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« Affaires de femmes, femmes d’affaires » : le microcrédit décliné au féminin

« Affaires de femmes, femmes d’affaires » a pour objectif de soutenir les femmes qui veulent monter leur propre affaire et devenir indépendantes. Cela avec peu de moyenset en limitant les risques. Comment ? En leur offrant une formation et un accompagnement, gratuitement, ainsi que la possibilité d’obtenir un petit crédit sans devoir avancer lesgaranties bancaires.

17-11-2004 Alter Échos n° 175

« Affaires de femmes, femmes d’affaires » a pour objectif de soutenir les femmes qui veulent monter leur propre affaire et devenir indépendantes. Cela avec peu de moyenset en limitant les risques. Comment ? En leur offrant une formation et un accompagnement, gratuitement, ainsi que la possibilité d’obtenir un petit crédit sans devoir avancer lesgaranties bancaires.

À l’origine de « Affaires de femmes, femmes d’affaires », il y a un double constat porté par l’asbl Crédal1, coordinatrice du projet:

• Après avoir financé pendant quatre ans la création ou le développement de très petites entreprises avec comme objectif l’autocréationd’emplois et la (ré)insertion économique, Crédal arrive à la conclusion qu’elle ne touche pas l’entièreté du public des personnesprécarisées ayant la volonté et le potentiel de créer leur propre emploi. Il faut donc expérimenter d’autres méthodes.

• Les femmes sont sous-représentées dans le monde de l’entrepreneuriat et, même si le microcrédit pratiqué par Crédal se révèleparticulièrement adapté aux entrepreneuses, souvent réticentes à la prise de risques, les femmes restent minoritaires parmi les porteurs de projet financés de cettefaçon (cf. encadré pour la Wallonie).

L’idée vient alors de mettre en œuvre des cercles de crédit en s’inspirant directement des pratiques de la Grameen Bank, créée par M. Yunus auBangladesh. Grameen Bank, soit dit en passant, contestée chez certaines féministes (cf. encadré à ce sujet). Cette emphase mise sur les femmes par des organismes comme laGrameen Bank repose sur leur sens des responsabilités et les liens de solidarité qui peuvent se créer entre elles. L’utilisation de la méthode en Europe adéjà été testée avec succès en Angleterre : le « peer lending » fonctionne ainsi actuellement dans 70 groupes de femmes autour de Londres.

Le projet est un projet pilote, subsidié à hauteur de 400.000 euros par la cellule FSE du ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, il est portépar quatre partenaires, deux francophones, Crédal asbl et Vie féminine asbl2, et deux néerlandophones, Hefboom vzw et Stebo vzw. Il se développera sur troisvilles : Bruxelles, Genk et Liège en 2005 et 2006.

Pourquoi le microcrédit ?

« Le microcrédit se révèle particulièrement adapté aux entrepreneuses, souvent réticentes à la prise de risques financiers, en leur proposantdes crédits aux montants restreints, calculés justement et dans un esprit de progressivité », explique Michel Genet, directeur de Crédal. « Cela sevérifie par les chiffres : 32 % des microcrédits de Crédal MC2 sont accordés à des entrepreneuses. Les résultats des produits “PrêtsSolidaires” et “Prêts Lancements” du Fonds de Participation sont similaires. Ce résultat est donc bien supérieur aux 19 % de femmes chefs de très petitesentreprises (TPE) présentes dans la société belge. »

Pourtant cette approche, pour pertinente qu’elle soit dans nos sociétés occidentales assez individualistes, doit être complétée par d’autresméthodes si l’on veut toucher un public encore plus large parmi les personnes précarisées ayant la volonté et le potentiel de créer leur propre emploi. Delà l’importance des cercles de crédit.

La méthode

• La formation : Les participantes au programme suivront une formation intensive et pratique dont l’objectif est l’élaboration de leur business plan. Cette formation estgratuite et durera neuf semaines.

• Le crédit et les cercles de crédit : Parallèlement à cette formation, elles formeront des cercles de crédit de trois à cinq femmes. Ces cercles decrédit se réuniront régulièrement et ses membres se soutiendront et se conseilleront mutuellement dans la construction de leur projet. Les cercles jouent un grandrôle dans l’octroi des crédits :
– Ils donnent l’autorisation à leurs membres de présenter leur dossier au comité de crédit qui ne pourra qu’avaliser la décision du cercle ou demanderque le dossier soit retravaillé.
– Les membres du cercle se portent caution morale (pas financière) les uns des autres. Une fois le crédit décaissé, les membres du cercle continuent à seréunir régulièrement pour s’épauler et faire le suivi des remboursements.

• L’accompagnement : Durant toute la période de remboursement, les cercles pourront bénéficier de l’accompagnement de professionnels.

Les principes sur lesquels la méthode se base sont :

• Les participantes se choisissent librement ;

• Chaque cercle définit son “règlement d’ordre intérieur”.

Les participantes se réunissent une fois par mois au minimum et s’engagent moralement à tout mettre en œuvre pour que celles qui ont pris un crédit le remboursentbien. Une fois le projet préparé, il s’agira de le concrétiser.
Pour ce faire, un petit crédit peut s’avérer nécessaire.

Deux formules sont possibles :

• 0 à 4.000 euros en une tranche sur 18 mois à du 5 %.
Exemple : Pour démarrer son activité, une couturière doit acheter une machine à coudre et un stock de tissus. Un crédit de 4.000 euros lui est octroyé pourfinancer ses investissements.

• 0 à 4.000 euros en deux tranches sur 24 mois à du 5 %.

Exemple : Notre couturière a un peu de fonds propres et n’emprunte que 3.000 euros. Au bout de neuf mois, elle en a remboursé la moitié. Elle décided’organiser un événement et a besoin de fonds pour un mailing publicitaire. Elle peut encore emprunter 2.500 euros sur 15 mois.

4.000 euros, n’est-ce pas un peu peu ?

Mais pourquoi limiter le crédit offert à 4.000 euros, ce qui semble a priori assez peu élevé comme montant ? « Nous nous sommes basés sur le montant moyendes bourses octroyées dans les couveuses d’entreprises et les coopératives d’activités et qui semblent suffire, répond Michel Genet. “Affaires de femmes,femmes d’affaires” s’inscrit dans une logique de test et de progressivité. Le programme privilégie donc les activités de service qui demandent peud’investissements financiers. Afin de favoriser cette approche et de permettre aux candidates d’éviter un passage trop brutal vers le monde des indépendants, la question dustatut des candidates sera étudiée au cas par cas. Indépendant complémentaire, stagiaire dans une couveuse d’entreprise, indépendant dans unecoopérative d’act
ivités sont des statuts qui seront, dans la mesure du possible, encouragés. En outre, les femmes à qui s’adresse “Affaires de femmes,femmes d’affaires” sont a priori peu enclines à emprunter. Elles ne veulent pas qu’en cas d’échec de leur projet, elles se retrouvent avec des mensualitéstrop lourdes à rembourser. On leur propose donc une double démarche : calculer le montant qu’elles peuvent emprunter en fonction du budget actuel du ménage et calculer lemontant dont elles auront besoin pour mettre en œuvre leur projet. Dans le meilleur des cas, ces montants coïncideront. Dans les autres cas, les candidates entrepreneuses sauront avecexactitude quel risque elles prendront et pourront réfléchir aux solutions à mettre en place en cas d’échec. Si le besoin financier devait dépasser les 4.000euros les porteuses de projet auront bien entendu toujours la possibilité de faire appel à d’autres produits financiers. En effet, il ne s’agit pas de sous capitaliser leursprojets. » Enfin, dernière raison invoquée par les partenaires du projet : les membres des cercles de crédit s’engagent à se réunirrégulièrement pendant toute la durée des crédits octroyés. Limiter le montant empruntable à 4.000 euros est une manière de limiter cet engagement dansle temps.

Quant au risque de non-remboursement, il serait minime et pris en charge par un fonds de garantie des organismes financiers partenaires.

D’ores et déjà, à Bruxelles, une trentaine de femmes sont inscrites, à Genk, 35, et à Liège, les inscriptions commencent. Les séancesd’information collectives ont débuté ce 15 novembre et la sélection des candidates se déroulera entre le 6 et le 16 décembre. Les dates sont disponibles surle site du Crédal : www.credal.be

Entrepreneuriat féminin : quelques chiffres

• 29,2 % de femmes parmi les personnes ayant un statut d’indépendant et aidant (Inasti, 2002)
• 16,6 % de femmes parmi les chefs d’entreprise et administrateurs délégués belges (Baromètre Spectron, 2002) :
– 19,38 % parmi les indépendants en personne physique
– 18,74 % parmi les sociétés de une à quatre personne(s)
– 6,68 % parmi les sociétés de 100 à 199 personnes

En Wallonie, les TPE et PME sont dirigées par :
• uniquement par des femmes : 17 %
• uniquement par des hommes : 70 %
• conjointement par des femmes et des hommes : 13 %

Source : étude Kubla, 2003.

Grameen Bank : pas vraiment un exemple…

Si d’aucuns citent à l’envi l’exemple de réussite de la Grameen Bank quand on parle de microcrédit pour les femmes, il en est d’autres qui analysentcette réussite d’un autre œil, notamment dans les milieux féministes. Car derrière l’aspect charitable ou égalitariste du microcrédit pour lesfemmes, les banques dans le Sud escomptent surtout d’énormes profits. À ce sujet, on se référera avec profit au passionnant travail d’Hedwige Peemans Poullet(Peemans-Poullet, 2000)1. Celle-ci montre bien d’abord qu’il existe dans le monde un ensemble de systèmes d’épargne traditionnelle à vocation socialeet sans intérêts, souvent gérés par des femmes – notamment en Afrique sous la forme des Tontines –, qui leur permettent de disposer d’argent liquide quandelles en ont besoin. Il n’est pas innocent, selon Hedwige Peemans-Poulet, de présenter les femmes – du Sud – comme des victimes passives qui attendent la main tenduequ’un banquier généreux s’intéresse à leur sort. « Les micro-crédits accordés aux femmes, par contre, sont souvent assortis de tauxd’intérêt élevés, parfois plus que les taux du marché comme dans le cas de la Grameen Bank. » Or, toutes les études le prouvent : les femmes sontd’excellentes débitrices, capables de se saigner à blanc pour rembourser les prêts (92 % de taux de remboursement pour la Grameen Bank pour des emprunteurs qui sont à95 % des femmes). C’est pourquoi Hedwige Peemans-Poullet souligne que les principaux bénéficiaires de ces micro-crédits sont plutôt à rechercher ducôté des banques, qui espèrent ainsi drainer à leur profit au moindre risque les sommes considérables que génère l’épargne traditionnelle.Elle souligne également que la Grameen Bank, qui fait par ailleurs campagne pour la privatisation des services publics et la disparition de la protection sociale au Bangladesh,réutilise aussitôt l’argent gagné pour investir dans de très lucratives assurances de santé, d’éducation et de retraites. Ce n’est sansdoute pas un hasard, ajoute-t-elle, si d’autres fervents défenseurs des privatisations (en particulier les États-Unis et l’Agence interaméricaine dedéveloppement) appuient avec enthousiasme les politiques de microcrédits.

Hedwige Peemans-Poullet évoque aussi les conditions d’attribution de ces crédits, parfois assortis d’obligations tout à fait déplacées, commerépéter les seize commandements de la Grameen Bank : « Discipline, unité, courage, travail, c’est ce qui fait notre vie. […] Nous veillerons à avoir unefamille de petite taille. Nous dépenserons peu, nous veillerons à notre santé. Nous veillerons à ce que nos enfants et l’environnement soient propres. Nousconstruirons et utiliserons des latrines… » (Peemans Poullet, 2000). « Si tous les programmes de microcrédit ne sont pas aussi choquants, il n’en reste pas moins quel’angoisse de devoir rembourser la dette par tous les moyens ne fait qu’alourdir les charges matérielles et morales multiples qui pèsent sur les femmes »,conclut-elle.

1. Peemans Poullet, Hedwige, « La miniaturisation de l’endettement des pays pauvres passe par les femmes… », in Chronique féministe, « Féminismes etdéveloppement », n°71/72, février/mai, 2000 Bruxelles. p. 60-66.

1. Crédal – Marie Ledent – tél. : 010 48 33 52 – site : www.credal.be
2. Vie féminine – tél. : 04 222 00 33 ou 02 513 69 00 – site : www.viefeminine.be

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