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Regard critique · Justice sociale

La routine annuelle des expulsions locatives

En France, chaque année, à la fin de la trêve hivernale, des maires révoltés par les situations de détresse sociale prennent des arrêtésanti-expulsions totalement illégaux.

01-05-2011 Alter Échos n° 314

En France, la trêve hivernale en matière d’expulsions locatives prend fin le 15 mars. Et chaque année, avec une régularité métronomique, des mairesrévoltés par les situations de détresse sociale qu’ils constatent dans leurs communes prennent des arrêtés anti-expulsions totalement illégaux.

Le mois de mars provoque tous les ans un véritable branle-bas de combat dans les associations qui se battent pour que les plus démunis échappent àl’épée de Damoclès de l’expulsion. Le contexte de crise économique et la flambée des loyers ne sont pas de nature à améliorer lasituation : en 2011, plus de 100 000 ménages seraient menacés. Au nombre des initiatives citoyennes, on note la mobilisation annuelle d’un certain nombre de maires– principalement communistes – qui déposent des arrêtés anti-expulsions destinés à protéger leurs contribuables les plus fragiles. Selon eux, lesexpulsions ne font en effet qu’accroître les difficultés des familles. « C’est nous qui avons les mains dans le cambouis, déclare Michèle Picard,maire de Vénissieux, une ville où les arrêtés anti-expulsions sont déclarés depuis 1990. Nous jouons les pompiers de service et on nous refuse les moyens deprévenir les incendies. »

Le problème, c’est que les arrêtés anti-expulsions décrétés par les édiles sont retoqués de façon systématique par letribunal, au motif sans appel qu’il appartient « aux seules autorités de l’Etat de définir les modalités selon lesquelles ce dernier assume son obligation deprêter le concours de la force publique à l’exécution des décisions de justice ». L’arrêté anti-expulsions ne serait donc qu’uneinitiative symbolique ? Une initiative médiatique surtout, si l’on en croit Gilles Poux, maire de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), qui considère que la mobilisationcitoyenne des élus locaux et des associations force les pouvoirs publics à considérer avec davantage de compréhension les dossiers défendables. Même son decloche du côté de Patrick Douet, maire de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) : « L’arrêté anti-expulsions est un gros grain de sable qui permet degagner du temps. » Un mois ou deux, selon l’élu, un délai parfois suffisant pour débloquer une situation délicate et trouver une voie demédiation.

Et il y a, selon les maires frondeurs, urgence à trouver une solution globale au problème des expulsions locatives. En seule Seine-Saint-Denis, les expulsions effectives auraientaugmenté de 30 % entre 2009 et 2010, avec plus de 1 600 procédures exécutées manu militari. Une situation délicate qui met en ébullition nombre dedéfenseurs des mal-logés. En théorie, la loi sur le droit au logement opposable (voir l’article consacré à ce sujet dans Alter Echos n° 298 :Dalo français : « Encore des mots, toujours desmots… ») oblige l’Etat à fournir un logement décent à toute personne qui s’en trouve privée. Un droit qui « n’est paspleinement assuré », selon le comité de suivi de la loi qui a remis au président de la République française un rapport sur la question à la fin de2010. Ainsi entre janvier 2008 et juin 2010, trente mille ménages ont été logés sur un ensemble de plus de cent quarante mille recours administratifs.

Selon ce rapport, un nombre trop faible de constructions de logements ainsi qu’un déficit en matière de prévention auprès des ménages fragilisésseraient notamment responsables de la situation. C’est pourquoi l’action préventive est parfois réalisée par les municipalités elles-mêmes, commeà Valenton (Val-de-Marne), où la commune a mis sur pied depuis décembre dernier des « commissions locales de suivi des impayés locatifs », sorte decourroie de transmission entre bailleurs et locataires afin de favoriser un règlement à l’amiable des litiges avant que les choses ne deviennent ingérables. Salutaireinitiative, surtout lorsque l’on sait que nombre d’expulsions concernent des familles considérées comme prioritaires par les commissions du Dalo. Une incohérencemanifeste qui contribue à l’agacement grandissant des élus locaux.

La bonne volonté : et après ?

Pas de surprise, donc : une fois encore, les tribunaux administratifs ont suspendu les arrêtés anti-expulsions décrétés par les maires. Benoist Apparu,secrétaire d’Etat au Logement, assure pour sa part que l’accent sera mis en 2011 sur la prévention, notamment en encadrant l’augmentation des loyers dans le parcsocial, et qu’un travail de généralisation des politiques de prévention est activement mis en place. Une petite centaine de Commissions de coordination des actions deprévention des expulsions locatives (CCAPEX) existent actuellement sur tout le territoire national. De bien belles intentions auxquelles on peut certainement accorder le bénéficedu doute. Mais ne nous y trompons pas : entre le contexte de crise, le respect légitime dû à la propriété privée, le nombre et la complexité desdossiers à traiter, il y a fort à parier que le ballet annuel des expulsions n’est pas près d’appartenir au passé.

stephanel

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