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Immigrés pauvres éco-bâtisseurs

Depuis près de trois ans, un projet social de construction d’un immeuble de 14 appartements est en cours de développement à Molenbeek-Saint-Jean. Celui-ci, portépar la maison de quartier Bonnevie1 en collaboration avec le Ciré (Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et les étrangers)2, est misen œuvre par le Fonds du logement3. La demande de permis d’urbanisme devrait être acceptée très prochainement. Focus sur ce projet qui allieécologie, participation et politique d’immigration grâce à une utilisation ingénieuse de nombreux dispositifs publics.

12-09-2008 Alter Échos n° 258

Depuis près de trois ans, un projet social de construction d’un immeuble de 14 appartements est en cours de développement à Molenbeek-Saint-Jean. Celui-ci, portépar la maison de quartier Bonnevie1 en collaboration avec le Ciré (Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et les étrangers)2, est misen œuvre par le Fonds du logement3. La demande de permis d’urbanisme devrait être acceptée très prochainement. Focus sur ce projet qui allieécologie, participation et politique d’immigration grâce à une utilisation ingénieuse de nombreux dispositifs publics.

Le constat de départ est tristement connu : les familles d’origine immigrée à faibles revenus sont frappées de plein fouet par la crise du logement.L’insuffisance structurelle de logements sociaux, surtout de grande taille, ainsi que le niveau élevé des loyers, contraignent nombre de ces ménages à habiter dansdes logements exigus et insalubres. De surcroît, ces derniers sont le plus souvent obtenus après avoir surmonté des discriminations raciales de la part des bailleurs et pour desloyers qui grèvent dangereusement le budget familial.

Dans ce contexte, de nombreux grands ménages cherchent à devenir propriétaires de leur logement, paradoxalement poussés par la hausse des prix de l’immobilier. Cephénomène des noodkoopers (acheteurs par nécessité) n’est pas nouveau et plusieurs associations comme Bonnevie ont depuis longtemps fait le choixd’accompagner sur la voie de l’acquisitif ces familles, qui frappaient à la porte de leur permanence logement, en les aidant dans la recherche et la rénovation d’unemaison. De même, c’est dans un esprit d’aide à l’acquisition que le système d’« épargne collective solidaire », permettant, entreautres, de constituer l’acompte nécessaire à un achat, a été mis sur pied dès 2000 par les deux autres partenaires du projet, le Ciré et le Fonds dulogement. Ces différents encadrements visent à favoriser la stabilité de l’opération financière d’acquisition et à minimiser lesdésagréments d’une auto-rénovation trop souvent réalisée sans moyens ni connaissances techniques suffisantes.

Cependant, comme l’explique Geert de Pauw de Bonnevie, « les prix d’achat sont devenus impayables, si bien que même dans des quartiers comme le nôtre [le vieux centrede Molenbeek], cette solution d’achat n’est plus à la portée des familles les plus pauvres. Et le Fonds du logement est confronté aux mêmes situations. »C’est pourquoi la maison de quartier a relevé le défi de monter un projet, à la fois participatif et à la croisée de plusieurs dispositifs publics, pourpermettre, coûte que coûte, l’accès durable à un logement décent et abordable pour ces ménages aux revenus très modestes, dont certainsémargent au CPAS.

« L’Espoir » fait vivre la copropriété !

Bien qu’elles ne deviennent propriétaires de leur logement qu’une fois la construction achevée, les familles ont été impliquées activement au projetdepuis le début du processus à travers l’association de fait « L’Espoir », qui les rassemble et les représente. Celle-ci a étécréée début 2006, dès qu’un accord de principe a été trouvé avec le Fonds du logement sur l’achat d’un terrain. En effet, àl’époque, la maison de quartier Bonnevie s’associe au Ciré pour constituer un groupe de familles candidates à l’acquisition. Ils en sélectionnent seizesur une base de 35 familles rencontrées. Les familles, avec deux à six enfants, sont toutes réfugiées ou régularisées, provenant de différents pays(Congo, Guinée, Liban, Maroc, Rwanda, Somalie). La priorité a été donnée aux ménages les plus mal logés avec lesquels une relation de confiancepréexistait. Ainsi, ont principalement été retenus des ménages ayant déjà montré leur intérêt et leur capacité às’impliquer dans des processus participatifs et collectifs, notamment lors d’activités du comité Alarm4, initié par la Maison de quartier.

« L’Espoir » poursuit plusieurs objectifs, explique Monsieur Mechbal, son président. « D’abord, nous avons ouvert un compte commun sur lequel chaque familleverse 50 euros par mois. Ce fonds de réserve servira à répondre à divers besoins de notre future copropriété. » Plus de 15 000 euros ont ainsidéjà été récoltés, auxquels s’ajoute une dizaine de milliers d’euros récupérés par Bonnevie sur un reste de subside nondépensé. « Si le montant rassemblé ne pèse pas lourd dans le montage global du projet, l’effort fourni par les familles scelle néanmoins leur motivationet fortifie l’esprit de solidarité », commente Stéphane Bisschop du Fonds du logement. D’autre part, poursuit Monsieur Mechbal, « notre association seréunit très régulièrement pour se concerter et trancher dans toutes les décisions à prendre à chacune des étapes du projet. »Encadrée par Bonnevie et le Ciré, elle participe aux négociations avec la commune et les pouvoirs subsidiants, à la définition du projet avec les architectes et lesentrepreneurs, se sensibilise utilement aux aspects financiers, architecturaux, techniques et juridiques du projet en rencontrant des experts ou visitant d’autres projets, etc. StéphaneBisschop confirme d’ailleurs que « l’encadrement pédagogique du groupe d’acquéreurs par les associations a donné la confiance nécessaire au Fondsdu logement pour qu’il s’engage dans ce projet collectif. »

L’association n’est donc pas uniquement imprégnée d’une dimension immobilière mais aussi d’une dimension éducative, solidaire et citoyenne qui,avec l’épargne, fondent, selon Maria Elvira Ayalde du Ciré, « la première garantie d’une future copropriété réussie. » En cela,l’initiative semble surmonter le problème, si vif dans le logement social, du manque de participation des habitants, du délitement du lien social et de l’affaiblissement desréseaux informels d’entraide.

Si la solidarité mutualiste et l’entraide sont des gages de réussite, elles ne sont cependant pas suffisantes. C’est pourquoi les partenaires ont égalemententrepris de jongler avec un maximum de dispositifs d’aides publiques afin de diminuer au maximum le coût de revient dans ce montage singulier. C’est, semble-t-il, uniquementgrâce à cette concentration d&
rsquo;énergie et d’efforts que la viabilité financière d’un tel projet d’acquisition peut être garantie.

La mise à disposition d’un terrain constructible lance l’opération

À la base du montage financier, deux choix fondateurs : d’une part celui d’une construction groupée et neuve, jugée moins coûteuse qu’un ensemble depetites opérations de rénovation lourde et d’autre part, le choix de recourir au Fonds du logement qui offre les meilleurs taux d’intérêt et qui, dans le cas decette opération de construction-vente, n’exige aucun acompte des ménages pour ouvrir le crédit. Mais encore fallait-il avoir un terrain bon marché àdisposition…

C’est pourquoi le premier et principal gage de réussite du montage a reposé sur la collaboration de la commune de Molenbeek qui a répondu positivement àl’appel lancé par Bonnevie dès 2005 pour qu’elle mette à disposition un terrain capable d’accueillir la construction. En effet, après de multiplestractations, la commune a acquis un terrain vague situé dans la rue Fin pour le mettre à disposition. Celui-ci, appartenant à la société de logement social «le Logement Molenbeekois », a été obtenu par la commune dans le cadre d’un échange sans solde de plusieurs terrains entre les deux partenaires. Une foisl’échange finalisé, en 2006, la commune a directement introduit une demande de permis de lotir, l’a obtenu et a finalement revendu le terrain au Fonds du logement. Cettevente publique, clôturée en janvier 2007 dans le cadre du Volet II5 du contrat de quartier « Fonderie-Pierron », a ainsi permis au Fonds d’acquérir leterrain au montant concurrentiel de 60 000 euros, soit un quart de sa valeur estimée.

Ce montage a permis à la commune de mener une politique en matière de mixité sociale. « Nous voulions favoriser l’accès à la propriétédans le quartier Fonderie-Pierron, caractérisé par sa très forte concentration en logements sociaux. De même, l’échange a permis au « Logementmolenbeekois » de développer des logements sociaux dans le haut de Molenbeek, plus aisé où il ne dispose que de peu de réserves foncières », nousexplique Olivia Debruyne du service « projets subsidiés » de la commune de Molenbeek6.

Le marché conjoint de « conception-exécution », un remède contre les mauvaises surprises

L’évaluation précise du coût de la construction est primordiale pour la maîtrise du budget des ménages. Or le Fonds a constaté,systématiquement, que les auteurs de projets ne sont pas à même de présenter une estimation réaliste du coût de l’ouvrage, tel que conçu puisapprouvé par eux. C’est pourquoi il a décidé, à titre expérimental pour ce projet, d’avoir recours à un marché dit de «conception-exécution », dans lequel, dès le départ, concepteur et entrepreneur de travaux sont associés et font une offre « complète » oùl’ouvrage présenté est immédiatement assorti d’une proposition de prix. Le 11 mars 2008, le Fonds du logement a ainsi procédé àl’adjudication du marché à l’architecte Carnoy et à l’entreprise Entrebois, spécialisés dans la construction bioclimatique et familiarisésà un travail en tandem.

Outre l’économie réalisée sur le coût du terrain, les partenaires du projet se sont également lancés dans une recherche continue de subsidescomplémentaires. Ils ont ainsi décroché ou devraient décocher :
• un subside de 190 000 euros de la Politique des grandes villes dans le cadre du Plan logement communal 2005-2007, afin de couvrir les frais d’architecture et d’entrepreneur ;
• un financement de la Région de Bruxelles-Capitale pour l’accompagnement par le bureau d’étude « Ecorce » de l’éco-construction de cetimmeuble en bois de 1 245 m2 ;
• plusieurs primes de l’IBGE7 pour l’optimisation des performances énergétiques de l’immeuble : la principale prime (100 euros/m2) vise lamise en conformité de l’immeuble aux critères des bâtiments dits « passifs », elle est censée compenser l’excédent de coût de mise enœuvre par rapport à une construction ordinaire.

Les partenaires convoitent également un subside complémentaire de 100 euros/m2 dans le cadre de leur réponse récente à l’appel à projetsorganisé par l’IBGE en soutien à des projets de bâtiments exemplaires en matière d’énergie et d’éco-construction.

L’éco-construction permettra avant tout aux futurs acquéreurs de réaliser des économies au quotidien grâce à la réduction drastique(jusqu’à 90 %) de leurs charges énergétiques. Cette épargne durable sur un poste, qui représente parfois une proportion élevée du budgetlogement d’un ménage, est évidemment loin d’être insignifiante.

Vers une politique sociale d’accès à la propriété ?

Ce projet d’accès à la propriété pour des familles nombreuses à très faibles revenus semble une alternative porteuse et constitueindéniablement une contribution intéressante à la réflexion sur l’avenir du logement social bruxellois. Il met en effet l’accent sur la participation desoccupants et sur l’éco-construction, deux aspects en général totalement absents dans la construction de logements sociaux. L’expérience intéresse entout cas déjà d’autres associations bruxelloises comme Samenlevingsopbouw et Convivence qui envisagent de s’engager dans des projets similaires, notamment dans lecadre de contrats de quartier. Mais l’expérience est-elle vraiment reproductible ?

Il faut d’abord remarquer que le projet a été développé sur un terrain acheté à la commune de Molenbeek, dans un contexte de manque relatif dedisponibilités foncières publiques pour la construction de logements sociaux dans la Région. Ainsi, si la mise à disposition définitive d’un terrain communalpour ce projet social d’acquisition semble louable, il faut cependant souligner qu’elle affaiblit les réserves foncières de la commune. Dans ce contexte, on peutsincèrement espérer que tout montage futur de potentiels projets équivalents, mené dans le cadre du volet II des contrats de quartier, puisse plutôt mobiliser desressources foncières privées. En effet, la vocation des volets II n’est-elle pas, d’abord, d’accroître l’assise foncière disponible pour mener desp
rojets de logement à caractère social, tout en évitant au mieux d’induire une concurrence malheureuse entre politiques publiques ?

En outre, nous l’avons dit, l’opération est fortement dépendante des subsides, dont certains obtenus à titre exceptionnel. Cette dépendance laissed’ailleurs sceptique le Fonds et il incite à réaliser un bilan économique hors subsides de l’opération. « Pour être pilote,l’expérience doit viser à sa reproductibilité, or si elle jouit d’un régime de faveur trop exceptionnel, elle court le risque de rester un exemple isolé», prévient Stéphane Bisschop.

Les partenaires restent cependant convaincus de la valeur de l’opération. Selon eux, le problème n’est pas tant le recours au soutien des pouvoirs publics, qu’ilsjugent nécessaire, mais bien plutôt le fait que ces politiques de soutien à l’accès à la propriété soient mal adaptées aux ménagesà faibles revenus et bénéficient, dans les faits, d’abord à la classe moyenne. En effet, les principales mesures – c’est-à-dire la diminutionde la base imposable du droit d’enregistrement et son abattement en Région bruxelloise, la déduction fiscale des intérêts et amortissements de l’emprunt, lesdiverses primes – ne sont pas des mesures spécifiquement adressées aux bas revenus et constituent plutôt un « effet d’aubaine » pour desménages qui, le plus souvent, auraient franchi le pas vers la propriété, de toute façon.

Face à ce constat, les partenaires préconisent d’étendre la réduction de la TVA de 21 à 6 % à tous les projets de construction-rénovation delogements qui visent un accès social à la propriété. Cette réduction de TVA s’applique déjà pour la construction de nouveaux logements sociauxdepuis la loi-programme du 27 décembre 2006. Tant Bonnevie, le Ciré que le Fonds du logement accumulent les propositions et les démarches auprès des politiciens pour fairereconnaître ce principe, jusqu’à présent en vain. « Notre projet correspond pourtant parfaitement aux critères qui permettent de bénéficier de cetarif favorable. Si nous bénéficiions de cette réduction de 15 % sur la construction, nous ne devrions pas tant courir derrière les subsides, et l’expériencepourrait être reproduite plus facilement », s’insurge Stéphane Bisschop du Fonds du logement. Il se demande ce que le gouvernement fédéral attend pour mettre enœuvre une telle mesure à une heure où l’accès au logement des ménages est annoncée comme prioritaire. « N’est-ce pas regrettable et, àproprement parler, incohérent dans le contexte aggravé de la crise du logement ? », conclut-il.

Le montage du projet en deux mots

Le Fonds du logement acquiert un terrain de la commune de Molenbeek, situé à la rue Fin, le 12 janvier 2007. Il en restera propriétaire jusqu’à la fin du chantierde construction, estimée à début 2010 et agit entre-temps comme seul maître d’oeuvre, ce qui lui évite de tomber sous le coup de la contraignante loi Breynequi réglemente la vente d’immeuble sur plan. Ce n’est donc qu’une fois l’immeuble achevé que les familles pourront acheter individuellement un appartement, de 75à 130 m2 selon leur composition familiale, et pour un prix de base d’environ 180 000 euros.

Au stade actuel, les candidats acquéreurs ne sont pas obligés d’acheter, ni le Fonds de leur vendre. Cependant, la vente sera proposée en priorité aux membres del’association de fait « L’Espoir » qui rassemble tous les candidats et est encadrée par les associations Bonnevie et le Ciré. Un « accord de collaboration» définissant légalement la participation respective des quatre partenaires a été signé entre eux le 2 octobre 2007.

1. Bonnevie, maison de quartier :
– adresse : rue Bonnevie, 40 à 1080 Molenbeek
– tél. : 02 410 76 31 – site : bonnevie.vgc.be
2. Ciré (Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et Étrangers), Service Logement :
– adresse rue du Vivier, 80-82 à 1050 Ixelles
– tél. : 02 629 77 01
– site : www.cire.irisnet.be
3. Fonds du logement de la Région de Bruxelles-Capitale :
– adresse : rue de l’Été, 73 à 1050 Ixelles
– tél. : 02 504 32 11
-site : www.fondsdulogement.be

4. Créé en 2001, le comité Alarm est un groupe d’habitants qui, comme son nom l’indique, se mobilise dans l’Action pour le logement accessible auxréfugiés à Molenbeek.
5. Le volet II concerne des acquisitions ou la prise d’emphytéose de terrains et d’immeubles par la commune, afin de les assainir (si cela est nécessaire) comme terrainsà bâtir. Le but est de les mettre à disposition d’investisseurs publics ou privés, à un prix inférieur à leur valeur réelle. Les logementsainsi réalisés sont des logements conventionnés.
6. Commune de Molenbeek, Service des projets subsidiés, rue du Comte de Flandre, 20 à 1080 Molenbeek – tél. : 02 412 36 07 – site : http://www.molenbeek.irisnet.be
7. IBGE, Service Info-environnement, Gulledelle, 100 à 1200 Woluwe-St-Lambert – tél. : 02 775 75 75 – site : http://www.ibgebim.be

Thomas Dedecker

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