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ETA à Bruxelles : sortie d’une monographie et réflexions en cours

La demande d’emploi dans les Entreprises de travail adapté (ETA) excède l’offre bruxelloise, c’est un des principaux enseignements que l’on peut tirer de la monographie sur les ETAbruxelloises qui vient de paraître. L’occasion pour la ministre Huytebroeck (Ecolo) de faire part de quelques pistes de réflexion à l’étude actuellement.

05-05-2006 Alter Échos n° 207

La demande d’emploi dans les Entreprises de travail adapté (ETA) excède l’offre bruxelloise, c’est un des principaux enseignements que l’on peut tirer de la monographie sur les ETAbruxelloises qui vient de paraître. L’occasion pour la ministre Huytebroeck (Ecolo) de faire part de quelques pistes de réflexion à l’étude actuellement.

Grande première pour la ministre Evelyne Huytebroeck (Ecolo)1, ce 3 mai, il s’agissait de sa première conférence de presse sur les entreprises de travailadapté (ETA) depuis qu’elle est ministre en charge de l’Aide aux personnes handicapées au niveau de la Cocof. L’ETA « Travail et vie »2, qui accueillait pour l’occasion lapresse et les acteurs du secteur, était quant à elle en effervescence. Implantée le long du canal à Anderlecht, l’emballage est une des spécialités de cetteETA. L’entreprise emploie 420 travailleurs dont 340 personnes handicapées (60 % ont ainsi une déficience mentale, les autres souffrent de problèmes sensoriels, etc.). Objet de laconférence de presse, la présentation d’un ouvrage3 sur les ETA bruxelloises rédigé par Bernard De Backer, chercheur à l’Apef, l’association paritairepour l’emploi et la formation4.

Le point de départ de cette « monographie des ETA bruxelloises » est un projet d’étude des besoins en formation psychosociale des moniteurs et monitrices, les professionnels depremière ligne qui encadrent et accompagnent les travailleurs handicapés dans les ETA. C’est ce point de départ qui a permis la mise en relation des partenaires sociaux du Fondssectoriel des ETA bruxelloises et de l’Apef. « Il est ensuite vite apparu, explique Bernard De Backer, que l’étude des besoins en formation des moniteurs ne pouvait se faire que dans uncontexte d’une meilleure connaissance des réalités du secteur, de son histoire, de ses défis actuels et de ses perspectives d’avenir ». D’où l’idée, proposéepar le chercheur, de faire précéder l’étude des besoins d’une « monographie » du secteur. Celle-ci permettrait non seulement de placer la problématique des moniteurs dansson contexte mais aussi de mieux faire connaître les ETA bruxelloises. Progressivement, la monographie s’est autonomisée pour devenir un projet de publication séparée, puisun livre, illustré par les portraits de la photographe Viviane Joakim et les scènes de travail au quotidien, saisies par Nathalie Hupin au sein des ateliers. Il a étéconçu pour un public non spécialisé et est donc tout à fait abordable pour un non-initié.

La demande dépasse l’offre

La demande d’emploi dans les entreprises de travail adapté (ETA) excède largement l’offre en Région bruxelloise : c’est là un des principaux enseignements de l’ouvrage.Ainsi, le carcan des quotas limite actuellement le nombre de places subventionnées à 1 450 pour 2 812 demandes (en fait 2 812 « cartes jaunes », document délivré parl’administration et qui permet de postuler à un emploi dans une ETA). Comparativement aux deux autres Régions, Bruxelles offre le nombre de places subventionnées le moinsélevé : 2,39 places pour 1 000 habitants, contre 2,95 places en Wallonie et 3,26 en Flandre. Une situation qui empêche la croissance des ETA qui connaissent une situationéconomique favorable, mais également la création de nouvelles entreprises de travail adapté5. Une situation qui devrait, selon Guy Lemmens, président dela Fédération bruxelloise des entreprises de travail adapté6, malheureusement perdurer : « La Cocof dispose d’une enveloppe fermée et on connaît sesproblèmes budgétaires, on ne peut donc pas espérer voir augmenter les quotas. Or, il y a pour nous une incohérence à ce que les ETA soient sous la tutelle Cocof :la Cocof assume les dépenses mais n’en tire aucun profit. Les ETA devraient plutôt relever de l’Emploi, qui est une compétence régionale et fédérale, celapermettrait d’ailleurs d’apporter des moyens budgétaires plus importants . »

La situation actuelle

Les 13 ETA7 de la capitale (au nombre de 14 jusqu’à il y a peu) occupaient quelque 1 800 travailleurs en juin 2005, dont un peu plus de 1 400 travailleurs handicapés,subventionnés comme tels à travers le système des quotas. Leur subventionnement global est de 19,4 millions d’euros. Le secteur se caractérise par une très grandediversité en termes de localisation, de production, de capacité professionnelle des travailleurs, mais aussi de taille. La plus petite ETA occupe 33 personnes, la plus grande 413.

La majorité des ETA bruxelloises ont été fondées par une association liée à un handicap spécifique avant de se transformer en entreprisesprincipalement centrées sur l’activité économique. Cette évolution a connu un écho au niveau de leur appellation. Celle des « ateliers protégés » encoreretenue en France et en Flandre (« beschutte werkplaats« ) correspondait à la préoccupation surtout sociale.

L’évolution s’est aussi traduite par un changement de profil des moniteurs, désormais davantage « techniciens meneurs d’hommes » qu’éducateurs. « Les ETA sont dès lorsplacées devant une double contrainte, analyse Bernard De Backer : assurer leur survie économique et respecter leur objectif social, ce qui demande beaucoup de virtuosité. Commele disait un employeur, ‘il faut être à la charnière entre le monde extérieur exigeant et le monde intérieur protégé' ».

La globalisation de l’économie et l’orientation de la production vers le « just in time » ont aussi des répercussions sur le secteur où des rapprochements, voire desfusions, font partie des réflexions sur l’avenir. Une tendance que confirme Axel Godin, directeur de l’ETA « Travail et vie »: « Nos clients sont des entreprises qui travaillent à fluxtendu… avec parfois la marchandise qui n’arrive pas à temps, et nous devons alors improviser pour pouvoir occuper nos travailleurs. Certaines ETA ont aussi du travail très saisonnieret ont des pics d’embauche à certains moments de l’année. On pense de plus en plus à se regrouper pour se calquer sur le modèle du groupement d’employeurs et doncmutualiser nos travailleurs. »

Les spécificités bruxelloises

Plusieurs facteurs cumulent leurs effets pour rendre l’accès des personnes handicapées aux ETA bruxelloises plus difficile. On a évoqué précédemment lesystème des quotas mais trois autres facteurs sont également pointés par Bernard De Backer :

• La sociologie de la population bruxelloise, plus pauvre, plus hétérogène et moins qualifiée que celles des autres régions, dans un contexte où unnombre croissant de personnes en situation de grande précarité et faiblement scolarisées frappent à la porte des ETA. Ces personnes dites « handicapées sociales »seraient souvent préférées aux personnes plus lourdement handicapées, cela dans le contexte d’une mécanisation accrue des ateliers et de l’instauration du RMMMG(revenu minimum moyen mensuel garanti). Une question toutefois subsiste : le secteur des ETA a-t-il bien vocation d’offrir du travail à cette catégorie de personnes ? Pour Guy Lemmens,président de la Febrap, il serait nécessaire de mener sur ce point une réflexion avec l’ensemble du secteur de l’économie sociale d’insertion à Bruxelles.

• La population des personnes handicapées résidant dans la région, serait, pour des raisons historiques, « plus lourdement handicapée » que dans les autresrégions. Ces personnes ont donc moins de chances d’être embauchées dans les ETA et ne trouvent par ailleurs pas d’occupation dans des centres de jour, où les placesmanquent également.

• Le paysage économique bruxellois est plus favorable aux services qu’aux industries du secteur secondaire. Les travaux artisanaux ou de manutention simple ont dès lors tendanceà diminuer plus rapidement que dans d’autres régions. Sans compter que l’espace manque cruellement et que l’évolution du coût de l’immobilier rend les investissementsparticulièrement onéreux.

Du concret pour juin 2006

Les changements qui sont étudiés dans l’ouvrage figurent aussi à l’agenda politique, si l’on en croit la ministre bruxelloise en charge de l’Aide aux personneshandicapées. « Il faut à présent réfléchir à la façon de préserver la mission originale des ETA dans cet environnement mouvant », ainsisté Evelyne Huytebroeck. Selon la ministre plusieurs pistes qui tiennent compte de la diversité des ETA devront être empruntées :
• la simplification administrative, pour recentrer les énergies sur les enjeux importants ;
• le meilleur accompagnement possible des travailleurs, pour soutenir le recrutement et l’entrée dans la vie professionnelle ;
• le bien-être au travail et le maintien des personnes les plus lourdement handicapées (faut-il envisager la création de dispositifs spécifiques, en fonction dequelles priorités et avec quels moyens ?) ;
• la formation et l’accompagnement (comment inscrire le personnel d’encadrement dans un processus de formation et d’échanges d’expériences ? quelle place pour le travail social ausein de l’ETA ?) ;
• l’aide à la recherche d’activités porteuses d’avenir, complémentaires aux activités actuelles, dans le cadre d’une structure économique innovante ou, pourles entreprises plus en difficulté, en vue d’une possible reconversion (quelle place demain dans les ETA pour les activités de service, de recyclage ou pour les nouveaux métiersdu réemploi ) ;?
• la recherche de sources de financement plus diversifiées : optimaliser l’intégration des aides fédérales à l’emploi, mettre à l’étudel’opportunité de créer de nouvelles structures d’économie sociale, etc.

Une réflexion qui est pour le moment menée avec la Fédération des ETA bruxelloises, le Conseil consultatif des personnes handicapées et les partenairessyndicaux. Elle devrait aboutir en juin 2006.

1. Cabinet Huytebroeck, rue du Marais, 49-53 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 517 12 00 – info@huytebroeck.irisnet.be
2. Travail et Vie asbl, Digue du Canal, 40 à 1070 Bruxelles – tél. : 02 526 20 00.
3. « Des entreprises pour travailleurs handicapés à Bruxelles. Réalités, défis et perspectives. Monographie des entreprises de travail adapté« , BernardDe Backer – Apef asbl.
4. Association paritaire pour l’emploi et la formation asbl. L’Apef regroupe les organisations d’employeurs et de travailleurssiégeant dans les fonds de sécurité du secteur non-marchand francophone et germanophone, afin de coordonner et d’amplifier leurs actions, notamment dans le domaine de laformation et/ou de la création d’emplois. Coordonnées : quai du Commerce, 48 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 227 59 70 – fax : 02 227 59 79
5. Aucune ETA francophone n’a plus été agréée à Bruxelles depuis 20 ans.
6. Febrap asbl, Trassersweg, 347 à 1120 Bruxelles – tél. : 02 262 47 02.
7. Il n’existerait, à la connaissance de l’auteur, côté néerlandophone, qu’une seule « beschutte werkplaats » dans la région bruxelloise : Kannunik Triest (74travailleurs), située à Woluwe-Saint-Lambert.

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