaire : 12 500 euros
– Adie : 11 000 euros (6 000 euros de micro-crédit + complément par une autre formule de crédit variable selon la région)

1. Adie :
– adresse : bd Poissonnière, 4 à 75009 Paris, France
– tél. : 33 (0)1 49 33 19 00
– courriel : adie@adie.org
– site : www.adie.org
2. Crédal :
– adresse : place de l’Université, 16 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 48 33 50
– courriel : credal@credal.be
– site : www.credal.be

3. Solvay Brussels School of Economics and Management, université libre de Bruxelles, campus du Solbosch Av. F.D. Roosevelt, 42 , CP114/01, 1050 Bruxelles
4. Cermi, université libre de Bruxelles, campus du Solbosch, av. F.D. Roosevelt, 21 CP145/1 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 650 41 62
– courriel : cermi@ulb.ac.be
www.cermi.eu
5. HEC ULg :
– adresse : rue Louvrex, 14 bât. N1BE à 4000 Liège
– tél. : 04 232 72 11
6. Fonds de participation :
– adresse : rue de Ligne, 1 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 210 87 87
– courriel : info@fonds.org
– site : www.fonds.org
7. Village Partenaire :
– adresse : rue Fernand Bernier, 15 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 537 44 44
– courriel : info@villagepartenaire.be
– site : www.villagepartenaire.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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