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Les promoteurs au pays d’Érasme

Un important projet immobilier se développe sur le site de Neerpede, aux confins de la Région. Enjeu urbanistique versus offre de logements ? Les intérêts sontmultiples et complexes.

03-11-2008 Alter Échos n° 261

Un important projet immobilier se développe sur le site de Neerpede, aux confins de la Région. Enjeu urbanistique versus offre de logements ? Les intérêts sontmultiples et complexes.

Fin des années ’90, le gouvernement régional bruxellois décidait de changer l’affectation d’une parcelle de vingt hectares de territoire à Neerpede sise ruedu Chaudron et boulevard Henri Simonet. De zone agricole, les terrains devenaient zone d’habitation résidentielle. Il s’agissait alors d’une des rares réservesfoncières de Bruxelles qui a la particularité de se situer au delà du ring, quelque part coincée entre l’autoroute et la frontière avec la Flandre. MaisNeerpede est une zone un peu particulière, un poumon vert à la lisière de la région bruxelloise, un territoire qui joue un rôle dans la biodiversité. Bref, satransformation suscite questions et réticences.

Une liberté qui inquiète

Comme le Plan régional d’affectation du sol (Pras) parle d’habitations sans spécification, le projet immobilier bénéficiera d’une grande liberté.Liberté qui inquiète les habitants actuels de la zone. « Le projet n’est pas nouveau. Les promoteurs avaient déjà lancé l’idée en 2005», nous explique Steven De Ridder, animateur du Comité de quartier Neerpede Blijft !1. « Le projet pose de nombreux problèmes en matière de densité,de durabilité et d’intégration dans le paysage », souligne le porte-parole du comité. Pour lui, le maximum de mille logements sur le site paraît raisonnable. Lacommune semble encore plus radicale. « Pour les spécialistes, le nombre de 2 500 habitants semble un minimum pour créer un quartier équilibré. On est loin des10 000 habitants suggérés par le premier projet des promoteurs. Si le projet se fait dans ce gabarit raisonnable, on arriverait environ à 800 logements. Il faudra aussi desespaces communautaires, des commerces de proximité, une école… Nous ne voulons absolument pas d’une cité-dortoir ! », soutient fermement le bourgmestred’Anderlecht, Gaëtan Van Goidshoven2.

En 2006, après la marque d’intérêt des promoteurs, la commune avait lancé la procédure d’élaboration d’un Plan particulierd’affectation du sol (PPAS). « La question de la procédure est importante car elle doit concilier des intérêts contradictoires : ceux des habitants et ceux despromoteurs », souligne Pierre Meynaert, chargé de mission en urbanisme à Inter-Environnement Bruxelles3. Le bourgmestre ne dit pas autre chose. « Le projet de2005 nous est immédiatement apparu démentiel. Nous avons donc décidé d’élaborer un PPAS. La procédure assez longue a encore pris plus de temps queprévu car le dialogue avec la Région fut assez difficile. Le gouvernement régional n’a pas désigné le comité d’accompagnement. De plus, lepromoteur est revenu, entretemps, avec un nouveau projet dont nous avons abondamment discuté pendant des mois. »

Un échange qui fit couler beaucoup d’encre

Parmi ces discussions, une en tout cas a suscité la polémique. Le promoteur immobilier a souhaité récupérer un terrain public d’un 1,5 hectare appartenantau Foyer anderlechtois situé au milieu de la parcelle en échange d’un autre terrain ou d’une construction ailleurs sur le site. Sans ce terrain, il est difficile de faire unprojet cohérent. C’est lui qui donne accès à la voirie ! La commune a bloqué l’échange de terrain qu’encourageait la ministre régionale.« Les préoccupations en matière de logement sont légitimes. Le Foyer anderlechtois s’investira dans ce projet. Mais, disons qu’il attendra notre feu vert. Sapriorité actuelle va de toute façon à la rénovation… », ajoute le bourgmestre en précisant sa pensée à travers un exemple.« Regardez le Vogelzang. On y fait cohabiter sans réflexion des villas avec du logement social. Ce quartier manque de cohérence et de convivialité. »
Revenons à la procédure. Pour être précis, le promoteur a, en fait, rendu deux projets sur des parcelles différentes mais contiguës. Une manière de fairequi est très contestée. La première est une demande de permis de lotir sur le site « Chaudron » comprenant 72 lots à bâtir. La seconde demande concernele site dit « Erasmus » et concerne 1 230 logements. « Une demande de permis de lotir doit séparer chaque lot. On parle donc de nombre maximum dans chaque lot caron ne peut dépasser le nombre de logements indiqué dans chaque lot. Le nombre maximal d’environ 1 600 logements est donc assez théorique. Le nombre de 1 230logements est un chiffre réaliste», soutient Michel Shames, directeur de projet chez BPI, l’un des promoteurs engagés dans le projet avec Deximmo et Eiffage Benelux, tousregroupés au sein de la Foncière Erasme.

L’hésitation de la Région

« Le split du projet était une astuce pour avancer plus vite, mais le comité de concertation a remis un avis négatif qui a été suivi par legouvernement régional », complète Pierre Meynaert. Exact ! Lors de sa séance du 3 juillet, le gouvernement bruxellois a décidé que l’étuded’incidence portera sur les deux sites. Il a également décidé de faire avancer la procédure de PPAS sur l’ensemble du site par l’instauration du comitéd’accompagnement (mis en place depuis août dernier) et par la prise en charge des frais d’étude. La Région s’est donc rangée à l’avis ducomité de concertation. Certains disent « à regret » tant la volonté de la ministre Françoise Dupuis d’avancer sur ce dossier permettant dedévelopper un projet conséquent de logements semblait forte. On sent, en tout cas, au cabinet la volonté de se désengager de ce dossier. Discours officiel : c’estdésormais à la commune d’avancer dans l’élaboration du PPAS. Le gouvernement lui en a donné les moyens. La Région ne serait concernéequ’à la marge par son implication dans la construction de quelque deux cents logements sociaux. L’autonomie des communes reste une matière sensible chez les édilessocialistes…

Autre acteur public concerné : le CPAS de la Ville de Bruxelles est propriétaire de divers terrains sur le site qu’il souhaite vendre depuis longtemps. Il a d’ailleursdéjà signé un compromis de vente avec les promoteurs dans le cadre d’une vente de gré à gré, à un prix largement inférieur au prix dumarché… Michel Shames se défend de tout accord occulte. « Ces prix son
t similaires à ceux des terrains achetés au privé. On devra beaucoup yinvestir. Il n’y a rien d’anormal ! »

Une course de vitesse ?

Mais désormais, deux procédures concurrentes sont en cours : l’étude d’incidence du projet des promoteurs se déroulera en même temps que lapréparation du PPAS qui est une procédure plus complexe. « Si le projet des promoteurs est adopté avant un avant-projet de PPAS, il nous faudra faire un recours »,avertit Steven De Ridder. Le promoteur cherche visiblement à calmer les choses. « Selon moi, la commune a autant de garanties dans le cadre d’un permis de lotir que dans le cadred’un PPAS. Les procédures se déroulant en parallèle, elles auront sûrement une incidence l’une sur l’autre. L’objectif est d’arriver àun bon projet », soutient Michel Shames. Et il rappelle, pince-sans-rire : « Ce sont les projets de 2005 qui ont fait émerger l’idée d’un PPAS ! »

En septembre, la commune a désigné un auteur de projet pour le PPAS. « Nous sommes entrés dans le vif du sujet. Pour nous, le PPAS est vraiment la garantie dont nousavons besoin. Ce n’est pas un luxe. Je comprends l’envie du promoteur d’avancer et souhaite maintenir le dialogue avec lui. À lui d’intégrer le contexte quin’est comparable à aucun autre en Région bruxelloise », commente le bourgmestre.

L’opinion joue évidemment un rôle. La commune joue la carte de l’offensive en organisant en décembre une table ronde sur la biodiversité à Neerpede.« Il faut donner un avenir à cette zone verte qui contribue à maintenir l’équilibre écologique de la ville. Le projet tient insuffisamment compte du voletenvironnemental », conclut Gaëtan Van Goidshoven. De son côté, le promoteur met en avant sa volonté de construire un écoquartier à la pointe enéconomies d’énergie et dans la gestion des eaux de pluie. Échéance : l’étude devrait déboucher sur un rapport d’incidence environnementaleespéré en 2010.

Entre la nécessité de logements à Bruxelles, un chantier au budget estimé de 310 millions d’euros et la diversité des intérêts en jeu, il estclair qu’on reparlera encore de ce dossier…

1. Neerpede Blijft !, Kiekenstraat, 1070 Bruxelles
– site : www.neerpede.org
2. Cabinet du bourgmestre d’Anderlecht :
– adresse : place du Conseil, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 558 08 13
– courriel : gvangoidsenhoven@anderlecht.irisnet.be
– site : www.anderlecht.be
3. Inter-environnement Bruxelles
– adresse : rue du Midi, 165 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 12 96
– site : www.ieb.be

Jacques Remacle

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