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Habiter au-dessus des commerces : une solution à la crise du logement en Flandre et à Bruxelles ?

Une offre potentielle de logements qu’on peut remettre sur le marché, cela amène à réfléchir et à trouver des solutions innovantes pour responsabiliser etimpliquer des acteurs privés dans des politiques de logement, social ou non. Bruxelles-Ville, Bruges, Gand, Hal : ce sont les communes qui semblent avoir les bons leviers en mains, mêmesi elles ne peuvent agir seules, comme on va le voir en passant en revue une partie de l’actualité de plus en plus foisonnante de ce dossier complexe.

28-07-2005 Alter Échos n° 145

Une offre potentielle de logements qu’on peut remettre sur le marché, cela amène à réfléchir et à trouver des solutions innovantes pour responsabiliser etimpliquer des acteurs privés dans des politiques de logement, social ou non. Bruxelles-Ville, Bruges, Gand, Hal : ce sont les communes qui semblent avoir les bons leviers en mains, mêmesi elles ne peuvent agir seules, comme on va le voir en passant en revue une partie de l’actualité de plus en plus foisonnante de ce dossier complexe.

1. Bruxelles-Ville :les propriétaires optent pour la facilité

Pour la première fois, la Délégation au développement de la Ville de Bruxelles1 rend public son travail concernant les logements vides au-dessus des commerces. «Ici, la démarche est plus complexe qu’elle ne l’était pour les immeubles vides en général, car ces derniers étaient mis sur le marché, nous dit MarieDemanet, responsable de la Délégation. Or, les commerces avec étages vides sont considérés comme occupés par les propriétaires, ils ne sont pas sur lemarché. Depuis trois ans, nous contactons les propriétaires par courrier, puis par téléphone et nous faisons des visites. Nous avons eu beaucoup de réponsesexpliquant pourquoi ces étages étaient vides. » De manière générale, le rendement commercial suffit aux propriétaires en termes de loyer, aussi ilsn’ont pas besoin de louer les étages. Pour mener l’analyse à bien, la Délégation est allée voir ce qui se faisait ailleurs : aux Pays-Bas (Maastricht), enGrande-Bretagne… Elle travaille aussi avec l’Association des managers de centre-ville (AMCV), car la conscientisation est importante et les town center managers constituent d’excellents relais surle terrain.

D’après une enquête de la Délégation, l’Ilot Sacré compterait 140 immeubles dont les étages sont vides, la rue Marché aux Herbes 53 immeubles et onen dénombrerait 24 sur le boulevard Adolphe Max. Concrètement, cela représenterait un potentiel de 490 logements sur un périmètre de quelques blocs !

« Au départ, les propriétaires étaient surpris d’être contactés et ne voyaient pas l’intérêt de louer ces logements, poursuit notreinterlocutrice. Ils n’estiment pas avoir une responsabilité en la matière. Pour eux, ils ont cédé au commerçant tout l’immeuble lors de la signature du bailcommercial. » En fait, les propriétaires optent pour la facilité. « Si un propriétaire scinde un bail entre rez-de-chaussée commercial et logements, il vadevoir gérer ces logements, explique Marie Demanet. Cela implique plus de travail que le bail commercial (de longue durée et qui demande peu d’intervention du propriétaire). Unhabitant peut rester longtemps, mais il a en général plus de mobilité, il demande souvent au propriétaire d’intervenir. À cela s’ajoutent les problématiquesentre habitants. Bref, cela effraye un peu certains propriétaires. »

Une journée de sensibilisation

Aussi, le 23 juin, la Délégation a organisé une journée d’information et de réflexion à destination des propriétaires du centre-ville. Àcette fin, elle a produit un dépliant de sensibilisation sur les pistes à utiliser en termes de gestion, de patrimoine, etc. Des experts seront présents pour répondre auxquestions juridiques (des notaires), ou sur les servitudes de passage (des géomètres-experts), les problématiques de rénovation (des architectes, des promoteurs, deshabitants), les investissements (des petits investisseurs qui aiment le patrimoine et qui ont compris la spécificité du centre-ville). Les nouvelles primes à la rénovationde logements accordées aux agences immobilières sociales (AIS) devraient permettre également de répondre à une série de problèmes. « On pensequ’au vu de la crise actuelle du logement, on peut faire bouger les choses, pointe la responsable de la Délégation. C’est un travail de longue durée, mais lespropriétaires vont se rendre compte qu’il y a une volonté politique derrière cette action et des réponses pragmatiques. » Ces dernières peuvent consister enincitants financiers, tels des primes régionales à la réhabilitation du bien. Cette opération peut aussi être cédée au commerçant ou aulocataire via le système du bail à rénovation. Il est également possible de recourir au bail emphytéotique, aux partenariats (AIS, investisseurs privés,architectes spécialisés) ou, tout simplement, vendre les étages.

Marie Demanet estime qu’avec le débat public, on pourra améliorer les outils existants et résoudre une série de problèmes résiduels. Parmi ces derniers,elle vise les cas particuliers : problématique d’accès aux étages, prise de contacts avec les voisins pour envisager des servitudes (à la place despropriétaires)… « Beaucoup de dossiers sont ouverts, car il y a des lenteurs administratives, en matière de bail », commente-t-elle. L’idéal pour laDélégation serait d’arriver à des situations telles que celles du quartier Saint-Jacques (un autre quartier commercial du centre bruxellois, autour de la rue Marché auCharbon), où il existe une mixité entre commerces et habitants, promue par les comités d’habitants eux-mêmes. Bien entendu, cela oblige à trouver un consensus et descompromis pour éviter que les commerces ne nuisent aux habitants, en particulier ceux de l’Horeca.

2. L’exemple brugeois

En 1996, une étude de Paul Van de Voorde, fonctionnaire du service du Logement de la Ville de Bruges, posait le constat que les rues commerçantes du centre-villes’étaient fortement dépeuplées. Seulement un immeuble commercial sur quatre abritait encore des habitants. Pour stimuler le logement au-dessus des commerces, la ville avoulu alors faire appel au fonds Mercurius, créé en 1998 par le ministre flamand de l’Économie pour soutenir le développement des commerces dans les centres-villes.Un projet fut élaboré qui permettait à une société intercommunale de racheter ces logements vides ou de les prendre en gestion. Après les avoirrénovés avec les moyens du fonds Mercurius, elle devait les céder à une société de logements sociaux.

Le projet n’a jamais rien donné, faute de collaboration de la part des propriétaires. On s’est alors inspiré de l’approche développée àMaastricht, aux Pays-Bas, qui s’était lancée avec « Meertens en Steffens », un bureau de conseil et de développement bien coté. Brugge décidealors de mettre en place une nouvelle réglementation qui adapte les primes à la rénovation de la Ville, qui existaient depuis 25 ans pour les commerces, et qu’on coupleradésormais au fonds Mercurius. Ce dispositif prend en compte des chantiers jusqu’à 750 000 FB : 40 % de la prime (soit 300 000 FB maximum) sont financés par la ville, et 15% (soit 112.500 FB) par le fonds. Comme ne sont éligibles que des immeubles de deux ou trois étages et que seules deux unités de logement peuvent être subsidiées parbâtiment, cela donne une prime au propriétaire d’un montant qui peut s’élever jusqu’à 825 000 FB.

Quarante-huit demandes sont ainsi arrivées sur le bureau du service du Logement, et 42 ont été acceptées. Ce système de primes est toujours en vigueur, mais lesubside régional du fonds Mercurius ne sera plus reconduit au-delà de cette année. Pour le fonctionnaire, ce succès est à attribuer au moins autant au montant deces primes qu’aux taxes sur les immeubles abandonnés : « Nous étions une des seules villes à avoir dressé un inventaire complet des immeublesabandonnés. Les propriétaires qui voulaient échapper à ces taxes et en plus toucher les primes avaient vite fait leurs calculs. » Quant à savoir si ledispositif a eu un effet sur la viabilité et la sécurité du centre-ville, Paul Van de Voorde ne se prononce pas : « C’est encore un peu tôt et tout cela estbien difficile à chiffrer. »

3. Des émules en Flandre

Plusieurs communes flamandes se posent en ce moment la question des logements vides au-dessus des commerces. À Hal (Brabant flamand), les mêmes constats qu’à Bruges ontdonné lieu à un mécanisme similaire. Il s’agit d’un type de primes spécifique pour la rénovation de ces espaces. Le commerçant qui créeune entrée séparée pour l’espace habitable situé au-dessus de son magasin peut toucher un montant compris entre 2 500 et 4 000 euros, à concurrence de 50 % ducoût total des travaux. Trois projets sont déjà en cours et plusieurs autres attendent une approbation. Le but, pour l’administration communale, est non seulement derépondre à la demande croissante de logements, mais aussi de revitaliser le centre-ville, souvent déserté le soir. Pour la seule Basiliekstraat, principale ruecommerçante de la ville, on compte 130 commerces dont seulement 40 ont une entrée séparée pour les étages supérieurs…

Un livre blancsur la politique urbaine

Dans sa note politique, la majorité communale gantoise a abordé la problématique. Sur « Habiter Gand », on peut ainsi y lire : « Le ministre flamand duLogement a l’intention d’impulser des projets pilotes pour le logement au-dessus des commerces : la Ville de Gand participera à l’expérience. »

On n’a toujours pas entendu parler de ces fameux projets pilotes, mais en 2001, la Région flamande a lancé une compagne « La maison en ville ». Au-delà de laconscientisation des citadins, il a démarré un groupe de travail qui a reçu la mission de formuler une vision à moyen terme pour résoudre de façon durableles problèmes structurels des villes flamandes. Le raisonnement qui se cache derrière est simple : ce sont les décisions politiques d’aujourd’hui qui façonnentce que la ville sera dans vingt ans.

Le groupe de travail s’appuye sur des experts et organise des séminaires sur des thèmes spécifiques. Il a ainsi fait appel à Frans Steffens et Rob Cuypers dumême bureau « Meertens en Steffens », qui ont produit un texte introductif à la discussion sur « L’environnement de l’habitat et le domaine public »2,où ils en appellent à des projets d’habitat à forte dimension sociale qui pourraient être réalisés au travers de partenariats public-privé. Tousles résultats de ces travaux seront rassemblés dans un livre blanc présenté à l’occasion d’une grande conférence, à Gand, en novembreprochain.

1. Ville de Bruxelles, Département de l’Urbanisme, Délégation au développement de la Ville, bd Anspach 6 (12e étage) à 1000 Bruxelles, tél. : 02279 31 43, fax : 02 279 31 42.
2. Paul Van de Voorde, Huisvestingsambtenaar Stad Brugge, Oostmeers 19 à 8000 Brugge, tél. : 050 44 85 39.
3. Il est possible de le télécharger sur Internet : «Thuis in de stad. Woonomgeving en publiek domein», Meertens en Steffens, januari 2002 : www.thuisindestad.be/html/witboek/downloads/steffens.pdf

Baudouin Massart

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