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Michel Huisman (Gang des Vieux en Colère) : « Pas question de mener un apartheid des vieux »

02-05-2020
Dessin du Vieux Gangster en Colère MERLE MOQUEUR

Les vieux sont au centre de l’attention et des préoccupations depuis plusieurs semaines. Parce que considérés comme plus « à risque » (de mourir, non de contracter le virus), on les enjoint à sortir le moins possible, on les confine dans leur chambre. La pandémie interroge la façon dont nous traitons nos vieux, mais aussi le regard que nous portons sur eux. Nous en avons discuté avec Michel Huisman, membre fondateur du Gang des Vieux en colère, mouvement citoyen né fin 2017 qui lutte pour un renforcement de la sécurité sociale et montant de retraite a minima de 1600 euros net pour tout le monde. Actuellement confiné, le vieux gangster n’a rien perdu de sa vigueur quand il s’agit de dénoncer les défaillances du gouvernement. Et Michel Huisman prévient : « On ne bougera pas pendant le confinement. Mais nous remettrons ensuite le couvert avec beaucoup d’ardeur ».

Alter Échos : Comment trouvez-vous qu’on traite les vieux pendant cette crise ?

Michel Huisman : Pour nous, il y a un écran de fumée tout à fait étrange durant cette pandémie. Le vrai problème n’est, selon nous, pas le problème des vieux. Ce n’est pas pour protéger les vieux qu’on a fait s’écrouler toute notre économie. Les vieux, bien sûr, sont plus à risque. C’est le cas pour toutes les maladies. Les vieux risquent aussi de mourir, plus que d’autres. Mais tout focaliser soudain sur les vieux nous semble curieux, voire injuste. Notre but n’est pas de bloquer la planète pour sauver les vieux. Le but du Gang est d’essayer de mettre à l’abri la jeune génération, de préserver une sécurité sociale forte pour que les vieux à venir aient une vieillesse digne et décente.

En réalité, on ne permet pas aux gens de se soigner, qu’ils soient jeunes ou vieux.

A.É : Que viendrait masquer cet écran de fumée ?

M.H : Tout est fait pour cacher à la population la déliquescence dans laquelle se trouvent la sécurité sociale et les soins de santé. Le but n’est pas d’empêcher les vieux de mourir du Covid-19 mais selon nous d’essayer de cacher l’état déplorable des hôpitaux, des maisons de repos et de soin. En réalité, on ne permet pas aux gens de se soigner, qu’ils soient jeunes ou vieux. Les personnes handicapées, les diabétiques et les immunodéprimés prennent autant de risque avec cette maladie. Pourquoi ne parle-ton pas autant des 20.000 morts du tabac chaque année ? Nous sommes au courant depuis la fin du mois de janvier que le Covid-19 n’était pas une simple « grippette » comme l’affirmait alors Maggie De Block et qu’il fallait s’armer. Si nous, simples vieux d’une association citoyenne, le savions, on ne peut pas imaginer que le gouvernement n’était pas au courant. Pourquoi ont-ils attendu à ce point pour réagir, faire venir du matériel de protection, multiplier les salles de soins intensifs ? Une fois encore, cela nous montre l’immobilisme du gouvernement en matière de soin de santé, dénoncé depuis deux ans par le personnel soignant.

Le but n’est pas d’empêcher les vieux de mourir du Covid-19 mais selon nous d’essayer de cacher l’état déplorable des hôpitaux, des maisons de repos et de soin.

A.É : Avez-vous l’impression qu’on instrumentalise les vieux ?

M.H : On prend les vieux en otage pour faire pleurer Margot. «On fait tout ça pour protéger les vieux», nous dit-on. Pourquoi enferme-t-on des vieux dans des maisons de repos sans qu’ils puissent même communiquer avec leur voisin ? Pourquoi mettre des contraventions à des personnes qui vont dire bonjour à leur fenêtre ? Pourquoi ne pas avoir donné des masques et fait passer des tests dans l’immédiat au personnel soignant ? Nous n’avons pas besoin que, malgré nous, on nous protège parce que, en réalité, il n’y a pas assez de place dans les hôpitaux, parce que le nécessaire n’a pas été fait pour protéger toute la population. Nous avons un système de santé publique mis KO par une politique de trésorier comptable alors que notre santé n’a pas de prix. Et surtout, qu’on ne vienne pas nous dire demain que c’est « pour protéger les vieux » que l’on aurait vidé les caisses de la sécurité sociale ou que c’est pour « protéger les vieux » que les générations futures devront rembourser une dette gigantesque due en fait à une politique de gestion de crise sanitaire déplorable.

Nous n’avons pas besoin que, malgré nous, on nous protège parce que, en réalité, il n’y a pas assez de place dans les hôpitaux, parce que le nécessaire n’a pas été fait pour protéger toute la population.

A.É : Quel est votre sentiment suite à la dernière conférence de presse de Sophie Wilmès ?

M.H : Nous avons été très étonnés que ne soit pas du tout évoquées des questions par rapport aux sorties : sait-on si désormais on peut se promener, s’asseoir sur un banc ? Rien n’a été dit. Il est fort curieux également d’entendre que les merceries peuvent rouvrir mais pas les librairies. On peut donc coudre des masques pour préserver le corps, mais toujours pas l’esprit…

On sait comment se protéger, nous les vieux, nous sommes adultes et responsables.

A.É : À la suite de la déclaration d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, évoquant le fait que les personnes âgées restent confinées plus longtemps, des voix se sont élevées pour dénoncer cette discrimination des vieux. Partagez-vous ce sentiment ?

M.H : Il y a une discrimination dans l’utilisation du terme « vieux ». On n’est pas plus vieux à 80 qu’à 65 ans. Il y a des gens qui sont en mauvais état physique, psychologique ou immunitaire avant 65 ans et à l’inverse, passé 80 ans il y a des personnes qui sont en pleine forme et vivent très bien malgré des douleurs d’arthrose ou d’arthrite. Cette pandémie montre aussi la façon dont on considère les vieux. On n’a pas besoin d’être traités comme des enfants d’école primaire. On sait comment se protéger, nous les vieux, nous sommes adultes et responsables. On veut choisir si on va rester confinés ou pas. Il n’est pas question d’installer mener un apartheid des vieux. Nous serons les premiers à sortir dans la rue – tout en appliquant la distanciation sociale – si on nous dit qu’on doit ordonne de rester confinés plus longtemps.

A.É : Qu’attendez, qu’espérez-vous du monde d’après ?

M.H : Nous espérons le mieux pour les générations futures. Un monde plus humain, sur une planète rafraîchie, propre et saine; un monde altruiste qui renforcera enfin la solidarité par un système de sécurité sociale retrouvé et renforcé ! Le vrai test sera de voir si tous les gens qui applaudissent le personnel soignant à 20H sur les balcons seront dans la rue à l’avenir. Si on est aussi nombreux que sur les balcons, alors, nous aurons un espoir. Dans le cas contraire, ce sera pire qu’avant.

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Ils ont plus de 60 balais, mais sont toujours bien décidés à battre le pavé contre les injustices. Rencontre avec le Gang des Vieux en colère à Bruxelles.

Article extrait du dossier « Les vieux ne battent pas en retraite », Alter Échos n°474, juin 2019.

© Lucie Castel

Manon Legrand

Manon Legrand

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