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La tension monte au centre fermé de Bruges

Évasion, grèves de la faim, violences… le centre fermé pour illégaux de Bruges est secoué de toutes parts depuis quelques semaines

Évasion, grèves de la faim, violences,… le centre fermé pour illégaux de Bruges est secoué de toutes parts depuis quelques semaines. Récemment, ce sont trois sans-papiers qui ont trompé la vigilance de leurs gardes. La situation est également sensible à Zaventem et à Anvers, aux centres du 127 bis et de Merkplas. Retour sur un début d’année difficile pour la politique migratoire

« Il a passé une heure et demie dehors, dans la cour. Il avait un bras et une jambe cassés. Il hurlait de douleur. » C’est avec horreur qu’Ahmad, un Afghan détenu dans le centre fermé de Bruges, a assisté à l’arrestation de trois des six personnes qui ont participé à une évasion le mardi 7 mai. Ils auraient volé la clef d’un gardien et se seraient échappés par une des fenêtres. Ils ont ensuite dû marcher sur le toit pour rejoindre la porte d’entrée. Mais l’un d’eux est tombé et s’est cassé un bras et une jambe. « Il n’a pas été soigné. Ils l’ont laissé là, au milieu de la cour, sans lui apporter de soin durant une heure et demie. Nous étions nombreux à le regarder sans pouvoir lui venir en aide. »

Cette scène s’est déroulée au centre fermé de Bruges. Un des lieux qui servent à la détention administrative des étrangers qui arrivent à la frontière et des étrangers qui sont en attente d’une expulsion. Il existe six centres de ce type en Belgique. La plupart des résidents de ces centres souvent appelés « prisons pour étrangers » finissent par être embarqués, sous pression, dans des avions à destination de leurs pays d’origine.

Quelques heures après cette tentative d’évasion, une trentaine de femmes, vivant dans la section réservée à la gent féminine du centre, a décidé d’entrer en grève de la faim. Les gardiens ont tenté de les raisonner. Après les paroles vinrent les menaces. Les gardiens ont annoncé que les détenues qui persistaient à vouloir entrer en grève de la faim seraient transférées dans un autre centre. Seule une Russe a décidé de poursuivre la grève. Une action de désespoir alors que ses trois enfants sont encore à l’extérieur, et qu’elle vit depuis dix ans en Belgique. Elle espère ainsi être libérée, mais les chances de voir ses privations récompensées sont pour tout dire inexistantes. Depuis son entrée au gouvernement, Maggie De Block, la secrétaire d’Etat à l’Asile et l’Immigration, a adopté la fermeté. « Ça ne se passe pas comme ça dans notre pays », avait-elle martelé il y a un an alors que vingt-trois sans-papiers logés à la VUB avaient entamé une grève de la faim pour obtenir un titre de séjour d’au moins un an et un permis de travail. Après 102 jours de privations, ils avaient mis fin à leur grève, sans que leurs demandes ne soient rencontrées.

Grève de désespoir

C’est par désespoir que beaucoup de résidents du centre entament des grèves de la faim. « Je ne vois plus de solutions légales pour m’en sortir. S’ils me renvoient, je cours à la mort. Dans le centre, il y a également énormément de personnes qui vivent en Belgique depuis des années. Certains y sont depuis dix ans, ont un travail, une famille. Et puis, ils se retrouvent dans ce centre du jour au lendemain. J’ai un ami qui vit ici. Son enfant a seulement cinq ans. » Nous avons contacté ce détenu : « Ma femme a un passeport étranger. Lorsque je l’ai rencontrée, elle avait déjà des enfants. Nous avons eu un enfant ensemble. Je viens de Tchétchénie, j’ai été arrêté et placé dans cette prison. Maintenant, mon fils, lorsqu’il veut voir son papa dois venir dans cet endroit avec des barreaux, des contrôles de police. » Des tests ADN sont actuellement pratiqués pour prouver qu’il existe un lien de parenté entre l’enfant et son père. Le cas échéant, il sera libéré, lui a fait comprendre son avocat. En attendant, il désespère.

Car c’est bien ce qui nourrit leur volonté d’entamer une grève de la faim qui ne changera sans doute pas leur situation : le désespoir. « Je ne sais pas comment m’en sortir », nous confie un autre détenu. Il a réussi, il y a environ deux mois, à convaincre une vingtaine de détenus d’entrer en grève de la faim. Mais le mouvement s’est rapidement éteint. « Nous étions une vingtaine au départ. Mais les gardiens nous ont menacés de nous transférer dans un autre centre si nous entamions réellement cette grève de la faim. Plusieurs grévistes ont des proches enfermés avec eux. Ils ne veulent pas être séparés. La grève s’est donc rapidement achevée. »

Du côté des autorités, ces grèves de la faim n’inquiètent pas. « Il faut comprendre que beaucoup de ces grèves sont entamées pour de petites choses relatives au confort des personnes présentes dans ce centre. Comme un accès à internet par exemple. Souvent, elles s’achèvent le jour même », précise Els Cleemput, porte-parole de Maggie De Block. Au sujet des évasions, la porte-parole ne considère pas non plus que leur nombre soit alertant en ce début d’année.

Dans les autres centres

Des voix semblables à celles venues de Bruges se font entendre dans les autres centres fermés du pays. Au Centre 127 bis de Steennokkerzeel, ce sont dix-sept Guinéens qui ont mené une grève de la faim en mai pour s’insurger contre les très nombreuses expulsions qui ont visé leurs compatriotes récemment. Le 24 avril, au moins dix-neuf Guinéens ont été expulsés, comme l’ont annoncé les associations actives dans le secteur. « Ils protestent contre les mesures d’arrestation, d’enfermement et d’expulsion systématique vers un pays où ils risquent la prison, la torture voire la disparition… Plusieurs Guinéens ont déjà été expulsés ces derniers jours. Leurs compatriotes n’ont plus de nouvelles d’eux et redoutent le pire », expliquent, dans une pétition publiée sur le web, des citoyens belges soutenant leur mouvement. Les demandeurs d’asile de cette nationalité sont les plus nombreux en Belgique, après les Afghans. Récemment, Freddy Roosemont, directeur de l’Office des Etrangers avait tenu à faire passer un message : « Les Guinéens doivent comprendre qu’ils ont peu de chance d’obtenir l’asile en Belgique. Car personne n’est persécuté par l’État dans leur pays. »

Le centre fermé de Merkplas, situé dans la province d’Anvers, a également connu des troubles. Début février, cinq sans-papiers se sont échappés. Un nombre particulièrement important vu qu’en 2012, seule une douzaine de détenus s’étaient échappée de l’ensemble des centres fermés belges. Ils avaient scié les barreaux de leur chambre, puis échappé à la vigilance des caméras de sécurité et des gardes pour retrouver la liberté. L’un d’eux a néanmoins été arrêté avant qu’il ne franchisse les murs.

La pression qui existe dans ces centres n’empêche pas les arrestations de sans-papiers. Le 24 avril, trente-deux illégaux ont été arrêtés suite à une vaste opération de contrôle FIPA (Full Integrated Police Action) dans les transports publics dans la Région de Bruxelles-Capitale menée par la direction de coordination et d’appui de la police fédérale de Bruxelles. En 2012, ils ont été 761 à être arrêtés dans les transports en commun de la capitale.
Si certains seront libérés, une partie d’entre eux se trouve déjà dans un des centres de détention administrative de Belgique et pense sans doute à entamer une grève de la faim ou échafauder un plan d’évasion.

Renaud De Harlez

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