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Regard critique · Justice sociale

Social Bistrot

Grève au Parvis, (nouvelle) lutte des classes contemporaine ?

Place publique stratégique de la commune de Saint-Gilles à Bruxelles, le Parvis incarnait depuis des lustres le brassage entre des publics hétéroclites. Depuis quelque temps, le Covid aidant, la situation s’est détériorée. À tel point que les commerçants ont entrepris une action de grève pour dénoncer l’insécurité croissante et les comportements ingérables de «certaines» personnes à la marge de notre société de consommation.

Place publique stratégique de la commune de Saint-Gilles à Bruxelles, le Parvis incarnait depuis des lustres le brassage entre des publics hétéroclites. Son église, son marché, ses cafés, ses commerces et leurs clientèles se mêlaient aux usagers du centre de jour pour sans-abri «L’Îlot», aux musiciens de rue, aux gueules cassées ou clochards célestes qui zonaient dans le quartier. Depuis quelque temps, le Covid aidant, la situation s’est détériorée. À tel point que les commerçants ont entrepris une action de grève pour dénoncer l’insécurité croissante et les comportements ingérables de «certaines» personnes à la marge de notre société de consommation. Récolte d’impressions.

Mercredi 15 septembre. Étrange ambiance sur place, on pourrait penser à un western moderne: chaque commerçant campe devant son enseigne, les badauds passent furtivement tandis que les autres font partie du «paysage», ou s’y insèrent discrètement, presque sur la pointe des pieds. Des déchets roulent et s’envolent. Le silence règne. Armée de mon micro, je glane au vol des avis variés qui plantent le décor.

Dame n°1, attrapée au vol sur le chemin du Bancontact:

«Effectivement quand je viens ici, je vois toujours ces pauvres personnes qui picolent. C’est triste. Parfois, la police les bouscule et ça ne sert rien. Pourquoi la commune ne met-elle pas en place des solutions pour ces gens plutôt que la répression? Les foutre une heure en taule puis les laisser sortir, il n’y a pas d’aide là-dedans. Les bonhommes mauves (NDLR : les gardiens de la paix) ne sont pas compétents. Ils n’en peuvent rien, c’est pas leur job.»

Dame n°2, habitante du quartier, qu’elle adore:

«Après le confinement, on a remarqué une concentration de gens beaucoup plus agressifs sur le Parvis. J’accompagne ma fille à l’arrêt de bus car ce n’est plus sécurisé. Les commerçants n’en peuvent plus de gérer toute cette agressivité, toute cette violence. C’est too much, y a pas de règles. Quarante personnes sur les marches de l’église, bourrées, pissant sur les marches, c’est un peu trash. Je proposerais d’enlever le home de l’Îlot et de le délocaliser. La cohabitation entre commerçants, piétonnier et SDF qui sont dans un état pas possible, ça ne va pas.»

Habitant du Parvis n°1:

«Les commerçants cherchent à pousser les autorités à prendre leurs responsabilités. Ces gens doivent être pris en charge sur le plan de la santé mentale, de la drogue. Que s’est-il passé pendant ce confinement pour que ces populations soient complètement laissées pour compte? Je constate vraiment une détérioration sévère.»

Pôle social en quête de solutions/moyens

Au milieu du Parvis exactement, comme un symbole du rôle de médiation qu’ils jouent entre leurs publics et la société, trois membres de l’associatif local sont venus sur le front croiser leurs réflexions.

«Je suis travailleur social chez Doucheflux et je venais voir ce qui avait été mis en place pour cette action, mais il n’y a pas de politique, pas de médiateur, peu de mobilisation au niveau des mouvements sociaux qui travaillent avec des publics précaires. Il faut communiquer, donner des contacts aux patrons de bar, leur montrer qu’il y a des professionnels pour gérer les crises. Le problème est bien plus grand que des gens drogués qui empêchent d’autres gens de boire leur verre en terrasse. On est sur des problèmes systémiques du secteur social qui manque de moyens. Il faut travailler ensemble, mettre en place des maraudes plus régulièrement. Après un an et demi de Covid, la situation des patrons de bar est compliquée. Je peux comprendre que ça crée des perturbations. Il faut juste emmener les personnes dans le besoin vers des professionnels.»

«Avec Dune, on travaille en rue tous les jours au Parvis, on connaît ces situations compliquées. Mais se limiter à dénoncer ces comportements, ça ne va pas. Il faut trouver des alternatives pour ces personnes qui sont dans des situations de souffrance psychique grave. Il y a très peu de possibilités d’hébergement, de soins. Le problème est structurel. Tout ce qui est sorti dans la presse sur le sujet nous a choqués. Le vocabulaire employé pour désigner ces personnes est stigmatisant, déshumanisant. Nous, on essaie d’expliquer la complexité…»

«À l’Îlot, on accueille un public principalement sans abri, qui a aussi le droit d’avoir un suivi psychosocial dans de bonnes conditions. Nous ne sommes pas outillés pour les personnes qui ont des problèmes d’assuétudes et de violence. Déplacer l’Îlot ne ferait que déplacer le problème. Les publics doivent pouvoir se mélanger. Des agressions et des comportements qui vont trop loin, ça ne va pas non plus. On ne sait pas gérer ça, on est impuissant. On a une telle affluence de personnes précarisées. Il faut que chacun joue son rôle. On stigmatise, on focalise le problème sur certaines personnes. C’est le système qui ne va pas bien.»

La ville est à tout le monde

Remonté à bloc, un petit homme à chapeau noir s’empare de notre tribune:

«Cette action, c’est des conneries pour moi. Les gens qui n’ont pas les moyens, ils n’ont pas droit de vivre ou quoi? Je donne raison aux commerçants, mais il faut soigner le système, il faut soigner les pauvres. Il faut aider les gens, leur donner du logement, du travail. À l’Îlot, il y a des ingénieurs qui viennent manger, des médecins. C’est pas les déchets de la société, c’est des victimes de la société. Et les bourgeois font les malins parce qu’ils sont riches. Le Parvis, c’est pour les pauvres et pour les riches.»

Assis sur l’un des rares «bancs publics» de la place, à savoir la margelle entourant un arbre planté dans le béton, un homme contemple placidement le spectacle. Il n’a pas sa langue en poche et part dans une longue tirade.

«Moi je suis humain comme tout le monde. Je suis là, comme toi, comme les autres. Tu penses que je suis fou? Je suis fou comme les fous, mais c’est la logique qui nous manipule. Les gens dans la rue, ce sont des abrutis qui volent? C’est pas vrai. J’habite là, je vois. Je suis content avec les gens de la rue. Je m’en fous les bars, je m’en fous les cafés. Ils sont plus riches que nous.»

Un habitant du Parvis n°2 se réjouit d’avoir enfin voix au chapitre:

«Il y a des scènes répétitives d’agression. Un malaise. Il y a aussi des gens qui vivent ici, comme moi. Le lieu que j’ai connu et que j’ai choisi s’est perdu depuis qu’on a minéralisé la place, on a fait de l’Horeca à outrance. Quand on a confiné la première fois, on a laissé s’installer sur le Parvis une zone de non-droit. C’est à des gens qui n’ont pas les compétences de gérer des incivilités, des agressions… Ces incivilités, on les constate constamment. C’est une non-gestion. Les habitants sont toujours laissés de côté.»

Pour clôturer la ronde, un monsieur venu là par hasard pour prendre un verre, surpris par l’ambiance mortelle et les bourrasques, se livre en tant qu’observateur participant:

«J’ai vécu dans la rue moi aussi, j’étais tox. À l’époque, je dormais dans le parc de la porte de Hal. Je mendiais. Depuis, j’ai tourné la page. Je suis pour la mixité des classes sociales. Ayant connu les deux, ayant maintenant plus de moyens financiers, n’ayant plus d’addiction, je suis contre la ségrégation. Est-ce que vous pouvez reprocher à un quartier populaire d’être populaire? Il y a aussi un phénomène d’inflation dans Saint-Gilles, la population change, ça devient élitiste et très cher. Saint-Gilles doit rester populaire, doit accepter la pauvreté et doit accepter tout public.»

Y parviendra-t-on? Suite au prochain épisode…

Marie-Eve Merckx

Marie-Eve Merckx

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