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"Évaluation de l'Objectif 3 94-99 : comment des politiques complexes peuvent-elles être efficaces ?"

17-12-2001 Alter Échos n° 111

On a rarement l’occasion de rencontrer un document qui permet de faire le bilan de cinq ans de politiques d’insertion en Wallonie et à Bruxelles. C’est la perspective qu’offre la nouvelleévaluation des interventions 94-99 du FSE en Belgique francophone1, clôturé depuis début octobre, et qui vient d’être approuvé par son Comitéd’accompagnement intercabinets2.
Le Fonds social européen cofinance pratiquement tout le secteur de l’insertion socioprofessionnelle en Belgique. Le nouveau rapport, basé notamment sur une étude statistique duparcours des stagiaires, discute en particulier l’impact du secteur de l’insertion sur les marchés du travail. Un bilan en demi-teintes qui mérite d’être injecté aucœur des débats d’actualité sur l’insertion.
1. L’impact des actions d’insertion
Le volet le plus novateur de l’étude est certainement la partie statistique qui consiste en une enquête longitudinale sur 811 stagiaires qui ont terminé ou abandonné en 96une action cofinancée. Leur situation est comparée entre différents moments de leur trajectoire, de trois mois avant l’entrée en formation jusque deux ans après lasortie.
On disposait jusqu’à présent de peu de données quantitatives sur les résultats des politiques d’insertion. Par exemple :
> Le passage par la formation professionnelle augmenterait de 67% la probabilité de sortir du chômage (pour le Forem, pendant la période de programmationprécédente, 89-93).
> Les travaux effectués par le Cerisis (UCL) sur La Louvière – qu’on présente trop souvent comme généralisables à toute la Wallonie – quimontraient qu’après 15 mois, 40% des ex-stagiaires suivent des « trajectoires d’insertion » et 44% des « trajectoires de désinsertion ».
1.1 L’impact : les principaux chiffres
Pour l’ensemble des ex-stagiaires de l’échantillon, le « taux de placement » (ou le taux d’insertion dans un emploi) va croissant pendant les deux années qui suivent la formation : 37%après 6 mois, 46% après 2 ans.
Taux de placement en emploi et caractéristiques des stagiaires (en %)
Stagiaires
6 mois
24 mois
Total
36.87
46.45
Femmes
34.17
44.95
Hommes
40.00
48.27
Déjà travaillé
41.72
50.79
Jamais travaillé
31.08
41.35
Moins de 25 ans
36.95
45.16
Plus de 25 ans
36.81
47.45
CEB au plus
24.26
31.95
CESI
34.18
40.51
CESS
39.06
50.78
Supérieur
51.68
65.10
Pour une série de caractéristiques des stagiaires, les taux de placement s’écartent de cette moyenne. Exemples.
> Tout au long des deux ans de suivi, les hommes sont ± 2% au-dessus et les femmes ± 2% au-dessous de cette moyenne;
> cet écart est de + ± 5% si le stagaire a déjà travaillé avant l’action d’insertion; et de – ± 5% s’il n’a jamais travaillé.
> Il est de + ± 1% après 2 ans, si le stagaire a plus de 25 ans. Et de – ± 1% s’il a moins de 25 ans.
> S’il a maximum son CEB (c’est-à-dire s’il a terminé l’école primaire ou s’il n’a aucun diplôme), le taux de placement à 6 mois est de 24%, et de 32% à 2ans (soit un écart à la moyenne de 12%, puis de 14,5%. Le diplôme est la seule caractéristique pour laquelle on remarque à terme un écart à la moyenne: toutes les autres caractéristiques sont corrélées à une convergence, avec le temps, vers le taux de placement moyen.
Et que deviennent les autres ex-stagiaires? L’évaluation répond en distinguant plusieurs trajectoires types post formation.
> 27% des ex-stagiaires ont un CDI après 2 ans : la moitié (55%) l’ont décroché directement; les autres, presque uniquement des hommes, sont d’abord passés parle chômage puis/ou par une formation puis/ou par un CDD ou un autre contrat.
> 21% restent au chômage pendant 2 ans.
> 23% alternent chômage et emploi.
> 7%, presque uniquement des femmes, alternent présence et retrait du marché du travail.
> Restent 22% de « situations précaires », où on retrouve 5 fois plus de femmes que d’hommes : 1 sur 10 retourne en formation et y reste au moins 2 ans (12%); 1 sur cinq passe de CDDen CDD (17%); 1 sur 25 prend un statut d’indépendant et le garde (4%); 1 sur 10 reste dépendant du CPAS (10%), et 1 sur 12 trouve un ou plusieurs contrats atypiques (8%).
La synthèse note aussi que sur 100 femmes, 82 ont terminé leur formation et 18 l’ont abandonnée, dont 13 pour des problèmes de garde d’enfant ou des problèmesfamiliaux.
Ces trajectoires sont aussi confrontées à d’autres variables, notamment celles du type de formation suivie. Mais ces variables sont moins significatives que les caractéristiquesdes stagiaires : parce que les publics qui fréquentent les différentes actions ont des caractéristiques plus ou moins favorables ? Le rapport de synthèse ne traite pas ceniveau de détail.
1.2. Les constats : pas assez d’efficacité
Les évaluateurs commentent les chiffres : « La formation n’a pas gommé les iniquités persistantes sur le marché du travail, à savoir les difficultésqu’éprouvent les personnes peu qualifiées à s’insérer, les discriminations basées sur le genre ou la nationalité, etc. De plus, la situation des stagiairessemble persister après la formation. […] Les chômeurs, en particulier, semblent éprouver beaucoup de difficultés à sortir des trajectoires de chômage. » Lespersonnes qui ont des « caractéristiques moins favorables du point de vue du marché du travail » ne sortent pas spécialement mieux positionnées face à l’emploi, etcelles pour lesquelles cet effet se remarque sont surtout celles qui « possèdent déjà les éléments favorisés sur le marché ». Verdict : « Nous n’avonspas identifié d’effet significatif [du fait de terminer] la formation sur les trajectoires suivies par les stagiaires. »
1.3. La nuance : au-delà du quantifiable
Ces chiffres auraient idéalement dû être disponibles lors de l’évaluation du Parcours d’insertion (PI) wallon faite fin 2000. Mais seuls quelques éléments,surtout qualitatifs, avaient alors été repris de versions intermédiaires de ces rapports. Ils doivent aussi faire l’objet de nuances plus fines – par exemple entre lesactions des différents types d’opérateurs d’insertion, ou dans les différents secteurs d’activités – mais que le rapport de synthèse gomme.
Pour les évaluateurs, ces enseignements généraux peuvent être retenus, même en mettant tout le monde de l’insertion dans le même sac.
Ils ajoutent toutefois une nuance : cette partie du rapport ne porte que sur l’aspect économique de l’insertion. Or celle-ci – toujours avec des déclinaisons spécifiquessuivant les types d’opérateurs, etc. – a aussi des objectifs et des impacts sociaux, irréductibles à ceux de l’insertion professionnelle au sens strict. Et de citer undocument de Solidarités des alternatives wallonnes : les asbl d’insertion notamment, « s’inscrivent en faux contre la conception selon laquelle l’emploi serait l’unique h
orizon du travailà mener au sein du PI »3.
2. Des politiques et des programmes inévaluables?
Actant les limites de leur travail statistique pour tout ce qui relève de la formation générale, de l’initiation à la vie sociale, des démarches citoyennes ou del’épanouissement personnel, les évaluateurs se renvoient eux-mêmes dos à dos avec les politiques d’insertion et avec la programmation du FSE. Ils expliquent en effet queleurs objectifs ne sont pas assez explicites ni hiérarchisés. Tout comme, par ricochet, les critères de sélection ou d’évaluation des actions, qui peuvent manquerde cohérence et de clarté. Et se traduire dans des manques criants de données nécessaires à l’évaluation4.
Au rang de tels constats généraux :
> la vision dominante de l’insertion reste « adéquationniste » : l’insertion doit pallier les inadéquations des personnes par rapport au marché de l’emploi, en termes dequalifications ou de caractéristiques défavorables en général. Les mécanismes de la demande de travail commencent seulement à être mis en cause, et desactions commencent à s’attaquer aux modes et critères de sélection à l’embauche.
> Les PRC glissent d’une logique de remise au travail des chômeurs vers un moyen privilégié de soutien public à la structuration et à la pérennitédes services.
> Des moyens sont déplacés vers des actions plus « préventives », vers les jeunes au chômage depuis moins de 10 mois en particulier, sans qu’on sache si le risqued’enlisement au chômage est plus lourd pour ce public ou pour des personnes plus âgées.
> Une partie de la population au chômage reste réticente à entrer en formation sans qu’on comprenne pour quelles raisons.
On entre ici dans le domaine des hypothèses qui peuvent expliquer les résultats : ces constats traduisent un manque de pertinence entre les objectifs fixés et lesréalités du marché du travail. Le ciblage des priorités est trop vague, on ne s’attaque pas aux fonctionnements du marché du travail ni aux cadres culturelsproducteurs de discriminations, les facteurs d’inégalité des chances sont rencontrés de manière trop cloisonnée; les politiques de formation et d’insertion ne sontpas articulées aux politiques d’emploi et de développement économique.
3. L’innovation et le parcours d’insertion
À l’heure où se finalise la nouvelle programmation Equal et où la Région wallonne ouvre le chantier d’un décret-cadre sur le « dispositif intégréd’insertion », les commentaires des évaluateurs sur la manière dont a été pensé et développé le PI sont d’un intérêt tout particulier.
À l’égard des dispositifs de PI, ils posent deux questions :
> celle de sa plus-value pour l’efficacité des actions d’insertion socioprofessionnelle5, alors que « l’on peut considérer, particulièrement pour certains publics, que lesconduites de recherche immédiate d’emploi sont plus efficaces »;
> la faisabilité du partenariat qui « apparaît bien souvent comme une injonction portée par un certain volontarisme politique », ainsi que les conditions politiques et techniquesqui permettent qu’il fonctionne.
On retrouve ici, pour ce qui concerne la Wallonie, une série de constats qui avaient été repris par l’évaluation du PI d’il y a un an : objectifs complexes et peuopérationnels, absence de pilotage, freins et blocages (en particulier sur le suivi des stagiaires, l’information sur les formations et la programmation sous-régionale de l’offre deformation), caractère trop réducteur de l’approche linéaire des trajectoires.
Les études de cas réalisées sur plusieurs commissions sous-régionales de coordination montrent à quel point « elles ont répondu de manièredifférenciée à leurs missions et élaboré des projets multiples ». Lenteur, décentralisation, faiblesse de la régulation et fléchissement duvolontarisme politique ont ainsi amené à réenvisager le PI « en termes d’instance centralisée de pilotage ».
Or cette perspective est risquée, expliquent les évaluateurs, même si elle devrait produire de « l’efficacité administrative » à court terme. Ils préconisentplutôt de circonscrire mieux les missions des organes de coordination créés dans le cadre du PI, et de les doter de moyens qui leur permettent d’atteindre le degré deprofessionnalisation nécessaire. Ils insistent aussi sur l’amélioration des mécanismes de circulation de l’information entre opérateurs, quitte à créer, defaçon distincte de celle du contrôle, une fonction de visibilisation des actions menées et d’analyse collective des facteurs de réussite et d’échec.
Pour ce qui est de Bruxelles, le rapport revient sur les décalages nés de la nécessité pour les opérateurs de collaborer d’un côté avec BruxellesFormation et de l’autre avec l’Orbem. Il signale l’intérêt des accords-cadres passés avec ces instances, « à défaut d’une concertation globale ».
Pour ce qui est de la mise en œuvre de l’Initiative Communautaire Emploi, certains constats sont en partie similaires. Si les objectifs de mainstreaming, de coopération transationale etd’innovation ont été repris dans la programmation, un problème s’est posé dans les premières années de la programmation : l’innovation, qui doit viser lechangement des politiques et des systèmes d’emploi et de formation, n’a pas été comprise par les opérateurs ni intégrée dans les projets. Ils ontdécouvert cet objectif en cours de projet, surtout au contact de leurs partenaires étrangers. Les projets IC Emploi ne sont pas vraiment distingués des autres; en particulier, lemonde de l’entreprise est généralement laissé complètement en dehors des partenariats.
C’est que la programmation a bien essayé de formuler cette exigence de manière opérationnelle, mais sans communiquer à l’attention des opérateurs sur lastratégie globale de l’IC Emploi et sur la manière dont on pouvait tenir compte concrètement de ses objectifs.
Des considérations qui arrivent un peu tard dans le débat?
1 Réalisé par la Fondation Travail Université, chée de Haecht 579 à 1040 Bruxelles, tél. : 02 246 38 51, fax : 02 246 38 55, et par le Dulbea (ULB), ave F.D.Roosevelt 50 à 1050 Bruxelles, tél. : 02 650 41 25, fax : 02 650 38 25.
2 Il concerne toutes les actions cofinancées par : L’Objectif 3 « Troïka » (Région wallonne, Cocof, Communauté française); Les deux axes FSE de l’Objectif 1 Hainaut; etl’Initiative communautaire Emploi.
Le rapport peut être demandé à la Cellule FSE. Il comporte 5 volumes, mais est complété par une synthèse d’une centaine de pages – sur laquelle nousnous sommes basés ici.
3 On peut s’étonner que les évaluateurs n’utilisent pas ici des éléments qualitatifs comme les conclusions du Forum d’Herbeumont de 96, dont ils disposent puisqu’ils yétaient associés
. Donnant un feedback construit des stagiaires sur les actions cofinancées, il apportait des éléments précieux sur les rapports entre cesdimensionS « sociales » et « économiques » de l’insertion.
4 Un rapport d’évaluation transversal des programmes FSE belges que la Commission avait commandé il y a deux ans insistait sur ces points, en reprenant des élémentsde versions intermédiaires du nouveau rapport. La synthèse insiste peu sur cet aspect.
5 Les résultats statistiques ne sont ici d’aucun secours puisqu’ils portent sur les formations de 96.

Thomas Lemaigre

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