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Migrations

« Le mandat de Frontex est contraire au respect des droits fondamentaux »

En mars 2013, 21 associations, chercheurs et militants de la société civile d’Afrique et d’Europe ont lancé la campagne FRONTEXIT. Caroline Intrand, chargée des questions européennes auprès de l’asbl CIRÉ et du réseau Migreurop, dresse le bilan d’un an de campagne.

23-05-2014
©Flickr

En mars 2013, 21 associations, chercheurs et militants de la société civile d’Afrique et d’Europe ont lancé la campagne FRONTEXIT. Leurs analyses corroborent les préoccupations relevées par le Rapporteur des Nations Unies sur les droits humains des migrants, la Médiatrice européenne et le Conseil de l’Europe concernant la responsabilité de Frontex dans la violation des droits des migrants. Caroline Intrand, chargée des questions européennes auprès de l’asbl CIRÉ et du réseau Migreurop, dresse le bilan d’un an de campagne.

Les 21 associations qui portent la campagne Frontexit estiment que les activités de Frontex ne sont pas en accord avec le droit européen et le droit des réfugiés. Pourquoi ?

Nos associations observent les activités de l’agence depuis sa création. Créée à l’initiative de l’Union européenne en 2004, Frontex a pour mission de contrôler et de protéger les frontières extérieures des pays membres. Mais dès 2007, le réseau Migreurop avait émis beaucoup de réserves par rapport aux opérations de l’agence en eaux méditerranéennes. En 2009, par exemple, elle a interpellé 75 boat people en Méditerranée qu’elle a remis à la Libye, tout en reconnaissant qu’elle n’était pas sûre que leurs droits fondamentaux y seraient respectés. Depuis dix ans, le mandat de Frontex est exercé dans un objectif de contrôle, en contradictions avec le droit des réfugiés. Nos critiques s’appuient essentiellement sur deux principes fondamentaux : l’Art. 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui donne le droit de quitter tout pays y compris le sien. Et la convention de Genève, qui définit le droit de déposer une demande d’asile auprès des autorités d’un pays d’accueil. Et implique une interdiction de refoulement. Or, quand les gardes-côte interceptent des migrants, Frontex a droit d’ordonner aux bateaux de faire demi-tour, sans qu’aucune procédure de dépôts de demandes ne soit rendue possible. La responsabilité des États membres est mise en cause. Mais les contrôles renforcés aux frontières entraînent les migrants et les personnes en recherche de protection a prendre des voies détournées. Et souvent, à perdre la vie.

Depuis 2005, le budget de Frontex est passé de 6 millions d’euros à 137 millions en 2013. Aujourd’hui, de quels moyens et de quel « arsenal » dispose l’agence ?

Il y a un manque de transparence sur les biens de Frontex. Les derniers chiffres, datant de 2011, avancent que l’agence dispose notamment d’un arsenal de 116 navires, 27 hélicoptères et de 21 avions. Mais une grande partie du matériel de contrôle est prêtée par les États membres. Potentiellement, les moyens de l’agence sont donc beaucoup plus conséquents aujourd’hui. Le problème, c’est que Frontex n’a cessé d’acquérir de nouveaux pouvoirs sans garantie satisfaisante de respect des droits fondamentaux, en particulier depuis la révision de son mandat en 2011 et l’adoption du nouveau règlement sur les interceptions maritimes en 2014. L’agence a également la responsabilité d’administrer Eurosur, le vaste système européen de surveillance des frontières.

Vous déplorez plusieurs dérives, dont des méthodes quasi militaires…

Frontex intervient aux frontières terrestres, maritimes et aériennes. Elle exerce des activités de détection, d’interception et de retours forcés. Mais à cela, s’ajoutent de nouvelles prérogatives, dont des activités de screening, de détermination de la nationalité et d’identité, dans les centres de détention. En effet, les patrouilles de Frontex ont le droit de réaliser des interviews forcées auprès des migrants. Sous prétexte d’enquêter sur les routes migratoires et les filières de migration. Au final, l’UE utilise des moyens extrêmement dissuasifs, sécuritaires et disproportionnés sur des personnes déjà très vulnérables… Cette démonstration de force ne fait qu’entretenir une attitude d’hostilité à l’égard des migrants. Alors qu’un autre regard s’impose. En particulier sur leurs droits.

Entre les pays européens du Sud, où arrivent les clandestins, et les Etats du Nord, où veulent s’installer ces immigrants, où en est le dialogue ?

Les accords de Dublin obligent les pays d’entrée dans l’Union à instruire les demandes d’asile. La convention de Schengen donne aussi aux États du Sud la responsabilité de contrôler les frontières et de protéger les réfugiés. L’Italie, la Grèce et, plus récemment, la Bulgarie sont sous pression. Alors même que ces pays sont déjà fragilisés économiquement. Or, la guerre en Syrie et la faillite de l’État libyen sont déjà responsables de trop de tragédies en Méditerranée. Cette pression sur les États du Sud s’accentue, sans qu’aucune solidarité n’émane du Nord pour assurer une gestion et un accueil humain des réfugiés. Tous les États tentent de verrouiller l’immigration. Et le dialogue se crispe.

Après un an d’actions, quels sont les objectifs de Frontexit ? De quelles marges de manœuvre dispose le collectif ?

L’objectif des associations reste de faire toute la lumière sur les actions de Frontex et d’obtenir, au final, la suspension de ses activités. Les recherches et la collecte d’informations que nous avons entreprises, notamment au travers d’échanges de mails avec Frontex, mais aussi grâce à une mission réalisée sur le terrain, à la frontière Greco-Turque, démontrent que les activités de Frontex contreviennent aux droits fondamentaux et cautionnent les dérives de certains garde-côtes. Mais les marges de manœuvre sont faibles. Juridiquement, l’annulation de l’existence de Frontex est impossible. Seul son règlement pourrait être changé… Politiquement, les possibilités nous paraissent également faibles. A moins d’une vraie prise de conscience. Or, même le directeur de l’agence Frontex a déclaré que le renforcement des contrôles aux frontières et en mer ne sauve pas des vies.

 

Liens utiles :

CIRÉ asbl, Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers
http://www.cire.be/

Migreurop est un réseau de 43 associations, ainsi que de chercheurs et militants œuvrant pour la promotion et la défense des droits des étrangers bloqués aux frontières.
http://www.migreurop.org/

Rafal Naczyk

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