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Journalistes précaires : charité bien ordonnée…

Parmi les catégories professionnelles concernées par la précarisation, en voici une nouvelle qui fait entendre sa voix : celle de journalistes, photographes et cameramenindépendants. Organisée (au sein de l’Association des journalistes professionnels – AJP), expérimentée (faire passer une info, c’est le métier de sesmembres) et écoutée (un quatrième pouvoir, ça ne se néglige pas, surtout en période électorale), la corporation des journalistes a les moyens de sesambitions : améliorer la situation pécuniaire et les statuts fiscal et social des journalistes indépendants. Quitte à faire le jeu du marché en souhaitant limiterle nombre de journalistes diplômés chaque année.

22-09-2006 Alter Échos n° 215

Parmi les catégories professionnelles concernées par la précarisation, en voici une nouvelle qui fait entendre sa voix : celle de journalistes, photographes et cameramenindépendants. Organisée (au sein de l’Association des journalistes professionnels – AJP), expérimentée (faire passer une info, c’est le métier de sesmembres) et écoutée (un quatrième pouvoir, ça ne se néglige pas, surtout en période électorale), la corporation des journalistes a les moyens de sesambitions : améliorer la situation pécuniaire et les statuts fiscal et social des journalistes indépendants. Quitte à faire le jeu du marché en souhaitant limiterle nombre de journalistes diplômés chaque année.

Précarité et dépréciation

Présenté à la presse le 15 septembre dernier par l’AJP Le Livre Noir des journalistes indépendants1, rassemble une série de constats, surla base de nombreux témoignages soigneusement recoupés. Près d’un quart des journalistes professionnels reconnus sont des indépendants. Si quelques-uns se disent « heureux  » (souvent hyperspécialisés et donc reconnus à ce titre), de plus en plus vivent de bouts de ficelle.  » En 2005, les 42 journalistes indépendants reconnus comme « stagiaires  » [pour obtenir la reconnaissance professionnelle (NDLR)] par l’AJP gagnaient en moyenne 1 554 euros brut par mois. « 

Le barème conventionnel, très bas, ne vaut que pour la presse quotidienne. Pour que les éditeurs ne puissent plus dire qu’ils ne savent pas, l’AJP est parvenueà établir – une première ! – un comparatif des tarifs pratiqués par les principaux médias francophones du pays. Si la plupart semblent respecter le tarif minimum « au signe « , les autres tarifs varient énormément, parfois au sein d’un même support : de 7 à 21 euros pour un article court (60 lignes), de 4 à 136 euros laphoto selon les cas. Dans les cas les moins avantageux – les plus nombreux – après déduction des charges et des frais professionnels, il ne reste pas grand-chose.

Conséquences : beaucoup finissent par abandonner le métier, après deux à … vingt ans de pratique ; de nombreux autres, pour avoir une activité  » rentable « ,cumulent jusqu’à sept articles par jour, avec des effets terribles sur la qualité du travail ; d’autres complètent leurs revenus grâce à desactivités dans la communication, déontologiquement incompatibles avec la profession de journaliste. Au-delà de la situation personnelle des journalistes indépendants,c’est sur la qualité du travail et du métier que l’AJP entend attirer l’attention.

Nombreux (350 nouveaux diplômés chaque année) et atomisés (chacun pour soi), les journalistes indépendants sont une proie pour le chat. En outre, comme lesouligne elle-même l’AJP :  » Les free-lances ne sont pas les seuls travailleurs intellectuels à souffrir des dogmes de l’économie libérale mondialisée.Les secteurs de l’édition littéraire, de la recherche ou de l’enseignement n’ont guère plus de raisons de sourire, en Europe, que celui des médias. « Puisque dans ces secteurs-là, il y a peu de délocalisations possibles, c’est sur la matière grise que les patrons font porter les réductions de coût, insisteJean-François Dumont, coordinateur du Livre Noir.

Le marché et le statut

Partant du principe que  » la liberté de la presse n’existe pas sans les conditions décentes de l’exercer « , l’AJP trace cinq pistes pour renverser lavapeur2.

Dans le cadre de la simple loi de l’offre et de la demande, l’AJP entend aboutir à une régulation stricte du nombre d’étudiants en journalisme. Àcette fin, l’association tentera d’entamer prochainement une concertation avec la ministre responsable de l’Enseignement supérieur et les universités et écolessupérieures de journalisme.

Toujours dans la perspective de réduire la pression à la concurrence sur les tarifs, l’AJP interpellera les mêmes acteurs et les entreprises de médias pour limiterla durée et la fréquence des stages étudiants gratuits.

Au rayon  » qualité « , l’AJP entend négocier avec toutes les entreprises de médias des tarifs minimaux réévalués, ainsi que le contrôle de leurrespect effectif. Le tout formera le coeur d’une charte que toutes les fédérations d’employeurs du secteur seront invitées à signer. À terme, celle-ciagirait comme une labellisation entrant en ligne de compte dans l’accès aux aides publiques au secteur.

L’AJP entend aussi obtenir un assouplissement du statut social des journalistes indépendants. En s’inspirant du régime applicable aux artistes en Belgique, mais aussi dusystème français (présomption de contrat associée au versement de cotisations sociales pour chaque pige) et de la récente initiative allemande (prise en charge dela moitié des cotisations sociales des écrivains, journalistes et artistes par l’État et les employeurs. L’AJP aurait déjà l’oreille du cabinet duministre des Affaires sociales dans cette perspective.

Enfin, l’AJP interpellera le ministre des Finances sur les initiatives à prendre au niveau fiscal pour améliorer le niveau de vie des journalistes. Il s’agira notammentde travailler sur la fiscalité des droits d’auteur et sur l’harmonisation des différents régimes TVA applicables à la profession.

Outre les acteurs économiques et institutionnels concernés par ces pistes, il s’agit de (re)mobiliser les premiers intéressés. L’AJP poursuivra sa campagnetout juste entamée en allant présenter son plan de bataille dans une série de réunions décentralisées à Bruxelles et en Wallonie, àl’attention des journalistes indépendants.

1. Dumont Jean-François et alii, Le Livre Noir des journalistes indépendants, Éd. Luc Pire, Bruxelles, 2006, 104 pp. Pour le commander : info@ajp.be ou possibilité de le commander en ligne Le prix de vente (frais de portcompris) est de 14 euros (10 euros pour les membres de l’AJP).
2. Pour suivre l’actualité de sa campagne, l’AJP a créé le site www.pigistepaspigeon.be

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