1encontre avec F.-X. de Donnéa, O. Christophe, P. Ansay et L. Schuyten
En juin, nous avons réalisé en collaboration avec la revue Bis… du Conseil bruxellois de coordination sociopolitique1, une interview sur la thématique de la ville2. Ils’agissait surtout de faire parler des personnes derrière les fonctions et de placer le débat à un niveau plus général, qu dépasse les questionsparticulières rencontrées lors de la mise en œuvre de telle politique à tel endroit.
ýutour de la table se trouvaient François-Xavier de Donnéa, ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, Olivier Christophe, responsable de la politiquedes grandes villes au sein du cabinet du ministre Charles Picqué, Luc Schuyten, architecte, et Pierre Ansay, auteur l’an dernier de l’ouvrage La Ville des Solidarités (EVO). Ladiscussion s’est ouverte sur les représentations de la ville et sur ce qui constitue l’essence même du « vivre en ville ».
Le grouillement humain et les lieux du pouvoir
Pierre Ansay – La ville est surtout le lieu où il existe une densité maximale d’approvisionnements et d’embouteillages humains. Les pratiques d’accumulation et d’échange ysont très concentrées et très mélangées. Les individus ont en ville la caractéristique de se rendre visibles au milieu d’inconnus par des comportementsritualisés. En venant, j’ai croisé au moins 200 inconnus : personne n’a détalé. Nous adoptons des comportements qui nous rendent prévisibles les uns aux autres.L’étranger, par exemple, ne me fait pas peur, ce qui n’est pas le cas dans tous les lieux. La ville est une forme de mise en scène et on a tous appris des comportementsthéâtraux.
François-Xavier de Donnéa – Cette idée de fourmilière humaine me convient tout à fait. Cela en fait le lieu par excellence des solidarités et desantagonismes. C’est aussi là que se forgent les opinions politiques et les grands courants culturels du futur. Et puis surtout, depuis le XXe siècle en Europe, c’est en ville que setrouvent les avant-postes de la lutte pour la démocratie. Les réponses politiques qui sont apportées aux problèmes urbains sont donc déterminantes pourl’évolution de notre histoire.
AE – Comment s’inscrit la liberté de l’architecte dans un tel portrait ?
Luc Schuyten – L’architecte arrive toujours dans un lieu existant, où il y a déjà des propositions, des gens et des politiques. La question qui se pose est celle del’intelligence de la gestion de l’espace, qui permet de dépasser la juxtaposition des intérêts particuliers quant à l’urbanisme et au bâti.
Olivier Christophe – Cela pose la question de savoir qui a le pouvoir. Il faut se rendre compte qu’il est largement laissé aux acteurs privés de l’économie. Le pouvoirpolitique confronté à cela a une mission de régulation, sans être un anti-économique primaire. La revitalisation économique des quartiers doit ainsi toujoursêtre prioritaire.
Le logement, un enjeu économique
Dans cet ordre d’idées, il y a un domaine particulier où il faut être plus attentif : le logement. Le marché ne peut en aucun cas s’autoréguler pou fournir àtous un logement correct à un prix correct. Dans certaines villes néerlandaises, plus de la moitié du parc de logements échappe au marché, grâce auxdifférentes formes de logement social et de logement conventionné.
PA – La politique du logement est effectivement fondatrice pour le politique en général. Elle ne peut effectivement se faire qu’en s’émancipant du marché. Elle doitêtre vue en rapport avec la question des équipements collectifs, c’est-à-dire nécessairement au-delà des réponses aux situations strictement individuelles. Etelle institutionnalise l’espace public et son usage. Le logement comporte donc trois prérogatives politiques essentielles.
FXDD – Je ne crois pas pour autant que l’État doive tout faire. Sa priorité est de protéger les faibles contre les forts, entre autres des abus de certainspropriétaires comme les négriers du sommeil, très difficiles à contrôler, et qui exploitent une misère humaine qui échappe complètement aulogement social. À Bruxelles, on a évidemment manqué d’instruments pour lutter contre les abus de la spéculation immobilière, mais on a aujourd’hui un Planrégional de développement (PRD) et un Plan régional d’affectation du sol (PRAS).
PA – Le PRD contient quatre axes prioritaires en tension : la fiscalité, la création d’emplois, l’habitat et le commerce. Il faut remarquer que là au milieu, sansnécessairement être pessimiste, les moyens pour le logement social ou le logement subventionné n’ont encore jamais suivi.
OC – Une tension supplémentaire qui traverse tous les outils de développement est de savoir si on en passe par le retour des classes moyennes qui ont quitté les centresurbains dans les décennies précédentes, ou si on mise sur quelque chose d’endogène. La réalité sera probablement entre les deux, puisqu’il faut financer lesdéveloppements avec les habitants qui en ont le poids financier.
Bruxelles mégapole
Une bonne partie de la discussion s’est ensuite focalisée sur la maîtrise effective du développement urbain que le politique peut s’assurer grâce à ses outils derégulation. La question du niveau auquel intervenir est évidemment capitale : la région? la commune? Le cas particulier de Bruxelles s’est vite imposé dans la discussion.Et les scénarios qui sont envisagés pour notre capitale dans le futur explosent les limites du « local », pour ce qui est de leurs déterminants structurels autant que de leursimpacts à long terme.
FXDD – Il faut bien se rendre compte que Bruxelles est en train de devenir la capitale d’un continent qui rassemblera bientôt au minimum trente pays. Ce n’est plus de la régioncapitale mais de tout le Brabant qu’on va devoir parler. À long terme, les limites politiques de Bruxelles vont changer ! Voyez déjà comment les autres régions ontdécidé de participer à la création du RER. L’organisation de la police locale est déjà remontée plus haut que la commune. On va vers une organisationrégionale des problèmes de sécurité. Et à l’inverse, la Région pourrait aussi rendre aux communes la gestion de certains problèmes d’urbanisme.
AE – Bruxelles produit beaucoup de richesses, mais qui ne profitent pas à ses habitants. Les politiques de revitalisation des quartiers des années 90 sont-elles encoreadéquates par rapport à cela?
FXDD – Il faut se méfier des politiques qui se concentrent trop sur certains quartiers. Elles provoquent des glissements de populations entre différents endroits. Le fait queBruxelles produise une richesse énorme mais garde un revenu moyen faible renvoie au caractère artificiel de sa limite politique, qui ne correspond pas à ses limiteséconomiques et géographiques. Nombreuses sont les capitales qui connaissent une telle situation. Cela nécessite d’in
venter des mécanismes comme la taxation du capital fixedes entreprises.
AE – Comment imaginez-vous Bruxelles dans trente ans?
FXDD – Une ville capitale de l’Europe avec des habitants – des Bruxellois –, avec une esthétique de l’espace public, et où on circule bien. Le défi del’implantation des institutions internationales est évidemment le respect de la qualité de vie des Bruxellois
AE – Et comment y voyez-vous ce qu’on appelle la mixité sociale?
FXDD – Le modèle le plus mauvais est celui des ghettos et la répartition uniforme des différences n’est pas non plus souhaitable.
LS – On peut aussi imaginer que l’évolution des techniques de communication permettent que des gens qui doivent travailler et décider ensemble puissent échanger en restantà une grande distance les uns des autres. La qualité de compréhension est la même dans une téléconférence ou dans une réunion où on està soixante autour de la table.
Comment le changement se fait
AE – Où sont les vrais acteurs du changement urbain avec lesquels peut travailler le politique?
PA – Il faut se placer dans la perspective des fortes mutations qui ont traversé Bruxelles depuis sa régionalisation. Il y a d’abord l’apparition d’une nomenklatura bruxelloise,qui va parfois trop loin dans la proximité. Et il y a le phénomène parallèle d’étêtement du monde associatif, entre autres de ses personnalités lesplus revendicatives face à un pouvoir qui avant les années 90 était relativement lointain. Ces proximités rendent le débat public régional plusdélicat.
Il y a aussi eu des importants efforts politiques pour la diminution des inégalités. Avec une conséquence qui a consisté à plus institutionnaliser une séried’acteurs de la société civile et un marché des financements publics. D’où un affaiblissement de la spontanéité créatrice.
AE – Cette génération n’est-elle pas en train d’être suivie par une autre?
PA – Si, bien sûr. Et on remarquera sans doute que la génération qui avait 30 ans en 68 est la plus poche de ce que font les toutes jeunes générationsassociatives.
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Le gouvernement bruxellois sort son nouveau PRD
En juillet, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a adopté son nouveau projet de Plan régional de développement (PRD)3. Pour rappel, le premier document dugenre avait marqué une étape décisive dans le démarrage des institutions de la jeune Région au cours des années 90 : il visait, d’une part, à fairecroître une population diversifiée – ou au moins à la stabiliser – et, d’autre part, à « assurer une croissance des activités garantissant aux habitantsde la Région le progrès social et le respect de la qualité de la vie en ville. « Concrètement, la population a connu une légère croissance de quelque 10.000habitants supplémentaires par rapport à 1996. Cependant, « les revenus relatifs de la population bruxelloise dans son ensemble diminuent par rapport au reste du pays. » Dans le domaineéconomique, il y a eu une reprise des activités, mais elle est moins importante par rapport au reste du pays. De plus, les emplois créés semblent profiter davantage auxpersonnes extérieures à la Région.
Le nouveau PRD, lui, a pour ambition d’améliorer la qualité de la vie et la convivialité, de lutter contre la précarité et maintenir la solidarité, derétablir la mixité des fonctions et des populations et de favoriser l’implantation harmonieuse dans le tissu urbain d’entreprises porteuses d’emplois. » Pour y parvenir, trois approchestransversales orienteront les politiques à mettre en œuvre :
> « Assurer à la Région une population diversifiée tant en renforçant l’intégration sociale des populations fragilisées, qu’en stabilisant les habitantsdans les quartiers anciens et en encourageant le retour à la ville, au travers de politiques axées sur le développement durable et l’amélioration de la qualité dela vie.
> Favoriser un développement économique durable et générateur d’emplois pour les Bruxellois, en évitant une surspécialisation de l’économiebruxelloise dans les fonctions administratives.
> Inclure le caractère international et interculturel de Bruxelles dans des projets phares intégrés et facteurs de développement durable, autour d’une identitéforte basée sur l’ouverture et le dynamisme. »
Les domaines d’intervention sont les équipements collectifs, la rénovation urbaine, l’économie, l’emploi, l’aménagement du territoire, le logement, le social, lamobilité, le culturel, l’interculturalité, etc.
Afin de mener à bien la réalisation du PRD, le gouvernement tiendra compte de la territorialité des zones d’intervention prioritaire : les espaces de développementrenforcés du logement et de rénovation (EDRLR), les zones de programmes de revitalisation (contrats de quartier), les zones-leviers (intervention de deux ou plusieurs communes,existence d’un projet supralocal, etc.) – comme le « Pentagone » ou encore la zone du canal – et les autres zones d’intervention (maillage vert et bleu, axes de transports publics,etc.).
Pour y parvenir, il faut impliquer davantage le secteur privé, mettre en place une culture du partenariat entre les différents acteurs publics, collaborer étroitement avec lescommunes et accorder une place importante à la concertation. Par ailleurs, « la mise en œuvre du PRD doit faire l’objet d’un suivi permanent, pour en mesurer les effets et les confronteraux objectifs à atteindre, en estimer la pertinence en fonction de l’évolution de la situation » et ne pas hésiter à revoir les priorités sur base de cesobservations. Cela implique la création d’un « Comité permanent de pilotage du PRD », l’élaboration commune de programmes de recherche à long terme dans des matièrestransversales et la mise sur pied d’un outil permanent de coordination des services d’études existants.
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1 CBCS, rue du Président, 53 à 1050 Bruxelles, tél. et fax : 02 511 89 59, e-mail : cbcs@euronet.be
2 Comme point d’orgue à un double dossier sur les politiques des quartiers à Bruxelles, Bis… publiera dans son numéro de rentrée un compte-rendu plus complet de cetterencontre. Nous n’en reprenons ici que quelques extraits. Cette initiative a été préparée en étroite collaboration avec Solveig Pahud et Alain Willaert du CBCS(Conseil bruxellois de coordination sociale).
3 Rue Ducale 7-9 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 506 32 11, fax : 02 514 40 22. Le document est consultable sur Internet : http://www.bruxelles.irisnet.be/FR/1fr_admi/1fr_2gov/communiques_fr/01_07_19/1fr_pres_19_07a.htm
Archives
"La ville entre chaos, marché et politique : un échange de vues"
Thomas Lemaigre
27-08-2001
Alter Échos n° 103
Thomas Lemaigre
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