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Logement

Loi anti-squat: quand le fédéral criminalise le droit au logement

La Chambre a voté début octobre une proposition de loi qui vise à incriminer le «squat» d’un bâtiment. Un texte «inutile et dangereux» pour les associations qui luttent en faveur du droit au logement. Elles parlent d’un grave recul.

 La Chambre a voté, ce jeudi 5 octobre, la proposition de loi qui vise à incriminer le «squat» d’un bâtiment. Un texte «inutile et dangereux» pour les associations qui luttent en faveur du droit au logement. Elles parlent d’un grave recul.

Les choses n’auront pas traîné. En mars dernier, l’occupation illégale d’une maison défraye la chronique en Flandre: un couple de Gantois qui séjourne à l’étranger est averti par des voisins qu’une famille rom originaire de Slovaquie occupe sa maison. L’affaire fait grand bruit au nord du pays puisque, après avoir fait constater les faits par la police, les propriétaires ont dû attendre trois semaines avant que la police n’évacue les lieux, le temps que l’affaire soit tranchée par la justice de paix. Notez que, dans cette affaire, les «locataires» sont eux aussi victimes puisqu’ils se sont fait abuser par un compatriote à qui ils ont payé un loyer et qui s’est manifestement introduit dans l’habitation par effraction.

«Cette procédure n’apporterait aucune plus-value aux propriétaires: une action unilatérale en référé permet déjà un jugement d’expulsion en quelques jours.», Jean-Hwan Tasset, Union royale des juges de paix

L’appel lancé par les propriétaires sur Facebook en émeut plus d’un et suscite de nombreuses réactions politiques. Le premier à dégainer est le bourgmestre de Gand, Daniël Termont (sp.a). «Tant que le gouvernement fédéral ne prend pas de mesures, je suis impuissant face à ce type de situation», affirme-t-il. Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) réagit lui aussi et promet des mesures. «C’est tout de même incroyable que nous devions mener ce débat sur la protection du droit de propriété», lance à l’époque le député Egbert Lachaert (Open Vld), qui réclame le vote rapide d’un texte.

«Une fausse bonne idée»

Quelques jours plus tard, un texte est déposé à la Chambre. «Dans la précipitation», dénoncent les associations de terrain comme le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH), Woningen123Logements ou la Fédération bruxelloise de l’union pour le logement (FEBUL). Elles parlent d’un texte dangereux qui met tout le monde dans le même sac et ne tient pas du tout compte de la réalité du terrain. «Des propositions de loi de ce type existent depuis plusieurs années, mais ce fait divers a mis une telle pression en Flandre que certains parlementaires néerlandophones ont rebondi sans attendre, regrette Anne Bauwelinckx du RBDH. Cette loi va être adoptée en urgence sur la base d’un mauvais prétexte.»

Que dit la loi anti-squat?

Le propriétaire d’un immeuble occupé pourra désormais se rendre devant le juge de paix afin que celui-ci ordonne l’expulsion de l’occupant. Le propriétaire pourra introduire immédiatement une plainte au parquet contre le squatteur et demander que le procureur du Roi ordonne son expulsion. Le dépôt de la plainte est nécessaire pour que le fait de «squatter» soit considéré comme une infraction. Si l’occupant n’évacue pas les lieux malgré l’ordonnance du procureur, le propriétaire pourra engager une procédure devant le juge de paix. Si celui-ci ordonne l’expulsion, le refus de s’y conformer sera considéré comme une infraction et le squatteur pourra le cas échéant être arrêté. Il risque alors une amende s’élevant de 26 à 100 euros et 1 à 8 jours de prison.

Une position que ces associations n’ont pas manqué de rappeler lors de leur audition en commission Justice de la Chambre au début de l’été. De son côté, l’Union royale des juges de paix (URJP) rappelle qu’«il existe déjà des possibilités pour les propriétaires de faire appel à la justice afin de récupérer leur bien». Pour son représentant, Jean-Hwan Tasset, lui aussi auditionné en juillet dernier, ce texte est une fausse bonne idée. D’autant qu’il ne garantit pas nécessairement des délais plus courts que les procédures déjà existantes. «Cette procédure n’apporterait aucune plus-value aux propriétaires dans la mesure où une action unilatérale en référé permet déjà un jugement d’expulsion en quelques jours.»

«L’entrée sans autorisation dans un bâtiment est souvent la première étape pour la plupart des initiatives en faveur du droit au logement. Aujourd’hui, on la criminalise.», Anne Bauwelinckx, RBDH

Le RBDH, Woningen123Logements et la FEBUL parlent d’un net recul par rapport à la loi actuelle. «Le débat contradictoire devant le juge de paix permet d’aboutir à une décision qui tient compte des intérêts de tous, de la situation des occupants (notamment de la présence de mineurs…) et du propriétaire, insiste Anne Bauwelinckx. Or, l’ordonnance du procureur du Roi telle que prévue dans le projet de loi ne pourra pas prendre en considération ces éléments.»

Même le collège des procureurs généraux a fait part de ses doutes sur ce projet de loi. «Cette nouvelle procédure repose sur la conjugaison d’approches pénales et civiles, antagonistes et mutuellement inconciliables, et risque d’apporter aux magistrats et polices locales un surcroît de travail qui les détourne de leurs tâches prioritaires», a écrit le collège dans un courrier adressé aux parlementaires.

«Inutile et dangereux»

Ce projet de loi passe très mal auprès des associations de terrain, notamment parce qu’il prévoit un traitement indistinct de situations très différentes. Lors de son audition, Oliver Monnart du «123» a pris soin d’attirer l’attention des parlementaires sur ce point. «Un squatteur, c’est quelqu’un qui occupe en bon père de famille, au regard de ses moyens, un espace déserté, dormant, dont il n’est pas propriétaire.» Il rappelle que cette situation n’a rien à voir avec ce qui s’est passé à Gand. «Il est extrêmement important de bien distinguer la pratique du squat social, très majoritaire, de celle du ‘double housing’ mafieux et ponctuel», insiste-t-il.

Sébastien Gratoir coordonne le groupe «logement» de la régionale bruxelloise de «Tout Autre chose». Il regrette que ce projet de loi fasse passer le droit à la propriété au-dessus du droit au logement. «C’est une loi symbolique, politique: à travers ce texte, la majorité ne veut pas reconnaître le droit d’occupation», explique-t-il. Comme toutes les associations qui sont montées au créneau, il parle «d’un projet de loi inutile et dangereux».

Pour le RBDH, ce texte criminalisera inévitablement les plus fragiles. «Ces mesures toucheront inévitablement les plus précaires, met en garde Anne Bauwelinckx. Dans des situations où on n’a pas de bail écrit ou quand le loyer est payé de main en main comme c’est souvent le cas avec des marchands de sommeil notamment, le propriétaire véreux pourrait s’appuyer sur certaines mesures pour contraindre ou menacer d’expulsion un locataire en difficulté en le faisant passer pour un squatteur.»

Stratégie de survie

Pour les associations de terrain, on ne peut pas adopter un tel projet de loi sans tenir compte du contexte social. «La crise du logement à Bruxelles ne cesse de s’aggraver», souligne Anne Bauwelinckx. Elle rappelle que le prix des loyers a considérablement augmenté ces dernières années à Bruxelles et que 43.000 personnes sont toujours en attente d’un logement social. «Le nombre de personnes à la rue ne cesse d’augmenter. Parmi les sans-abri, 35% vivent en rue, 25% en maison d’accueil et 40% dans des logements inadéquats, dont 8% dans des occupations négociées et 17% dans des squats.»

Dans ce contexte, les squats constituent généralement la dernière alternative avant la rue. Anne Bauwelinckx rappelle que l’entrée sans autorisation dans un bâtiment est bien souvent la première étape pour la plupart des initiatives en faveur du droit au logement. «Or, aujourd’hui, on la criminalise», regrette-t-elle. «Heureusement qu’il existe des associations qui mettent en place ce type de projets, car les squats offrent des solutions temporaires, intermédiaires certes partielles mais pragmatiques», insiste Anne Bauwelinckx. Elle souligne encore que les logements vides sont toujours plus nombreux à Bruxelles et regrette qu’il n’y ait plus de recensement officiel des logements inoccupés depuis de nombreuses années.

«En Région bruxelloise, on a mis en place une taxe sur les logements vides pour contrer la pénurie de logements. Au fédéral, on crée des lois qui ont pour effet de criminaliser ceux qui occupent des bâtiments vides.», Sébastien Gratoir, Tout Autre Chose

Sans compter qu’entre le fédéral et les Régions règne une certaine cacophonie. En fonction des majorités politiques à ces différents niveaux de pouvoir, les approches sont diamétralement opposées. En Région bruxelloise par exemple, il existe des règlements qui visent à lutter contre l’inoccupation des bâtiments. «Laisser un logement vide constitue une infraction au Code bruxellois du logement, infraction qui peut être sanctionnée d’une amende», indique Anne Bauwelinckx. «C’est paradoxal, souligne encore Sébastien Gratoir. En Région bruxelloise, on a mis en place une taxe sur les logements vides pour contrer la pénurie de logements dans la capitale, tandis que, au fédéral, on crée des lois où on protège les propriétaires et on prend des mesures qui ont pour effet de criminaliser ceux qui occupent des bâtiments vides.»

Adopté au pas de course

Les partenaires de la majorité se sont finalement accordés sur un texte lors de sa deuxième lecture en commission «Justice» de la Chambre ce 19 septembre. Ils évoquent un nouveau dispositif «équilibré» qui répondrait aux inquiétudes de la population. Les écologistes et le sp.a se sont abstenus tandis que le PS et le cdH ont voté contre, épinglant le caractère «déséquilibré» du texte. Pour ces deux partis, l’amélioration de la seule procédure devant le juge de paix aurait amplement suffi à résoudre les problèmes. Le cdH parle d’un texte mal ficelé tandis que le PS s’est inquiété des conséquences de cette future loi sur les conflits sociaux. Les socialistes voient un risque que cette loi permette à terme de déloger des travailleurs qui occuperaient leur lieu de travail dans le cadre d’un conflit social.

Face aux nombreuses critiques, le texte a été très légèrement remanié. Jusqu’au bout, les acteurs de terrain auront tenté d’alerter le législateur sur la nécessité de faire clairement la distinction entre celui qui squatte pour sa propre dignité (squat social) et celui qui le fait pour son propre bénéfice (faux propriétaires, marchands de sommeil). En vain, semble-t-il, puisque la plupart des points dénoncés par ces associations n’ont pas disparu du texte. Sur le terrain, malgré l’adoption en cours de la loi, on ne s’avoue pas vaincu. «Au contraire, explique Sébastien Gratoir, qui annonce des actions dans les prochaines semaines. La mobilisation est loin d’être terminée.»

En savoir plus

«Squat: l’offensive venue de Flandre», Alter Echos, Amélie Mouton, 10 juin 2015

Francois Corbiau

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