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"Les CPAS bruxellois et les soins de santé : absence d'harmonisation"

18-03-2002 Alter Échos n° 116

En juin 2001, une enquête1 portant sur les différentes interventions dans les frais médicaux et particulièrement sur l’application de la carte médicale etpharmaceutique dans les CPAS bruxellois conduisait à un constat interpellant : « Tant les travailleurs sociaux que les usagers ne sont pas informés de la manière dont chaque CPASmène son travail en matières de soins de santé. L’expérience démontre que chaque CPAS mène sa propre politique et utilise ses propres critèreset tarifs. Souvent, les décisions sont prises par le Conseil de l’aide sociale ou par le travailleur social. La transparence est rare dans les CPAS et elle n’existe pas au niveaurégional. Pour les travailleurs sociaux qui accompagnent les usagers dans différentes communes, il est difficile de décrypter les différents systèmes. Dèslors, ils ne peuvent informer leurs usagers de l’aide qu’ils peuvent obtenir. Ceux qui déménagent vers une autre commune font l’expérience de différencesimportantes : ce qui est possible dans un CPAS ne l’est pas dans l’autre. L’absence de transparence se marque surtout dans la pratique de la carte médicale et/oupharmaceutique ».
1 L’application de l’article 57
Point de départ de l’enquête : l’article 57 de la loi sur les CPAS selon lequel « Le CPAS a pour mission d’assurer aux personnes et aux familles l’aide due par lacollectivité. Il assure non seulement une aide palliative ou curative, mais encore une aide préventive. Cette aide peut être matérielle, médico-sociale oupsychologique. » Premier constat : toutes les possibilités ne sont pas (suffisamment) utilisées dans l’application de l’article 57. La plupart des CPAS utilisent en effet unecarte médicale et/ou pharmaceutique (cf. glossaire p. 6) mais pas tous dans la même mesure. La moitié des travailleurs qui ont répondu au questionnaire en est satisfaite.Une petite moitié y voit des avantages et des inconvénients, seul un travailleur est insatisfait. Le CPAS peut aussi faire appel aux mécanismes de la sécuritésociale qui sont prévus par les autorités fédérales en vue d’un meilleur accès aux soins de santé pour les groupes cibles fragiles. Du questionnaire,il ressort que les CPAS n’utilisent pas toujours ces dispositifs, surtout le système du tiers-payant.
2 Trop grandes différences entre CPAS dans l’application de la carte médicale et/ou pharmaceutique
9es différences apparaissent dans les domaines suivants.
2 .1. Les critères d’attribution de la carte
Lorsqu’ils existent, les critères sont différents partout. Ceci induit une dépendance du bénéficiaire en fonction de la bonne volonté du CPAS. Ni lesusagers, ni les travailleurs médico-sociaux ne savent sur quelle aide ils peuvent compter.
2.2. Le pouvoir de décision des différents acteurs
Dans un CPAS, le pouvoir de décision du Conseil ou du Comité spécial est étendu, dans un autre, le service social a plus d’autonomie. Pour prévenir les abusen matière d’utilisation de la carte, à plusieurs endroits, le Conseil, le Comité spécial ou l’administration dit encore donner un accord sur chaqueprescription. « À vrai dire, conclut le rapport, ils ne sont pas compétents pour juger de la nécessité des soins et des aides qui sont mis en œuvre à cette fin.Le trajet administratif qui doit suivre la demande de l’usager, est souvent trop long. De plus, la protection de la vie privée de l’usager est mise en péril de cettemanière. »
2.3. Les différentes sortes de soins, de médicaments et de services couverts par la carte
Les CPAS prennent comme base les tarifs de l’Inami. En outre, chaque CPAS a ses propres tarifs pour certains médicaments et aides. Pour certains soins et aides, on fixe une interventionmaximale, parfois un pourcentage, parfois une somme forfaitaire à défalquer. Certains CPAS prennent beaucoup à leur charge, d’autres peu. « Il n’y a ni vue globale nitransparence dans ce domaine, dénonce le rapport. Ni les prestataires de soins ni les patients ne savent sur quelle intervention ils peuvent compter. Pour les collaborateurs de CPAS, s’yretrouver exige beaucoup de travail. »
2.4. Les critères auxquels les prestataires de soins ou les pharmaciens doivent satisfaire pour pouvoir travailler avec la carte
Dans certains CPAS, tous les prestataires de soins qui le souhaitent peuvent travailler avec la carte, sans conditions. D’autres CPAS imposent des limites et demandent que les prestataires desoins signent une convention avec eux. C’est la raison pour laquelle certains CPAS travaillent avec beaucoup de prestataires de soins, y compris avec ceux d’autres communes,d’autres avec un nombre limité. Certains prestataires de soins ne sont pas acceptés. C’est une limite au libre choix des usagers. De même toutes les disciplines nepeuvent pas travailler avec la carte médicale. L’usager doit parfois décliner les services de son propre médecin. « Devoir changer de prestataire de soins ou de servicemédical ne favorise ni la continuité des soins ni la qualité, étant donné l’importance de l’existence d’une relation de confiance. »
2.5. Le remplacement du médecin traitant en cas d’absence
L’usager ne peut pas toujours choisir à qui il s’adresse en cas d’absence de son médecin traitant. Parfois, il doit s’adresser au service d’urgence, ce quiencourage un usage impropre des services d’urgence. Les pharmaciens n’acceptent parfois pas la prescription d’un autre médecin que celui qui est indiqué sur la carte.Le remplaçant éprouve parfois des difficultés de paiement de ses honoraires.
2.6. La collaboration avec les hôpitaux
Certains CPAS collaborent seulement avec un ou quelques hôpitaux. « Ceci ne limite pas seulement le libre choix de l’usager, mais cela concentre un public défavorisé danscertains hôpitaux, alors que les autres ont également une responsabilité sociale. »
3 Témoignage de terrain
Médecin conventionné avec le CPAS de Bruxelles-Ville, Lawrence Cuvelier2ütravaille à la maison médicale de la rue de l’Enseignement. Il est égalementl’un des deux représentants de la Fédération des maisons médicales bruxelloises et l’un des trois représentants des médecins conventionnésavec les CPAS bruxellois. Son analyse confirme les résultats de l’enquête réalisée par le BWR.
AE – Constatez-vous des différences d’application en matière de soins de santé d’un CPAS à l’autre ?
L.C. – « Je travaille comme médecin conventionné pour Bruxelles-Ville où il faut bien l’admettre, la politique du CPAS en matière de soins de santé estnettement meilleure que dans d’autres CPAS bruxellois. La liste des médicaments remboursés par le CPAS, par exemple, a été établie en concertation avec lesmédecins et les pharmaciens de la commune. Elle est revue tous les deux ans. Schaerbeek l’a également adopté
e, Molenbeek devrait suivre sous peu. Les autres communes ontdes listes différentes avec parfois des lacunes ou des remboursements aberrants. C’est un non-sens de ne pas harmoniser cette liste pour qu’elle soit commune à tous lesCPAS. À Bruxelles-Ville, j’ai aussi demandé qu’on établisse une convention entre le CPAS et le médecin afin d’éviter les abus, notamment desurconsommation. Il faut éviter les dérives qu’on rencontre dans les urgences. Tous les CPAS ne demandent pas à leurs médecins de se conventionner, les règlessont donc loin d’être identiques de commune à commune. Sur Bruxelles-Ville, pour être agréé par le CPAS, il faut en faire la demande, fournir un certificat debonnes vie et mœurs et signer la convention, nous sommes ainsi 80 médecins agréés. Au niveau politique, il n’existe pas de réelle volontéd’harmoniser les différentes règles parce qu’on touche là à la sacro-sainte autonomie des CPAS. J’ai essayé à plusieurs reprisesd’obtenir un rendez-vous auprès d’Yvan Mayeur, président du CPAS de Bruxelles-Ville mais également de la Conférence des présidents de CPAS bruxellois,afin de l’entretenir de ce problème, j’attends toujours mon rendez-vous…
AE – Comment expliquez-vous qu’il y ait autant de personnes minimexées qui recourent aux services d’urgence des hôpitaux ?
L.C. – Il y a tout d’abord l’habitude culturelle. Avant, lorsqu’on n’avait pas les moyens de se payer un médecin, on allait à l’hosto. Certains continuentà raisonner de cette façon bien que les soins chez le généraliste soient remboursés. Il y a aussi l’aspect technique, l’appareillage dans leshôpitaux est impressionnant, on se dit qu’on y sera mieux soigné… Ce qui en soi est une aberration et conduit à des non-sens comme de se rendre aux urgences poursoigner une angine. Celle-ci coûtera 25 euros si vous allez chez votre médecin tandis qu’elle coûtera 250 euros si vous vous rendez aux urgences, soit 10 fois plus cher pourun service pas particulièrement plus performant ! Le problème, c’est qu’il n’existe pas de financement structurel des urgences. S’il existait, les urgentistes nedemanderaient pas mieux que de ne plus traiter des angines. La véritable clientèle des urgences ne constitue que 10% des gens qui s’y présentent. Vous comprenez dans cesconditions que les services d’urgence ne sont pas prêts à perdre 90% de leur financement… Puis, il y a aussi la politique des CPAS qui envoient parfois dansl’hôpital qui dépend de lui. Normalement, le patient a le droit de choisir entre tous les hôpitaux du réseau public régional, mais dans les faits, cen’est pas le cas…Vous avez d’autres abus, comme le non-remboursement par certains CPAS de médicaments. Légalement, ils sont obligés de le faire maisconcrètement aucun patient ne portera plainte contre son CPAS par crainte de sanction ou par ignorance. On peut parler donc d’une certaine impunité des CPAS en lamatière.
AE – En termes de prévention, le CPAS remplit-il son rôle ?
L.C. – Il existe ce qu’on appelle des maladies sociales, avec au départ des symptômes faibles et une période de latence relativement longue et une apparition ensuite desymptômes très lourds en termes de soins. Je parle ici de diabétiques2, d’alcoolisme, de toxicomanie, de tension faible, etc. La population des CPAS, toutes lesenquêtes le démontrent, a une morbidité plus grande que la moyenne. Hormis la toxicomanie et encore cela dépend des zones, il n’existe pas de campagne deprévention de ces malades sociales. Il faudrait plus de coordination entre communes à cet effet et entre réseaux de structures sociales.
AE – Pourquoi devenir médecin agréé ?
L.C. – Lorsqu’on choisit de travailler dans une maison médicale, on fait déjà le choix de travailler avec une population fortement précarisée, en tous les caspour la plupart des maisons médicales bruxelloises. C’est un lieu privilégié pour un suivi multidisciplinaire dont ont souvent besoin les patientsdéfavorisés. C’est une médecine davantage de terrain. Lorsqu’il y a progrès chez le patient, ce qui peut arriver, notamment avec les toxicomanes, c’estaussi plus gratifiant. Mais il y a évidemment le revers de la médaille. Nous sommes souvent les bonnes poires au niveau financier. Sur une consultation qui coûte 16 euros, jen’en reçois parfois que 11. La relève dans la médecine sociale commence également à manquer. Beaucoup de jeunes généralistes abandonnent lemétier, faute de clientèle suffisante… Ensuite, les patients arrivent avec des problèmes très « lourds » à gérer, et pas seulement en termes desanté. Ce n’est pas à la portée de tout le monde de s’occuper d’une clientèle précarisée, il faut être bien armé.
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Glossaire
> La carte médicale
Une carte médicale et/ou pharmaceutique est une carte attribuée par le CPAS à l’usager, pour une durée et un type de prestations déterminées. La cartemédicale mentionne le médecin généraliste (parfois aussi le kinésithérapeute, l’hôpital…) et la carte pharmaceutique, le pharmacien.L’usager ne doit plus demander l’autorisation du CPAS pour toutes les prestations ou médicaments et celui-ci paie la facture (ou sa plus grande partie).
> Le réquisitoire
Un réquisitoire est un moyen de paiement octroyé par le CPAS à l’usager, avec lequel celui-ci obtient gratuitement des soins, tout en offrant au prestataire de soins lagarantie de paiement par le CPAS. Les réquisitoires sont délivrés aux médecins généralistes et aux spécialistes, aux pharmaciens, aux services desoins à domicile, aux dentistes, aux hôpitaux, paramédicaux, etc.
> Soins organisés par le CPAS
Peu de CPAS offrent eux-mêmes des soins médicaux. Selon l’enquête effectuée en Région bruxelloise, un CPAS dispose d’une polyclinique et un autred’un centre médical. Un autre encore a un dispensaire avec un médecin et une infirmière, où l’on s’attache aussi à la prévention, maisoù il manque du personnel pour les visites à domicile. Un CPAS possède un dispensaire et un service de soins à domicile. Un autre n’a qu’un service de soinsà domicile.
> La franchise sociale
Ce dispositif est destiné à certaines catégories de personnes (inscrites) à bas revenus afin qu’elles ne paient pas plus de 15.000 F de ticket modérateur.Certains CPAS tiennent compte des avantages de la franchise sociale pour les services médicaux, d’autres non. On peut en conclure que 15.000 : 12 = 1.250 FB (soit 31 euros) par mois estconsidéré comme un montant supportable pour la plupart des usagers. On considère aussi que si l’État fédéral offre
cette possibilité,l’usager ne doit pas être remboursé une seconde fois. On parlera ici d’une double couverture dans les systèmes de prises en charge.
> Le système du tiers-payant
Par ce système, l’usager ne paie que le ticket modérateur. Celui-ci est constamment adapté aux coûts hospitaliers et des médicaments. L’usage peut aussidemander l’application de ce système chez le médecin et autres prestataires s’il se trouve dans une situation de besoin. Le prestataire de soins n’est pas tenud’appliquer ce système. En général, le CPAS paie les prestataires de soins au tarif Inami, demande procuration à l’usager pour encaisser la partie remboursableauprès de sa mutuelle et envoie la procuration à la mutuelle, accompagnée d’attestations de soins octroyés afin de récupérer les frais engagés.C’est parfois l’usager qui paie le ticket modérateur, parfois le CPAS. Les usagers qui veulent l’utiliser doivent faire compléter une « attestation de situation debesoin » par le prestataire de soins.
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1 L’enquête sur « Le rôle des CPAS bruxellois dans les soins de santé de leurs usagers » émane du groupe de travail « Accessibilité » réuni au sein du BWR(Brusselse Welzijns- en gezondheidraad). Ce groupe est composé de 18 organisations ou regroupements de services, actifs dans les domaines sociaux et de la santé en régionbruxelloise, soit en matière d’aide aux usagers, soit en matière de politique sociale. Pour la mise en œuvre de cette enquête, le groupe a fait appel au BWR et àL’Observatoire de la Santé.
2 Dr Lawrence Cuvelier, rue de l’Enseignement, 52 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 218 35 53 ou 02 537 88 25.

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