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Levée du secret professionnel: vers un «flicage généralisé»?

L’obligation de respecter le secret professionnel va-t-elle se transformer en obligation de dénoncer quiconque paraît suspect de radicalisme ? La proposition N-VA, actuellement en débat à la commission «Terrorisme» de la Chambre, suscite toutes les craintes. Mais derrière la lutte contre le terrorisme se cache sans doute un autre objectif, celui de mettre fin au secret professionnel des travailleurs sociaux, cet obstacle à un contrôle accru des chômeurs, des malades et des allocataires de CPAS.

L’obligation de respecter le secret professionnel va-t-elle se transformer en obligation de dénoncer quiconque paraît suspect de radicalisme?

L’obligation de respecter le secret professionnel va-t-elle se transformer en obligation de dénoncer quiconque paraît suspect de radicalisme? La proposition N-VA, actuellement en débat à la commission «Terrorisme» de la Chambre, suscite toutes les craintes. Mais derrière la lutte contre le terrorisme se cache sans doute un autre objectif, celui de mettre fin au secret professionnel des travailleurs sociaux, cet obstacle à un contrôle accru des chômeurs, des malades et des allocataires de CPAS.

La N-VA a de la suite dans les idées et le secret professionnel dans sa ligne de mire. Sur le plan parlementaire, tout a commencé en mars dernier lorsque la députée N-VA Valérie Van Peel a déposé à la commission «Lutte contre le terrorisme» une proposition de loi visant à empêcher les travailleurs des CPAS d’invoquer le secret professionnel lors d’une enquête sur des faits liés au terrorisme. À l’époque, les trois fédérations de CPAS estimaient que cette commission n’avait aucune compétence pour modifier la loi organique des CPAS et que, par ailleurs, aucune modification du code d’instruction criminelle n’était nécessaire. La loi prévoit déjà des exceptions à l’obligation de secret professionnel, rappelle Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS wallons. Le Conseil d’État a confirmé cette analyse en rendant un avis très critique sur la proposition de loi considérée comme discriminatoire à l’égard des travailleurs des CPAS. Valérie Van Peel l’a retirée et les CPAS ont poussé un soupir de soulagement.

«Pense-t-on vraiment qu’un terroriste va demander l’aide financière du CPAS pour acheter une ceinture d’explosifs.» Luc Vandormael, fédération des CPAS wallons

Le soulagement fut bref car, à la rentrée parlementaire, la députée est revenue à la charge avec un nouveau texte incluant cette fois l’ensemble des professionnels des institutions sociales. «Le Conseil d’État laissait sous-entendre que si le législateur voulait modifier le secret professionnel, il devait viser tous ceux qui y étaient tenus donc aussi les médecins, les avocats, pas seulement les CPAS et les professionnels de la sécurité sociale, explique Eric Massin, député PS, membre de la commission ‘Terrorisme’ et par ailleurs président du CPAS de Charleroi. Sauf à justifier pourquoi on faisait ainsi une exception au secret professionnel. La N-VA ne l’a pas fait.» Parce que, estime Eric Massin, c’est bien le secret professionnel des travailleurs sociaux qui est dans le collimateur et seulement celui des travailleurs sociaux.

La proposition «Van Peel» contient deux volets. Le premier exige de la part des institutions de sécurité sociale et de leurs travailleurs de fournir des renseignements administratifs à la justice en cas d’enquête terroriste. Pas de quoi s’énerver a priori, mais les fédérations de CPAS tiquent déjà. Le texte en flamand parle d’infractions terroristes. Le texte en français vise la recherche de «crimes et délits», ce qui est déjà un champ bien plus large, qui dépasse le cadre de la commission «Terrorisme». Le second volet est pire encore. Il parle d’une obligation «active» de signalement dans le cas où le travailleur social prendrait connaissance d’informations pouvant constituer des «indices» d’une infraction terroriste. «Pense-t-on vraiment qu’un terroriste va demander l’aide financière du CPAS pour acheter une ceinture d’explosifs, ironise Luc Vandormael. Le travailleur social peut avoir des doutes, il peut se poser des questions, mais cela justifie-t-il de mettre fin au secret professionnel?»

«C’est du flicage généralisé», résume Gilles Vanden Burre, député Écolo et rapporteur pour la commission «Terrorisme»

Ce qui inquiète les opposants à la proposition de loi, c’est le côté très vague du texte. On parle d’«indices», pas de faits. Et la notion de «personnel» des institutions de sécurité sociale est des plus floues également. Un jardinier qui travaille pour le CPAS pourrait-il (devrait-il) dénoncer un usager qui se laisse pousser la barbe? Une infirmière sociale de l’ONE devra-t-elle signaler une famille jugée «radicalisée»? Un assistant de la Croix-Rouge est-il concerné? Qui doit donner des informations? Et sur quels critères? «C’est du flicage généralisé», résume Gilles Vanden Burre, député Écolo et rapporteur pour la commission «Terrorisme», et «c’est d’autant plus grave que l’on parle bien d’obligation d’informer la  justice. Si le travailleur ne le fait pas, il sera sanctionné».

Pour Gilles Vanden Burre, obliger les travailleurs sociaux à trahir le secret professionnel, les transformer en auxiliaires de police, c’est briser le lien de confiance entre les usagers et les travailleurs sociaux et détricoter à terme tout le travail social. Les fédérations des CPAS l’ont bien compris. Elles ont écrit aux membres de la commission «Terrorisme» le 5 octobre. «Quelles sont les compétences des membres du personnel pour juger de ce que ce sont des informations constituant des indices sérieux d’infractions terroristes? Qui subira les conséquences d’un éventuel dérapage causant un dommage à une personne à la suite d’accusations inconsidérées? Le membre du personnel ou l’institution à laquelle il appartient?»

Les CPAS n’ont pas reçu de réponse à leur lettre mais l’opposition a fini par obtenir que la proposition de loi soit soumise au Conseil d’État. «Il a fallu batailler dur, explique le député Écolo. Le MR est totalement acquis à la proposition Van Peel». Cette résistance des partis de la majorité lui fait craindre que, même si le Conseil d’État devait dézinguer le texte, ces partis poursuivent sur leur lancée.

La fraude sociale, le vrai enjeu

La crainte est d’autant plus justifiée que le projet de loi sur le secret professionnel annoncé par le ministre de l’Intégration sociale Willy Borsus et le ministre de la Justice Koen Geens ne verra pas le jour. Le ministre MR l’a clairement fait comprendre à l’occasion d’une question parlementaire d’Eric Massin le 19 octobre dernier. «Le ministre de la Justice et moi-même nous sommes ralliés au texte parlementaire», dit-il à propos de la proposition Van Peel. Et Borsus, de préciser qu’il voudrait qu’on aille «plus loin que les infractions liées au terrorisme». Plus loin? En ce compris les faits liés à la fraude sociale, demande le député PS. Non, assure le ministre. Mais pour Eric Massin, il ne fait aucun doute que la levée du secret professionnel visera aussi la fraude sociale. Le secrétaire d’État chargé de la lutte contre la fraude sociale Philippe De Backer (Open VLD) avait d’ailleurs annoncé, pour cet automne, une mesure visant à lever le secret professionnel des travailleurs des CPAS en cas de fraude sociale. «Les CPAS n’ont aucun intérêt à couvrir la fraude sociale, rappelle Luc Van Dormael. Une enquête menée, sous le gouvernement précédent, a montré à quel point cette fraude était très limitée dans les CPAS. De toute façon, cela ne justifiera jamais de mettre à mal le secret professionnel». Et d’ajouter, désabusé, «ces derniers mois, toutes les mesures que l’on nous demande de prendre sont de l’ordre de la sanction et du contrôle, pas de la lutte contre la pauvreté».

«Le texte est trop flou. Il encourage un fonctionnement à la Big Brother», les trois fédérations des CPAS

Les CPAS ne voient pas vraiment le bout du tunnel dans ce domaine. Leur dernier motif d’inquiétude, ce sont les cellules de sécurité intégrale locales (CSIL) lancées par le ministre de l’Intérieur et qui doivent permettre la circulation d’informations sur des personnes suspectées de s’être radicalisées. Le texte de la circulaire prévoit que les informations de la police doivent être complétées par d’autres «émanant du secteur social, des communautés scolaires…» «Le texte est trop flou. Il encourage un fonctionnement à la Big Brother», écrivent les trois fédérations des CPAS. «Pour le moment, la circulaire précise que le secret professionnel des acteurs sociaux est sauvegardé dans les CSIL, explique Eric Massin, mais si demain, le code d’instruction criminelle devait être aménagé comme le prévoit la proposition N-VA, les assistants sociaux ne pourront plus faire barrage à une obligation de délation.»

Aller plus loin

« Détecter le radicalisme, gare aux dommages collatéraux », Alter Échos n°397, 17 février 2015, Amélie Mouton.

« Égarer sa carte d’identité deux ou trois fois devient suspect »Alter Échos n°397 , 17 février 2015, Marinette Mormont.

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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