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Migration

Demandeurs d’asile: leurre des comptes

Bien qu’il s’agisse d’une obligation légale, certaines banques refusent d’ouvrir un compte aux demandeurs d’asile. Pourtant, ce service financier est primordial pour les aider à s’intégrer et à couvrir les besoins essentiels de leur vie quotidienne.

Les banques, hors la loi en refusant l’ouverture de comptes à des demandeurs d’asile ou des sans-papiers ?

Bien qu’il s’agisse d’une obligation légale, certaines banques refusent d’ouvrir un compte aux demandeurs d’asile. Pourtant, ce service financier est primordial pour les aider à s’intégrer et à couvrir les besoins essentiels de leur vie quotidienne.

Fabienne (*) est tutrice d’un jeune demandeur d’asile syrien. En prenant rendez-vous avec diverses banques pour lui ouvrir un compte bancaire, les déconvenues se sont rapidement enchaînées. «Dès le départ, en m’adressant aux guichets, on m’a répondu que cela allait être très compliqué, ne serait-ce que pour avoir un rendez-vous. Chez ING, le document d’identification en ma possession – l’annexe 26, premier document que les demandeurs d’asile reçoivent – n’était pas suffisant alors que Febelfin (NDLR : la Fédération belge du secteur financier) indique sur son site qu’il l’est pour prouver son identité pour pouvoir ouvrir un compte», explique-t-elle.

«L’ouverture d’un compte en banque reste une mission quasiment impossible pour les personnes demandeuses d’asile ou réfugiées.», Julien Collinet, Financité

Un cas loin d’être rare. Il y a peu, Wafiq, jeune demandeur d’asile palestinien, s’est vu lui aussi refuser pour la deuxième fois l’ouverture d’un compte courant chez BPost Banque alors qu’il avait les documents nécessaires. Finalement, BPost, via son médiateur, a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur et a annoncé que la situation devrait se régler normalement dans les prochaines semaines. «J’entends beaucoup d’autres tuteurs qui se plaignent du même traitement et de la non-application de la législation sur le service bancaire universel, que ce soit chez BPost Banque ou d’autres banques. C’est souvent très difficile pour des demandeurs d’asile, qui maîtrisent encore peu notre langue ou tout simplement qui méconnaissent leur droit de pouvoir se défendre», souligne sa tutrice, l’Écolo Catherine Morenville.

Un cadre juridique non respecté

De son côté, Febelfin indique néanmoins que ces situations restent exceptionnelles. Même si, après plusieurs cas, le service des tutelles – dépendant du ministère de la Justice – a toutefois dû rappeler aux banques leurs obligations légales en matière de service bancaire minimum. Sur son site, Febelfin précise d’ailleurs noir sur blanc que «les réfugiés et les demandeurs d’asile peuvent prétendre au service bancaire de base». Ce service bancaire prend la forme d’un compte à vue avec une carte de débit, permettant de faire des dépôts, des retraits d’argent ou encore des virements. Toutes ces opérations sont possibles à condition qu’il y ait de l’argent sur le compte. Febelfin rappelle aussi que les banques ont l’obligation de vérifier l’identité du client dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent. La loi belge impose aux établissements une obligation légale d’identifier leurs clients et de vérifier leur identité, au moyen d’une carte d’identité ou d’un passeport. Dans le cas des réfugiés et demandeurs d’asile, la vérification de leur identité peut être opérée au moyen du certificat d’inscription au registre des étrangers ou au moyen du document qui leur est délivré par les autorités en fonction de leur statut sur le territoire belge.

«Malgré ce cadre juridique favorable permettant expressément l’accès aux services financiers aux personnes en situation précaire sur le territoire belge, l’ouverture d’un compte en banque reste une mission quasiment impossible pour les personnes demandeuses d’asile ou réfugiées», reproche aussi Julien Collinet, chez Financité. «Comme c’est un public sans véritable patrimoine financier, cela intéresse peu les banques. D’ailleurs, il n’est pas anodin qu’elles fassent peu, voire pas du tout, la publicité de ce service bancaire de base», poursuit-il.

«Certaines banques semblent s’appuyer sur des obligations anti-blanchiment de capitaux afin de justifier le refus de clients peu intéressants sur le plan financier.», Alexandra Buchler, Myria

Une directive européenne de 2015 donne d’ailleurs à tout un chacun – «y compris à ceux qui ne possèdent pas d’adresse fixe et aux demandeurs d’asile», rappelle Julien Collinet – le droit d’ouvrir un compte bancaire de base n’importe où dans l’Union européenne. La directive laisse également la possibilité aux États membres d’imposer des systèmes de tarification différents en fonction des publics, afin d’offrir des conditions plus favorables aux consommateurs les plus vulnérables. À titre d’exemple, indique Financité, deux banques autrichiennes offrent désormais aux demandeurs d’asile la possibilité d’ouvrir des comptes bancaires gratuits, pour lesquels les documents d’identité exigés sont plus simples à réunir. Ce compte bancaire comprend une carte bancaire, mais aussi l’accès à des services de transferts de fonds via Western Union.

Des plaintes régulières

Du côté de Myria, le Centre fédéral Migration, on dénonce cette situation suivie maintenant depuis plusieurs années. «On reçoit régulièrement des plaintes, et cela ne concerne pas uniquement les demandeurs d’asile ou les réfugiés. Même les ressortissants européens peuvent avoir des problèmes pour ouvrir un compte bancaire», explique Alexandra Buchler. Un problème qui s’est intensifié, selon elle, avec la crise migratoire. «Et malgré les rappels à l’ordre faits par Febelfin, la situation ne change pas vraiment», déplore-t-elle. Dans la pratique, Myria constate que nombre de problèmes surviennent dans le cadre de l’obligation des banques d’identifier leurs clients. «Mais les banques l’interprètent de différentes façons. Leur politique d’acceptation de clients n’est pas transparente et elles invoquent leur liberté contractuelle. Certaines banques semblent s’appuyer sur des obligations anti-blanchiment de capitaux afin de justifier le refus de clients peu intéressants sur le plan financier. Elles ne doivent pas motiver leur refus, ce qui rend souvent impuissants les clients potentiels», relève Alexandra Buchler. Pourtant, comme le prévoit la loi, le refus d’un compte en banque de base doit être signifié par écrit par le biais d’un formulaire de demande mis à disposition par la banque. «Dans la pratique, il n’en est quasiment jamais fait usage. Par conséquent, il devient difficile pour les consommateurs d’introduire une plainte auprès du service de plaintes interne de la banque, ou ultérieurement auprès d’Ombudsfin, le médiateur en conflits financiers, et ils peuvent à peine faire valoir leurs droits.» En ce qui concerne l’Ombudsfin, une seule plainte touchant à l’accès bancaire des demandeurs d’asile a été introduite l’an dernier.

Myria rappelle aussi que la loi anti-discrimination interdit toute discrimination directe ou indirecte sur la base de la nationalité. S’appuyant sur cette loi, la cour d’appel de Bruxelles a estimé que, pour ouvrir un compte en banque, une personne en séjour illégal pouvait démontrer son identité en produisant un passeport et en fournissant son adresse, à l’aide de divers moyens. «Refuser l’accès à un compte en banque, même lorsque la personne est en mesure de s’identifier à l’aide d’un passeport, peut donc être considéré comme une discrimination sur la base de la nationalité», indique encore Alexandra Buchler.

(*) Le prénom a été modifié.

En savoir plus

«En Allemagne, efforts conjugués pour l’emploi des réfugiés», Alter Échos n° 439, Cédric Vallet, 20 février 2017

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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