Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

« Éducation et Formation 2010 », bientôt à l’heure des bilans

En 2010, l’Union européenne (UE) fera le point sur le processus « Éducation et Formation 2010 ». À un an de cette échéance, l’occasionest belle de revenir sur un processus dont les effets semblent tarder à se faire sentir. À moins que…

16-01-2009 Alter Échos n° 265

En 2010, l’Union européenne (UE) fera le point sur le processus « Éducation et Formation 2010 ». À un an de cette échéance, l’occasionest belle de revenir sur un processus dont les effets semblent tarder à se faire sentir. À moins que…

À l’aube de l’an 2000, l’Union européenne, alors composée de quinze États membres, élabore la « Stratégie de Lisbonne ». Le but de cetteinitiative, avoué à demi-mot, est de concurrencer les États-Unis, alors en plein boom économique et technologique au sortir des années Clinton. À latraîne, l’Union européenne décide de mettre les bouchées doubles et se donne pour ambition de devenir « l’économie de la connaissance la pluscompétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plusgrande cohésion sociale ». Un programme qui implique notamment une « modernisation » de l’éducation et de la formation.

Dans ce cadre, en 2001, les ministres de l’Éducation adoptent un rapport détaillant les objectifs futurs en ce qui concerne l’éducation et la formation et se mettentd’accord sur un ensemble d’objectifs communs à atteindre à l’horizon 2010. Un an plus tard, le Conseil et la Commission approuvent un programme de travail pour dix ans ainsi que sa miseen œuvre au travers de la méthode ouverte de coordination. Le processus « Éducation et Formation 2010 » est né, et ses objectifs sont clairs : il s’agit d’« améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes d’éducation et de formation », de « faciliter l’accès aux systèmesd’éducation et de formation » et, enfin, d’ « ouvrir les systèmes d’éducation et de formation de l’Union européenne au reste du monde ». Trois objectifscensés servir une politique qualifiée de « Lifelong Learning Policy », l’éducation et la formation tout au long de la vie.

Cinq benchmarks en guise de référence

Afin d’assurer le suivi des éventuels progrès réalisés, un système d’indicateurs et de benchmarks, ou critères de référence,est mis sur pied. Sorte de balises ou d’objectifs à atteindre par l’Union européenne en termes d’éducation et de formation, ces benchmarks sont au nombre de cinq. Cinqobjectifs qui, à l’approche de 2010, semblent difficiles à atteindre, tant pour l’ensemble de l’Union européenne, aujourd’hui composée de 27 membres, que pour la Belgiqueet, plus particulièrement, sa partie francophone. Ainsi, le premier critère de référence fixe a pour objectif d’atteindre un taux de 12,5 % de participation de lapopulation adulte à l’éducation et à la formation tout au long de la vie. Un objectif que tant la Région de Bruxelles-Capitale (10,4 % de participation) que laRégion Wallonne (5 %) n’atteignaient pas en 2007 tandis que l’Union européenne se situait à mi-distance avec 9,7 % de participation.

Le deuxième critère de référence, quant à lui, se donne pour ambition de réduire d’au moins un cinquième, par rapport à 2000, le pourcentagede jeunes de quinze ans ayant de mauvais résultats en lecture (soit ayant atteint au maximum le niveau I sur l’échelle Pisa). Si ce pourcentage s’élevait au début dumillénaire à 21,3 % pour l’Union européenne et à 28,3 % pour la Communauté française, le but à atteindre en 2010 se situe donc à17,04 % pour l’Union européenne et à 22,5 % pour la Communauté française. Or, ici encore, tant les résultats de l’Union des 27 (24,1 % de jeunes de15 ans ayant de mauvais résultats en lecture en 2006) que ceux de la communauté française (26,3 %) ne sont pas bons. Ceux relatifs au troisième critère(atteindre une proportion de 85 % de jeunes achevant le second cycle de l’enseignement supérieur) ne le sont pas davantage : en 2007, l’Union européenne atteignaitpéniblement 78,1 % alors que la Région wallonne la devançait légèrement avec 79 %. La Région de Bruxelles-Capitale se situait quant à elle à71,7 %. Quant au quatrième critère, qui préconise de limiter à 10 % la proportion de jeunes âgés de 18 à 24 ans ayant quittéprématurément l’école, il n’est pas atteint non plus (14,8 % pour l’Union européenne, 12,8 % pour la Région wallonne et 24,6 % pour la Région deBruxelles-Capitale).

En fait, seul le cinquième critère (augmenter de 15 % le nombre de diplômés des filières mathématiques, scientifiques et technologiques) semble avoirété rencontré, facilement, par l’Union européenne puisque celle-ci comptait, entre 2000 et 2006, une croissance de 26,4 % à ce niveau alors que la Communautéfrançaise se traînait quelque peu avec une croissance de 9 % sur cette même période.

Des idéaux hors d’atteinte ?

À la lecture de tels résultats, on peut se poser la question de savoir pourquoi ceux-ci semblent si « mauvais ». Une réponse qui, selon Dominique Barthelemy,directeur général de la Direction générale des Affaires générales et de l’Audit budgétaire et financier1 en charge de la coordination duprocessus « Éducation et Formation 2010 » pour la Communauté française, serait à trouver du côté de la nature même des benchmarks.« Je pense que, dès le début, ces objectifs ont été mal ciblés, affirme-t-il. Si l’on veut bien considérer le cinquième benchmark,qui préconise d’augmenter de 15 % le nombre de diplômés des filières mathématiques, scientifiques et technologiques, force est de constater qu’il estlargement atteint par l’Union européenne. Or, dans tous les États membres, on se plaint d’un manque de scientifiques. Il y a donc quelque chose qui ne va pas, d’autantplus que de cette notion de « scientifiques » sont exclus, à l’heure actuelle, les médecins, les agronomes ou les vétérinaires… Pour prendre unautre exemple, le deuxième benchmark, relatif au pourcentage d’élèves de niveau I, ou moins, en lecture sur l’échelle Pisa, montre des résultatsen baisse au niveau de l’Union européenne. Si cela n’est pas bon, c’est néanmoins un constat que l’on retrouve dans la plupart des pays industrialisés. Deplus, je ferais remarquer que ce n’est pas parce qu’un pays obtient une bonne moyenne en niveau de lecture pour ses élèves qu’il baisse automatiquement son nombred’élèves en difficulté… »

Dès lors, face à ce constat, il semblerait plutôt que le rôle des benchmarks soit de servir de ciblage, d&rs
quo;idéaux à atteindre. DominiqueBarthelemy détaille : « À la mise en place de ces benchmarks, tout le monde était bien conscient qu’on n’atteindrait pas facilement les objectifs fixésen aussi peu de temps. Le but de ces critères est plutôt d’initier un mouvement qui puisse favoriser la mise en place de politiques pérennes permettant d’atteindre ces objectifs.Il ne faut donc pas trop se fixer sur ces benchmarks. Dans un an, quand on fera le bilan de cette première étape et qu’on mettra un « Éducation et Formation 2020 » sur pied,ce problème des benchmarks risque d’ailleurs de se poser à nouveau. » Si le rôle d’Éducation et Formation 2010 semble donc plutôt être unrôle d’inspiration de nouvelles politiques, on peut dès lors se demander si de nouvelles politiques directement inspirées par le processus ont été mises enplace, notamment en Belgique francophone, où, on l’a vu, les objectifs fixés en 2002 sont loin d’être atteints. Une question qui entraîne une réponse nuancéedu côté du Conseil de l’Éducation et de la Formation2, un conseil consultatif de la Communauté française rassemblant 28 organisations et qui a pourmission de donner des avis relatifs à l’éducation et à la formation. « Des mesures comme le Plan Marshall ou le PST 2 [NDLR : Plan Stratégique Transversal 2, mis enplace par la Région wallonne et qui est consacré au « Développement du capital humain, des connaissances et du savoir-faire »] ont, bien sûr, étémises en place mais il est difficile d’affirmer qu’elles ont été directement inspirées par Éducation et Formation 2010, déclare ainsi un des chargés demission du Conseil. Il ne faut pas perdre de vue que les relations entre des processus européens comme Éducation et Formation 2010 et des politiques nationales ou régionales sontplus de l’ordre du va-et-vient, de l’échange, de l’aller-retour que de la « ligne directe ». De plus, en Belgique francophone, il faut bien admettre que l’élaboration de politiquestouchant à l’enseignement et à la formation est toujours très compliquée puisque ces matières dépendent de niveaux de pouvoir différents. Endébut de législature, tout le monde est toujours motivé pour avancer et puis le morcellement des responsabilités finit souvent par compliquer les choses. »

Dès lors, un processus comme Éducation et Formation 2010 a-t-il un impact réel ? Dominique Barthelemy répond par l’affirmative. « L’impact du processus estbien sûr diffus mais il n’en est pas moins certain. Il a permis d’initier une réflexion sur le sujet, et c’est un de ses principaux mérites. De plus, au niveau européen, cetype d’initiative permet de créer des espaces communs au sein desquels les différents États peuvent échanger à propos de certaines bonnes pratiques.N’oublions pas que nous sommes ici dans un objectif européen et que les benchmarks, pour revenir à eux, sont des benchmarks européens. »

Un pas vers l’employabilité ?

À parler d’échange de bonnes pratiques, tous les États membres ne semblent pas toujours avoir la même vision de ce qui est « bon » pourl’éducation et la formation. Certains parmi eux, aux rangs desquels on compte le Royaume-Uni mais aussi certains des États ayant adhéré en 2004, semblent de plus enplus tentés de faire correspondre éducation, formation et critères économiques du moment. Une tendance qui pourrait s’accentuer avec la crise actuelle. « Ilest clair que cette tendance à « l’employabilité » est un enjeu qui risque de refaire parler de lui affirme-t-on du côté du Conseil de l’Éducation et de laFormation. C’est une notion, qui, peu à peu, entre dans les mœurs. Ainsi, du côté de la Belgique francophone, on se crispait encore, il y a quelques années,dès que l’on parlait d’employabilité, ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui… Cette question pourrait dès lors revenir sur la table àl’heure de négocier un futur plan éducation et formation pour 2020. » Une question à propos de laquelle Dominique Barthelemy a son opinion : « Ducôté de la Communauté française, nous avons toujours été vigilants, à ce niveau, pour qu’il n’y ait pas une réduction de laformation et de l’éducation à ce seul concept. Et il est clair que, d’un certain point de vue, la Stratégie de Lisbonne pourrait amener à ce type de situation.Bien sûr, il faut également équiper les gens afin de les aider à trouver un emploi mais il ne faut pas non plus oublier l’épanouissement personnel… Toutest en fait une question d’équilibre… »

1. Direction générale des affaires générales et de l’audit budgétaire et financier :
– adresse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 36 17.
2. Conseil de l’Éducation et de la Formation :
– adresse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 26 21
– courriel : cef@cfwb.be
– site : www.cef.cfwb.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)