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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Lutte contre les violences conjugales : comment toucher les jeunes ?

Un an de télé-écoute des victimes (et auteurs) de violences conjugales. Au bilan, l’attention est à porter sur les jeunes et sur les mariages forcés.

21-11-2010 Alter Échos n° 305

Le centre d’écoute sur les violences conjugales souffle sa première bougie. L’occasion de rappeler l’existence de ce numéro vert. Et pour laCommunauté française, la Cocof et la Région wallonne, de faire le tour de leur politique concertée en matière de violences conjugales1. Au rang despriorités : la formation des professionnels et la sensibilisation auprès des jeunes.

Dans les locaux exigus du centre d’écoute sur les violences entre partenaires, les travailleuses sociales répondent patiemment à la meute de journalistes venus assisterau lancement de la campagne de promotion du numéro vert : 0800 30 030. Depuis que la ligne a été ouverte, il y a un an, 2689 appels ont été traités. Dans66,4 % des cas, ces coups de fil dénoncent directement des violences (physiques, psychologiques, économiques, sexuelles, etc.) entre partenaires. Dans les 33,6 % restants,d’autres membres de la famille sont concernés.

Pas de bénévoles à l’horizon. L’équipe du 0800 30 030 est composée de six professionnelles bardées de diplômes : des psychologues, unecriminologue, une licenciée en sciences de la famille. L’objectif en ouvrant ce centre, souligne la directrice, est d’assurer une qualité d’écoute qui manque parfois ailleurs.Les victimes, constate Emmanuelle Mélan, cumulent généralement des problèmes multiples : financiers, administratifs… Par conséquent, elles sont amenéesà fréquenter des services très divers et peu informés des mécanismes spécifiques des violences conjugales. « Certaines victimes nous font part del’accueil inadéquat de services qui, par leur manque d’information, ont renforcé leur sentiment de souffrance et d’impuissance. Certains travailleurs comprennent mall’ambivalence de ces femmes par rapport à leur situation et tiennent des propos culpabilisants. Il arrive que des femmes battues s’entendent dire que leur compagnon n’a pas l’air « siméchant que ça » et « qu’elles exagèrent » », déplore la directrice du centre d’écoute.

La situation se complique encore quand le centre d’écoute se voit obligé de réorienter des victimes vers les services mêmes où elles ont mal étéreçues une première fois. « On a parfois des femmes qui se plaignent de la façon dont elles ont été accueillies par la police et à qui on doitmalgré tout conseiller de retourner porter plainte, prend comme exemple une écoutante, dont la fonction requiert l’anonymat. Notre rôle sera alors de les préparer.Eventuellement, on trouvera une solution pour qu’elles puissent se faire accompagner dans ces démarches. »

On l’aura compris, la formation des acteurs susceptibles d’être confrontés aux victimes de violences conjugales est un point stratégique. Les pouvoirs publics en ont d’ailleursfait une de leurs priorités. La Région wallonne soutient une initiative originale de pôle ressource (voir cahiers Labiso n° 77-78) où les associationsd’aides aux victimes (collectif des femmes battues à Liège et à La Louvière) et d’aide aux auteurs (Praxis) échangent leur expertise. Ce pôle intervient dansla formation des intervenants de première ligne, dont les travailleurs sociaux des maisons d’accueil.

« Mais il faut aller plus loin et viser également les formations professionnelles initiales des intervenants, dispensées par les universités, les hautes écoles etles établissements de promotion sociale », déclare pour sa part Fadila Laanan2. La ministre de l’égalité des chances de la Communautéfrançaise annonce vouloir proposer un « paquet formation, à géométrie variable, mais qui comporte l’essentiel de ce qu’il faut connaître sur la violenceconjugale lorsqu’on est, par exemple, assistant social, infirmer ou policier. »

Les jeunes, une priorité

Autre priorité mise en avant par la Région bruxelloise, la Région wallonne et la Communauté française : les jeunes. Aujourd’hui, rares sont ceux qui ont leréflexe de téléphoner au 0800 30 030. Les moins de 18 ans représentent seulement 2,8 % des appels traités en un an. Les 18 à 25 ans représententquant à eux 11,3 % des coups de fil reçus. « Les jeunes ont plus d’idéaux, plus d’espoir. Ils croient en l’amour et pensent que la situation peut changer. Ils n’ontpas encore la notion de ce qui est normal ou pas dans le cadre d’une relation et se reconnaissent rarement comme victimes », observe une écoutante. Les résultats d’uneétude menée en 2008 en Communauté française auprès de 6000 jeunes âgés de douze à vingt-et un ans confirment ce constat inquiétant. Neufjeunes sur dix affirment avoir été victimes ou auteurs d’actes de violence (injures, brimades, harcèlement, mépris, humiliation) dans le cadre d’une relation amoureuse. Etla violence purement physique concernerait un jeune sur sept.

Des efforts évidents doivent être poursuivis en matière de sensibilisation. En 2011, la Communauté française lancera un appel aux écoles et aux services depromotion de la santé pour développer des projets dans le cadre de la campagne « Aime sans violence ». La DG Egalité des chances entend aussi élargirl’expérience pilote menée dans le cadre du festival musical Esperanzah. A travers un jeu-quizz « info ou intox », les festivaliers étaient invités àrevoir quelques stéréotypes tenaces sur les violences familiales. « Le stand n’a pas désempli », se félicite Fadilaa Laanan.

Par ailleurs se pose la question de l’hébergement des victimes. En Région bruxelloise, il existe quatorze maisons d’accueil. Emir Kir, ministre en charge de l’Action sociale àla Cocof, espère en ouvrir une quinzième d’ici 2011, spécialement conçue pour accueillir les jeunes âgés de 18 à 25 ans3.

Mariages forcés

L’attention apportée aux populations les plus jeunes soulève une autre question délicate : celle des mariages forcés. « Ce qui m’inquièteprofondément, estime Emir Kir, c’est que la pratique du mariage forcé, très ancienne il est vrai, est appelée à prendre des tournures de plus en plus dramatiques.En effet, les jeunes filles sont de plus en plus émancipées et donc, de plus en plus susceptibles de prendre de la distance par rapport à ce que leur impose leur famille. Ellesveulent, bien naturellement, prendre leur vie en main et avoir leur mot à dire sur cette question très intime qu’est le choix de son partenaire. »

Un plan de lutte contre les mariages forcés a été développé à Bruxelles et en Communauté française. Le réseau « mariage etmigration »4 (voir Alter Echos n° 291, « Une politique pour Roméo et Juliette ») organise d
es formations à destination des professionnels etdéveloppe des outils de sensibilisation, comme la pièce de théâtre-action Amours mortes. A ce jour, quelque 3500 élèves ont pu découvrir cettecréation originale de la Compagnie Maritime. Ce travail de sensibilisation se développe également au-delà des frontières. De retour d’un voyage en Turquie, Emir Kirvient d’annoncer qu’une recherche-action entre une université belge et une université turque va être lancée pour mieux cerner le phénomène.

Au-delà de la prévention, la question de la prise en charge et de l’hébergement des victimes de ces unions contraintes se pose également. En France et au Royaume-Uni,des formules d’accueil spécifiques ont été mises en place. Les initiateurs de ces projets seront invités à les présenter lors d’un colloque qui seraorganisé à Bruxelles courant 2011.

Et en Région wallonne ? C’est la question que posait la députée louviéroise Olga Zrihen (PS) à la ministre wallonne de l’Action sociale ElianeTillieux5. Après avoir rappelé les initiatives développées de façon générale par la Région en matière de violencesconjugales, la ministre en charge de l’Action sociale déclarait : « (…) la spécificité des mariages forcés exige à mon sens une prise en charge qui impliqueune formation spécialisée des intervenants. Il conviendra d’y travailler encore à l’avenir. »

« Toutes les femmes auraient à apprendre des prostituées »

La violence envers les femmes intervient dans toutes sortes de contextes différents. Ce 8 novembre, l’asbl Garance organisait un colloque sur les violences faites aux femmes dans le milieude la prostitution. Dans le cadre du programme européen Daphné – qui soutient les collaborations entre Etats membres pour lutter contre les violences faites aux femmes, aux jeuneset aux enfants –, Garance coordonne un projet qui réunit des associations belges et françaises d’autodéfense d’une part et de soutien aux femmes prostituées d’autrepart.

Ce partenariat a donné naissance à un programme de formations. Par ailleurs, des rencontres ont été organisées entre prostituées et ont donné lieuà une brochure d’information sur la violence et à un manifeste à destination des pouvoirs publics. Un « putain de manifeste » dans lequel elles revendiquent plus derespect tant de la part de leurs clients que des autorités publiques.

Pour les associations d’autodéfense, qui n’ont pas d’action spécifiquement ciblée vers la prostitution, ce partenariat fut riche d’enseignements. « Lesprostituées connaissent bien les situations de violence, remarque Irene Zeilinger, directrice de l’asbl Garance. Elles ne sont pas démunies face à ces situations. Elles ont de larépartie, de l’humour, et savent aussi se défendre physiquement. Toutes les femmes auraient à apprendre des prostituées. »

1. A l’initiative de Fadila Laanan, Eliane Tillieux et Emir Kir, les gouvernements de la Communauté française, de la Région wallonne et de la Commission communautairefrançaise (Cocof) ont tous trois adopté, le jeudi 17 décembre 2009, une note d’orientation globale qui constitue leur contribution au « Plan d’action national2010-2014 en matière de lutte contre les violences entre partenaires, élargi à d’autres formes de violences de genre ».

2. Cabinet de Fadila Laanan :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 801 70 28
– site : www.laanan.cfwb.be
– courriel : info.laanan@cfwb.be
3. Cabinet Emir Kir Botanic Building :
– adresse : bd Saint-Lazare 10 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 506 34 11
– site : www.emirkir.be
– courriel : infokir.irisnet.be.
4. Réseau mariage et migration :
– adresse : rue Royale Sainte-Marie, 70 à
1030 Bruxelles
– tél. : 02 241 91 45
– site : www.mariagemigration.org
– courriel : info@mariagemigration.org
5. Cabinet Eliane Tillieux :
– adresse : rue des Brigades d’Irlande, 4 à
5100 Jambes
– tél. : 081 32 34 11
– site : http://tillieux.wallonie.be
– courriel : info-tillieux@gov.wallonie.be
6. Garance ASBL :
– adresse : bd du Jubilé, 155 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 216 61 16
– site : www.garance.be
– courriel : info@garance.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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