Nés dans les années 1960, les hypermarchés belges – à l’image des SuperBazar de GB, puis des enseignes comme Cora ou Carrefour – ont profondément transformé les modes de consommation. Ils incarnaient l’optimisme des Trente Glorieuses: abondance, accessibilité grâce à la voiture individuelle, standardisation des produits et démocratisation de la consommation de masse. L’hypermarché était le temple de la société de consommation, un lieu où l’on pouvait tout acheter sous un même toit, où l’expérience d’achat était synonyme de progrès social.
Or, ce modèle est aujourd’hui remis en cause par plusieurs facteurs. La saturation des zones périurbaines, la concurrence du commerce en ligne, la montée des enseignes spécialisées, la recherche de proximité et la sensibilité croissante aux enjeux écologiques ont fragilisé l’hypermarché. Les groupes historiques, comme GB, ont été absorbés par des multinationales (Carrefour), et la rentabilité de ces grandes surfaces s’est érodée. La fermeture de Cora est ainsi le symptôme d’une crise structurelle profonde.
La disparition des hypermarchés ne se limite pas à la perte d’emplois – même si celle-ci est massive et touche en priorité des salariés peu qualifiés, souvent âgés, pour qui la reconversion sera difficile. Elle entraîne également la dévitalisation des galeries commerciales périphériques, qui jouaient un rôle de centralité et de sociabilité pour des générations de consommateurs. Ces espaces, autrefois animés, risquent de devenir des friches commerciales, accentuant la désertification des périphéries urbaines.
Par ailleurs, au-delà de l’aspect économique, la disparition de ces «cathédrales de la consommation» symbolise la crise d’un imaginaire collectif hérité des Trente Glorieuses. Comme le souligne l’historien Vincent Martigny, la nostalgie de cette période d’abondance et de croissance continue révèle notre difficulté à penser l’avenir autrement qu’à travers le prisme du passé (1). Car «comment ne pas percevoir derrière les dysfonctionnements actuels de notre système les ressorts d’un imaginaire problématique?», se demande l’historien français. L’hypermarché incarnait l’idée d’un progrès linéaire, d’une société où l’abondance matérielle était accessible à tous, où la consommation était synonyme de liberté et d’émancipation. Aujourd’hui, cette utopie s’effrite. Les enjeux environnementaux, la prise de conscience des limites de la croissance, la recherche de sens et de liens de proximité remettent en cause ce grand récit de la consommation de masse. La fin de l’hypermarché, c’est aussi la fin d’une certaine idée du bonheur, fondée sur l’accumulation et la standardisation.
Derrière cette disparition se pose aussi la question de la capacité de nos sociétés à inventer de nouveaux récits mobilisateurs, adaptés aux défis du XXIe siècle, de nouvelles mythologies pour repenser notre rapport au territoire ou au progrès, pour redessiner un nouvel horizon social, culturel et politique. Une nécessité dans un monde qui se délite.
(1) Sous la direction de Vincent Martigny, Les Temps nouveaux, en finir avec la nostalgie des Trente Glorieuses (Seuil, 256 p., 21 €).