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Les écoles de la dernière chance

Lancées dans un cadre expérimental en 1998, les Écoles de la deuxième chance, destinées à « remettre en selle » des jeunes coupés dumonde du travail, se multiplient un peu partout en Europe. Visite de l’école pionnière, à Marseille.

14-01-2009 Alter Échos n° 265

Lancées dans un cadre expérimental en 1998, les Écoles de la deuxième chance, destinées à « remettre en selle » des jeunes coupés dumonde du travail, se multiplient un peu partout en Europe. Visite de l’école pionnière, à Marseille.

En plein cœur des quartiers nord de Marseille, sur le site des anciens abattoirs, l’École de la deuxième chance1 est installée sur un véritablecampus de 4,5 hectares et de 10 000 mètres carrés de bâtiments avec colonnades, cour et jardins. Impressionnant. Aucun des cofinanceurs (collectivités locales,État et Europe) du complexe ne semble avoir mégoté pour réussir « l’intégration professionnelle et durable de jeunes sortis du systèmeéducatif sans qualification et sans emploi » : 14 millions d’euros ont été investis. Visite des installations – l’impression se confirme. Auditoires, salles declasse, infrastructures sportives, cantine, tout est nickel et le directeur de l’école, Lionel Urdy, est très fier de faire constater que les bâtiments n’ont connuaucune dégradation et presqu’aucun graffiti depuis l’installation de l’école dans ses locaux définitifs en 2001.

Ce projet marseillais fait partie intégrante d’un dispositif européen, initié dès 1995, dont l’objectif est de lutter contre l’exclusion et de permettre àdes jeunes n’ayant pas le niveau scolaire ni les expériences professionnelles nécessaires, d’intégrer un emploi stable ou une formation qualifiante. L’École dela deuxième chance de Marseille a été la première du genre en Europe. Rien qu’en France, elles sont aujourd’hui plus d’une quinzaine. Pour intégrer leréseau, ces « écoles » doivent absolument s’adresser à un public en difficulté et mettre en place une pédagogie innovante, tout en étant enétroite relation avec le monde économique.

Last but not least…

Mais si Marseille fût ville pilote, ce n’est pas un hasard : quelque 4 500 jeunes y quittent chaque année le système scolaire sans aucun diplôme. Ils sont issusprincipalement des quartiers nord de la Ville. Nul hasard non plus donc dans le fait de trouver l’École de la deuxième chance de Marseille (E2C Marseille) en plein cœur deces quartiers… « Notre objectif est d’assurer, par l’éducation et la formation, l’insertion professionnelle et sociale de jeunes de 18 à 25 ans, sortis dusystème scolaire depuis au moins un an, sans diplôme ni qualification, explique Lionel Urdy. Nous recevons, par an, environ 400 élèves. Les entrées se font 15à 16 fois par an, nous avons en permanence une liste d’attente. Le temps de présence moyen est de six mois et demi. Nous tenons énormément au motécole, car c’est là notre identité : nous avons une véritable mission pédagogique. Quant à la deuxième chance, ce n’est pas fauxmais je parlerais plutôt de « dernière chance » car nous arrivons souvent après un long parcours scolaire d’exclusion. »

Le principal critère pour intégrer les Écoles de la deuxième chance est la motivation. « Nous sélectionnons des jeunes qui ont eu un déclic, qui ontpris conscience qu’ils avaient un niveau trop faible pour intégrer un emploi stable, poursuit Lionel Rudy. Généralement, ces jeunes arrivent à l’E2C par lebiais des missions locales ou des associations œuvrant dans le champ de l’insertion, et aussi par le bouche à oreille, nous avons ainsi beaucoup de fratries. Il n’est pasnécessaire, au moment de l’entrée dans l’école, d’avoir un projet précis : l’une des ambitions de la structure est de permettre au jeune deconstruire son projet de vie, qu’il puisse appréhender le monde de l’entreprise. Seule compétence requise : savoir lire et écrire en français. »

À l’E2C, aucun programme n’est préétabli et les cursus se construisent au rythme individuel de chaque élève. Leur durée peut varier desix mois à un an, parfois plus : elle dépend du projet de l’élève. Le dispositif de l’E2C propose un parcours type d’une durée totale de 42semaines dont, au moins, 14 semaines de stage.

Profil des stagiaires

En 2007, les stagiaires de l’E2C de Marseille :
• avaient un parcours moyen de 6,5 mois,
• avaient quitté le système scolaire depuis environ 3 ans,
• représentaient près de 11 nationalités (13 % ne sont pas de nationalité française),
• 47 % étaient des femmes,
• ils étaient âgés de 20 ans en moyenne,
• 90 % n’avaient aucun diplôme,
• 78 % habitaient dans les quartiers dits de « politique de la ville ».

Un parcours presque sur mesure

Le passage dans la structure se décompose en trois temps : la première étape, dite d’évaluation et de détermination, consiste à faire émergerun projet professionnel et, à ce stade, les stages d’éveil dans les entreprises jouent un rôle fondamental. Cette première étape débute par une sessiond’intégration progressive pendant laquelle le stagiaire découvre le dispositif de l’E2C et évalue sa pertinence pour son avenir. Pendant cette sessiond’intégration, une évaluation initiale et un plan d’intégration sont réalisés pour chacun des stagiaires, leur premier stage en entreprise esteffectué dès la session d’intégration. On mesure les motivations et l’intérêt du stagiaire pour un ou plusieurs secteurs d’activité. Cetteétape permet aussi de débuter les séquences de formation individualisées dans les savoirs généraux : communication/français,raisonnement/mathématiques, anglais, informatique et sport. La remise à niveau pédagogique s’inspire, dans son évolution, des ceintures du judo, le socle descompétences fondamentales de l’E2C étant fixé à la ceinture orange (celle qui vient après les blanche et jaune).

Lors de la deuxième étape, le lien entre plan de formation et apprentissage des gestes professionnels est réalisé, module après module. Des séquences deprésentation de métiers sont proposées afin de compléter le portefeuille de connaissances des stagiaires, en appui des stages en entreprise effectués tout au longdu parcours. Le projet professionnel peut ainsi être formalisé et validé.

Lors de la troisième et dernière phase, le projet professionnel est confirmé. Le dossier de reconnaissance des acquis professionnels et de l’expérience (Rape) estréalisé puis soutenu devant un jury. Ce dossier présente l’ensemble des compétences acquises au cou
rs de la formation en centre et en entreprise, explique le projetprofessionnel et les raisons de son choix. Un dossier qui est directement inspiré de la logique du « portefeuille de compétences ».

Un référent suit personnellement chaque stagiaire pendant son parcours, aussi bien en entreprise qu’à l’école. « Cette personnalisation de laformation permet une plus grande flexibilité du rythme de l’alternance », explique Lionel Urdy. À côté du pôle pédagogique de l’école,se trouve le pôle « vie collective » qui se travaille avec chaque stagiaire : son rapport à la norme et au règlement (à l’E2C comme en entreprise), sonidentité en tant que citoyen (expression démocratique au sein de l’école) et la prise en compte des problèmes périphériques à la formation, enrelation étroite avec les partenaires de l’E2C (santé et accès aux soins, logement, accès aux droits, problèmes avec la justice, etc.).

Une fois sorti du dispositif, le tuteur continue de suivre l’ancien élève pendant un an. Enfin, et surtout, le taux de sortie positive de l’E2C est estimé à61 %. Un chiffre qui recouvre aussi bien les jeunes qui ont signé un contrat de travail que ceux qui entrent en formation longue et qualifiante au moment de leur sortie du dispositif (cf.encadré).

Les résultats

Depuis avril 1998, jusque fin 2007, l’E2C Marseille a accueilli plus de 2000 stagiaires et obtenu un taux de réussite de 60 % de sorties positives. « Ce chiffre recouvre desinsertions professionnelles directes – contrats en alternance et contrats de travail de droit commun – (8 % de contrats en alternance, 18 % de CDD et contrats aidés, 14 % de CDI et1 % de contrats courts) ainsi que des entrées dans le système traditionnel de formation qualifiante ou diplômante (19 %) », explique Lionel Urdy. Abandons etdémissions (14 % qui incluent notamment les sorties « non maîtrisables » du type incarcération, décès, déménagement, maladie etmaternité), exclusions (7 %) et personnes inactives ou toujours en recherche d’emploi à l’issue du parcours (18 %) composent les « non-réussites ».« Ces chiffres incluent les « non-réponses », à savoir les stagiaires qui disparaissent après un abandon, une exclusion, toujours temporaire, voire à la fin de leurparcours. Malgré les efforts faits par notre école pour suivre les stagiaires, certains partent sans laisser d’adresse, y compris à leur mission locale de rattachement», précise Lionel Urdy.

Les stages : 50 % du temps de la formation

Les périodes de stage représentent 50 % du temps passé dans l’école de la deuxième chance. L’objectif de ces périodes d’immersion dansla vie professionnelle évolue de la découverte du monde du travail jusqu’à la période d’essai d’un CDI. Pour trouver des terrains de stage etd’éventuels contrats de travail, les E2C puisent dans leurs réseaux relationnels et les tuteurs n’hésitent pas à solliciter les membres de leur comitéde pilotage. Ces comités de pilotage sont composés de représentants de l’ensemble des collectivités territoriales, des chambres de commerce et d’industrie, deschambres des métiers, de l’ANPE et des organisations patronales locales. Plus de 2 000 entreprises, regroupements d’entreprises et associations sont partenaires de l’E2CMarseille. « Elles embauchent les stagiaires dans environ 150 métiers, précise son directeur. Ce sont majoritairement des petites, voire de très petites entreprises, desartisans. Il est vraiment très rare que nous travaillions avec des entreprises de plus de 60 personnes. » Les principaux secteurs partenaires sont ceux qui offrent le plusd’emplois : hôtellerie, restauration, commerce, grande distribution, bâtiment et travaux publics.

Pendant la durée de la session d’intégration progressive, le jeune bénéficie du statut de stagiaire de la formation professionnelle nonrémunéré. À la fin de cette période, si son bilan est positif, il signe un contrat d’engagement pédagogique et bénéficie du statut destagiaire de la formation professionnelle rémunéré. Le montant de cette rémunération est directement lié à sa présence àl’école et en entreprise et varie en fonction de plusieurs paramètres (âge, enfant à charge…). Les élèves sont rémunérés auminimum 320 euros par mois, pour un temps de formation de 35 heures par semaine.

Pérenniser les Écoles

En France, les écoles de la deuxième chance ont toutes le statut d’association loi 1901 (des asbl). Elles disposent depuis 2004 de leur propre réseau2 pour mettreen commun leurs expériences et sont regroupées autour d’une charte qui garantit le respect de leurs valeurs. « Seules les écoles qui respectent à partentière notre charte sont intégrées, c’est un principe fondamental pour préserver notre identité », précise Lionel Urdy. Par ailleurs, lesécoles de la deuxième chance présentent l’originalité d’associer tous les acteurs du territoire à leur action et, surtout, de disposer d’unréseau très étendu et diversifié d’entreprises sur leur bassin de vie. Ainsi à Marseille, 90 % des entreprises partenaires sont localisées dans la zonemétropolitaine. En 2008, le réseau français comptait 16 membres qui géraient 41 sites écoles sur 12 régions et 25 départements. D’autresécoles sont encore en projet. Pour 2008, la capacité d’accueil a dépassé les 4 500 places. Le taux de sorties « positives » au niveau du réseauest sensiblement le même que pour l’école de Marseille : 61 %.

Parmi les arguments souvent avancés par les tenants de cette pédagogie alternative auprès de leurs pouvoirs subsidiants, le coût de l’année scolaire.Contrairement à ce que l’encadrement peut laisser paraître, le coût moyen annuel du parcours des jeunes s’élevait en 2008 à 8 100 euros (horsrémunération des stagiaires), soit un coût moins élevé que celui de l’année scolaire d’un collégien français. Le budget médiand’une école de la deuxième chance est de 24 millions d’euros par an. Un budget pris en charge par les Régions, partenaires et financeurs majeurs, au côtédu FSE3, des villes et agglomérations, des Conseils généraux et des entreprises. Actuellement, les partenaires institutionnels et financiers cherchent des solutionspour pérenniser le financement des E2C et stabiliser leur fonctionnement, au moment où la baisse du FSE disponible met en cause leur équilibre budgétaire et oùl’engagement
de l’État est jusqu’ici resté ponctuel.

Le dispositif essaime en Europe

Depuis 1998, date de l’ouverture de l’école pilote à Marseille, les écoles de la deuxième chance se multiplient comme des petits pains. Il existeaujourd’hui une quarantaine d’écoles membres du réseau dans l’ensemble de l’Union européenne (www.e2c-europe.org). Pour intégrer formellement le réseau, les structures candidates doivent répondre aux exigences de la charte, ce qui nécessite bien souventquelques aménagements. Une condition qui explique qu’un nombre important de structures gravitent autour du réseau, sans être encore officiellement intégrées.Les conditions d’intégration ont cependant été adaptées au fil du temps pour permettre à plus de structures de rejoindre le réseau. Ainsi, toutes lesstructures ne sont pas rattachées à l’éducation nationale ou ne travaillent pas forcément avec les entreprises. Certaines, comme en Grèce, ont un public pluslarge et travaillent avec des stagiaires jusqu’à 50 ans.

1. École de la deuxième chance :
– adresse : 360, chemin de la Madrague Ville à 13344 Marseille cedex 15 , France
– tél. : + 33 (0)4 96 15 80 40
– site : www.e2c-marseille.net
2. Réseau E2C France :
– adresse : 32, rue Benjamin Franklin à 51000 Châlon-en-Champagne, France
– tél. : + 33 (0)3 26 69 69 70
– courriel : contact@reseau-e2c.fr
3. FSE (Fonds social européen) : il s’agit de l’un des « fonds structurels » de l’Union européenne, actif par programmations quinquennales, et qui a pour objectif de réduireles écarts de richesse et de niveau de vie entre les États membres de l’UE et entre leurs différentes régions, et, par voie de conséquence, de promouvoir lacohésion économique et sociale. Voir le site http://ec.europa.eu/employment_social/esf/discover/esf_fr.htm

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