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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Jeunes « incasables », l’éternel problème…

Entre aide à la jeunesse et handicap, quelques soubresauts. Interview de Christian Nile, de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées.

(c) charlestalbot
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Lors d’un précédent article, des voix de l’aide à la jeunesse critiquaient à demi-mot la politique d’admission de certains services résidentiels pour jeunes, du secteur du handicap. Éléments de contexte et interview de Christian Nile, de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées.

En mars dernier, Alter Échos se penchait sur le «tri» qu’effectueraient certains services de l’aide à la jeunesse (Alter Échos n°378). La demande d’aide pour des mineurs en danger étant supérieure à l’offre de places, certains services choisiraient leur public en fonction de critères parfois obscures.

Lors des discussions visant à préparer cet article, plusieurs personnes travaillant dans le secteur de l’aide à la jeunesse estimaient que le problème se posait avec une bien plus grande acuité du côté du secteur du handicap. Et plus particulièrement dans des services résidentiels pour jeunes (SRJ).

Selon eux, trouver une place d’hébergement en SRJ pour un jeune relèverait de la gageure. Car, témoignent-ils, les SRJ ont toute latitude pour accepter tel ou tel jeune, sans avoir à donner de justification. Les refus de prise en charge seraient légion. Des refus difficiles à vivre pour les conseillers et directeurs de l’aide à la jeunesse.

La conséquence de tels refus serait que des jeunes en danger, donc du ressort de l’aide à la jeunesse, mais aussi handicapés, donc du ressort de l’Awiph, seraient orientés vers des services de l’aide à la jeunesse, pas forcément «outillés» pour accueillir des jeunes porteurs de handicaps. Du coup, certains de ces services feraient valoir à leur tour leur projet pédagogique comme motif de non-admission.

Le problème de l’admission en SRJ est accru le week-end. Car les samedis et dimanches le personnel y est moins nombreux… donc le nombre de lits disponibles l’est aussi. «Alors qu’un mineur en danger l’est aussi le samedi et le dimanche», nous dit-on.

Enfin, tout comme dans les services privés de l’aide à la jeunesse, les délais d’attente pour trouver une place en SRJ pour un jeune sont très longs.

En pointant ainsi du doigt des services d’un secteur particulier (ici, le handicap), on touche évidemment au vieux sujet des jeunes dits «incasables». Ces jeunes qui relèvent de plusieurs secteurs. À la fois de l’aide à la jeunesse, du handicap ou de la santé mentale. Entraînant des parties de ping-pong effrénées pour que l’un de ces secteurs assume la prise en charge du mineur.

Pour clarifier les compétences de chacun, pour que les secteurs apprennent à mieux se connaître, un protocole avait été signé entre Awiph et aide à la jeunesse. Presque quatre ans plus tard, un groupe de travail nommé «un jardin pour tous», commun aux deux secteurs, réfléchit encore à la meilleure façon de «décliner» le protocole sur le terrain, comme le confiait Pierre Hannecart de la Direction générale de l’aide à la jeunesse. «Car pour entrer dans une institution de l’Awiph, il y a un certain nombre de conditions, que nous devons connaître», ajoutait-il, reconnaissant que les «collaborations doivent encore être affinées.»

Dans ce contexte, Alter Échos a interviewé Christian Nile, directeur des services d’accueil et d’hébergement pour jeunes (Awiph).

Alter Échos : Certaines voix s’élèvent au sein du secteur de l’aide à la jeunesse face à la difficulté de trouver une place en SRJ pour un jeune relevant à la fois de l’Awiph et de l’Aide à la jeunesse. Que leur répondez-vous?

Christian Nile : Les SRJ dépendent de l’Awiph, ils ne sont donc pas mandatés par l’Aide à la jeunesse. Un conseiller ne peut pas leur dire  »vous devez me prendre tel jeune » comme il le ferait avec une institution de son secteur. Ceci dit, même dans le secteur de l’aide à la jeunesse, c’est le service agréé qui décide de prendre le jeune ou non lorsque le conseiller le sollicite. Le service résidentiel pour jeunes met en place un projet médico-socio-pédagogique. Il accueille des jeunes qui correspondent à ce projet, toujours avec une visée thérapeutique. Parmi ces jeunes, beaucoup traversent des difficultés familiales. et les conseillers et directeurs de l’Aide à la jeunesse cherchent une institution de placement qui correspond aux besoins du jeunes. Mais nous, l’Awiph, sommes là prioritairement pour répondre aux besoins découlant de la situation de handicap.

Alter Échos : Sauf que ce jeune peut lui-même avoir des problématiques multiples… tout en ayant besoin d’un accueil en SRJ…

Christian Nile  : Oui, il peut y avoir de multiples solutions pour des problématiques multiples. Un panel d’intervenants peut être activé. Un jeune peut avoir besoin d’un hébergement en SRJ et d’un soutien d’un Service d’aide et d’intervention éducative (SAIE, dépendant de l’aide à la jeunesse, intervenant dans le milieu de vie du jeune, NDLR)

Alter Échos : Les SRJ sont-ils réticents face aux demandes de conseillers et directeurs de l’aide à la jeunesse, lorsqu’ils cherchent une place en SRJ pour un jeune ?

Christian Nile  : Le pré-requis, c’est de ne pas « demander une place », mais, ensemble, de chercher des solutions. Les SRJ qui renverraient illico les demandes de l’aide à la jeunesse est une vieille image. Il y a aujourd’hui un protocole de collaboration entre les deux secteurs. Des rencontres entre les bureaux régionaux de l’Awiph et les Service d’aide à la jeunesse et service de protection judiciaire se déroulent régulièrement.

Alter Échos : Concrètement, comment cette collaboration fonctionne ?

Christian Nile  : Le délégué de l’aide à la jeunesse va d’abord appeler le bureau de l’Awiph pour voir s’il relève bien de nos services. C’est d’ailleurs la première démarche à faire : la reconnaissance du handicap. Cette reconnaissance ouvre l’accès à une série de services. Dans nos bureaux régionaux, c’est une équipe pluridisciplinaire qui va avaliser le diagnostic posé par un médecin : ‘Oui ou non, ce jeune peut-il bénéficier d’une aide de l’Awiph ?’ Et si oui, un SRJ est-il opportun ? Si la réponse est oui, il peut aller en SRJ. Mais, chaque personne correspond à une catégorie de handicap. Autisme, débilité légère, par exemple. Ces catégories ouvrent ou ferment les portes de certains services, car ceux-ci sont spécialisés. Il s’agit ici d’une deuxième limitation. Ensuite, lorsqu’un service peut répondre, il entame une procédure d’admission. Le but est de voir si le service est en mesure de répondre aux besoins du jeune, tout en évaluant si ce jeune peut « coller » au groupe. Car les équilibres de groupe sont parfois fragiles.

Alter Échos : Et qu’en est-il des week-ends ? Certains services ferment-ils le week-end ?

Christian Nile : Chaque SRJ doit être en mesure d’accueillir des bénéficiaires toute l’année, 24 heures sur 24. Certains diront qu’il n’y a pas vraiment d’accueil le week-end. Il y a certes moins de personnel. Des jeunes peuvent être accueillis toute la semaine, mais, suivant les situations, en moins grand nombre les samedi et dimanche.

Alter Échos : La question du week-end reste pourtant un sujet de crispation…

Christian Nile : Nos services ont une visée thérapeutique. Le maintien du jeune en SRJ ne se justifie peut-être pas et il est important dans nombre de cas que le jeune retourne dans sa famille le week-end. Mais dans l’aide à la jeunesse, le jeune doit parfois être éloigné de sa famille. Ce qui peut entrer en contradiction avec nos objectifs. Ceci dit, je connais certaines situations pour lesquelles le SRJ souhaitait que le jeune y reste le WE afin de poursuivre un travail individuel alors que le conseiller ou directeur souhaitait que le jeune réintègre sa famille…

Alter Échos : Le problème des jeunes parfois appelés « incasables », reste donc entier ?

Christian Nile : Pour être franc, des difficultés persistent. Au jour le jour, on fait de l’artisanat. Nous n’arrivons pas à comptabiliser le nombre de jeunes à problématiques multiples vu la mouvance des situations. Ce qui est sûr c’est qu’ils nécessitent une prise en charge partagée. Et c’est ce que l’on fait en se mettant tous autour de la table. Pour trouver des solutions qui répondent aux besoins du jeune.

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 378 du 21.03.2014 : Aide à la jeunesse : trier n’est pas jouer

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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