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Regard critique · Justice sociale

De la nidification à l’envolée : Les Hirondelles à Assesse

Nichée à Maillen, sur la commune d’Assesse, l’initiative locale d’accueil du CPAS, baptisée Les Hirondelles, héberge vingt-quatre Mena, tousdemandeurs d’asile.

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Nichée à Maillen, sur la commune d’Assesse, une des plus riches du Namurois, l’initiative locale d’accueil du CPAS, baptisée Les Hirondelles1,héberge vingt-quatre Mena, tous demandeurs d’asile. Deux autres Mena en semi-autonomie vivent non loin, en appartements supervisés2.

Rien en apparence ne laisse penser que cette maison, de taille relativement modeste malgré les annexes, héberge tout ce petit monde. Situé en plein quartierrésidentiel, avec un jardin à l’arrière, le centre se confond avec les maisons voisines. À l’intérieur, on est d’emblée saisi par le climatfamilial et chaleureux qui y règne. Un vrai petit paradis à côté d’autres centres qui hébergent eux aussi des Mena. « Un climat familial voulu, nousexplique Christophe Englebert, agent administratif au centre, qui nous fait visiter. C’est que les jeunes qui séjournent ici sont souvent malmenés par leur parcours d’exil,et ont besoin de se poser, de se sécuriser et de construire un nid. Dans la salle qui sert de réfectoire, ce sont les jeunes qui ont choisi les peintures et ont donné un coup depinceau. À côté des tables trône un salon fait de fauteuils hétéroclites, de la récup. C’est là qu’ils regardent parfois la TV lesoir. « Ils se sont cotisés à plusieurs avec l’argent de poche qu’ils reçoivent de Fedasil [NDLR un peu plus de 6 €/semaine], pour s’offrir unabonnement à Be TV, ils peuvent ainsi suivre les matches de foot et regarder des films récents… », commente Christophe Englebert.

Juste à côté, la pièce qui sert de salle de devoirs, un peu juste pour autant de jeunes, mais certains font leurs devoirs dans leur chambre. À côtéde la cantine, une cuisine professionnelle où la cuisinière leur mitonne des repas durant la semaine mais le week-end, les jeunes sont eux-mêmes aux fourneaux, par tournante dedeux. Ils disposent d’un budget et font les courses avec un éducateur. Une façon déjà de les préparer à leur future autonomie. Face à la ported’entrée, un couloir avec quelques chambres qui permettent d’accueillir, si cela se présente, des Mena en chaise roulante. Dans l’aile droite de la maison, les bureauxde l’équipe, où éducateurs, juriste, assistants sociaux et administratifs se serrent pour ne pas dire s’entassent vu l’exiguïté du lieu. « Onse tient chaud ainsi », plaisante notre guide. Deux personnes sont d’ailleurs délocalisées dans un autre bâtiment appartenant au CPAS faute de place. « Il esturgent qu’on puisse construire une annexe supplémentaire, nous confie la secrétaire du CPAS d’Assesse, Isabelle Detal, qui nous accompagne. On pourra ainsi libérer dela place pour donner aux jeunes une véritable salle de devoirs et permettre à l’équipe d’un peu respirer. »

À l’étage, les chambres et les douches. Ils logent pour la plupart par deux selon les affinités, mais le centre possède aussi deux chambres de trois et unechambre de quatre. Une partie du couloir est réservée aux garçons, l’autre aux filles. À première vue, tout ce petit monde semble relativement bien cohabiter,même si, et c’est normal dans un lieu communautaire composé d’ados fragiles, disputes et autres pétages de plomb ne sont pas rares. Au milieu du couloir, une buanderiemansardée où tournent deux grandes machines à laver, une planche à repasser et, objet incongru dans cette pièce, un lit de massage. Ici aussi Christophe Englebertsourit, « nous ne disposons pas d’autre place, c’est là que les séances de massage se font ».

Créer un cocon

La majorité des Mena accueillis au centre d’Assesse depuis 2000, date de sa création, sont des Mena demandeurs d’asile présentant des trauma. Le centre s’estspécialisé dans leur accueil. Il emploie en tout une vingtaine de personnes. Les Mena accueillis ont souvent entre 10 et 18 ans, viennent pour la plupart d’Afrique subsaharienne,de zones en guerre ou qui l’ont été comme la RDC, le Rwanda, la Guinée. Du Cameroun aussi, dans ce cas, ce sont des victimes de maltraitances ou de mariages forcés.« Notre objectif à terme est de les rendre le plus autonome possible, explique Danièle Crutzen, directrice du centre depuis trois ans. Nous faisons d’abord en sorte que lejeune puisse se poser, se sentir en sécurité, on essaie de lui créer un cocon. Beaucoup ont gardé des séquelles de violence. Nous avons un jour reçu un jeunerwandais qui avait un parcours d’exil depuis sa naissance, il a gardé son manteau sur lui pendant trois mois, avant de comprendre qu’ici, il allait enfin pouvoir se poser. Il y asouvent aussi un grand écart entre ce qu’ils imaginent de l’Europe et la réalité d’un centre d’accueil. Nous essayons d’amortir la logiqued’urgence dans laquelle ils se retrouvent avec la procédure car l’administration constitue pour eux bien souvent une violence supplémentaire. Nous leur expliquonsqu’à l’Office des étrangers, on parle avec des papiers, pas avec la tête, ni avec le cœur, qu’il existe des logiques différentes selon les gensauxquels on s’adresse. »

La gestion du centre se fait un peu comme celle d’une énorme famille nombreuse. Le premier jour lorsque le jeune arrive, il est accueilli par les autres résidents et par sonéducateur référent. Mais l’accueil reste relativement informel, pas question de le bombarder directement avec le règlement d’ordre intérieur, on lelaisse prendre ses marques. « Nous avons des éducateurs qui se sont formés à des approches non verbales : relaxation, massages… Nous avons également desthérapeutes extérieurs, explique la directrice. Ainsi, une fois par mois, une ostéopathe ou une kinésiologue vient au centre pour travailler de manière symboliqueavec le jeune sur le stress et le trauma. Cela donne en général plus de résultats que la thérapie classique, trop basée sur le verbal. Notre kinésiologuetraite par exemple des envoûtements vaudou pour les enfants qui pensent être envoûtés. On utilise aussi l’hypnose et l’autohypnose EMDR (par mouvements oculaires)pour pouvoir mettre le récit du jeune à distance et arriver à ce qu’il puisse le raconter à l’Office des étrangers, une étape nécessairede la procédure. La plupart n’ont aucune envie de répéter leur histoire, de la raconter à des inconnus. Il s’agit là de ce que nous qualifionsd’accompagnement de première ligne, qui vise à traiter le trauma et à sécuriser, rassurer sur la normalité de ce qu’ils vivent. Il est importantqu’ils comprennent que l’extérieur, ce n’est pas le centre, qu’ici ils peuvent avoir confiance. Petit à petit
, ils voient qu’on ne les trahit pas et larelation s’installe. C’est arrivé que des jeunes restent quatre ans sans lâcher un morceau de leur histoire, mais c’est relativement rare. »

Décoder la culture de l’autre

La deuxième ligne d’accompagnement consiste en un travail plus rituel. La plupart des jeunes hébergés sont là au minimum pour trois mois, pour certainsjusqu’à cinq ans en fonction de la date d’octroi de leur titre de séjour ou de leur majorité, l’équipe essaie donc de les faire vivre ensemble et, pource faire, établit une série de petits rites. « Le premier week-end du mois, par exemple, explique Danièle Crutzen, tout le monde reste au centre, les sorties, visites auxcopains et à la famille éventuelle sont réservées aux autres week-ends. C’est à ce moment-là que sont prodigués les soins, les massages et toutle monde nettoie la maison de fond en comble. L’après-midi, ce sont les activités communes, soit de type artistique, soit de type scolaire quand ils sont en périoded’examens. Des éducateurs et des bénévoles viennent alors aider à l’étude. Un temps commun mis aussi à profit pour effectuer du décodageculturel entre eux mais aussi entre eux et l’extérieur. On aborde des questions comme : Quelles sont les différences de culture entre un Rwandais, un Guinéen et unDjiboutien ? Comment ça fonctionne l’école, l’Office des étrangers, la procédure ? Le décalage peut parfois être très grand et prêterà de nombreuses incompréhensions. C’est aussi vrai pour l’humour, on ne rit pas tous des mêmes choses, et pour les disputes. On ne se dispute pas ou on ne finit pasles disputes de la même façon quand on est guinéen, ou rwandais. L’un est plus expressif, l’autre plus réservé… Nous essayons de faire dutransculturel pour éviter les rejets, les accrochages et les tensions. Quant à l’accompagnement de trosième ligne, il s’agit du travail scolaire et de laprocédure d’asile. Il faut les préparer à l’extérieur. »

Au centre du projet pédagogique, la formation de l’équipe occupe également une place de premier plan. Une demi-journée par mois, dans le cadre d’un projetFER (Fonds européen pour les réfugiés), est ainsi actuellement consacrée à l’accompagnement scolaire. Une fois par mois est organisée la réuniond’équipe, même chose pour l’équipe mobile (celle de l’après-midi et de la soirée).

Depuis son arrivée, Danièle Crutzen nous confie qu’elle n’a connu qu’une seule exclusion du centre. « La ligne rouge, c’est clairement si le jeune meten danger le centre. » Mains nous n’en arrivons jamais là, si après dialogue, le jeune ne comprend toujours pas et qu’il faut sortir les griffes pour rappeler àl’ordre comme le fait une chatte avec ses petits, alors on fait appel à une instance extérieure, ça peut être le tuteur du jeune par exemple. Des tuteurs aveclesquels, la collaboration semble bien fonctionner d’après la directrice. « Chacun a son rôle, nous nous complétons et nous dialoguons en bonne entente dansl’intérêt du jeune. »

Les Hirondelles se voient couper les ailes

« Si le projet pédagogique du centre d’Assesse semble bien fonctionner et faire ses preuves, c’est aussi, insiste la directrice, grâce à l’équipequi est derrière et qui s’est véritablement adaptée au type de public accueilli, notamment en se formant de manière continue. » Une expertise qui pourraitmalheureusement très prochainement se voir mise à mal par le retrait unilatéral d’un subside du Fonds spécial de l’action sociale de la Régionwallonne.

« On nous a promis pour cette année 143 688 € de ce fonds pour l’agrément de vingt lits, explique Isabelle Detal, secrétaire du CPAS d’Assesse, alorsque nous comptions sur davantage puisque depuis le 1er mars nous sommes passés à vingt-six lits. Non seulement les six lits supplémentaires ne sont pas pris en compte,mais nous apprenons, en lisant l’arrêté du 30 avril 2009, qui fixe les critères de répartitition du Fonds spécial de l’action sociale, que la Région wallonnea décidé, sans aucune concertation avec nous pour envisager des voies alternatives de financement, de revoir ses critères d’attribution et de ne plus financer des lits Menaen Initiatives locales d’accueil. Nous allons donc voir ce subside diminuer de manière dégressive chaque année, pour aboutir à 0 € en 2013 pourl’hébergement et à 39 894 € pour les travailleurs sociaux. Or, le budget de la RW représente pas moins de 16 % de notre budget actuel. Sans celui-ci, nous allons êtrecontraints fin 2010 de donner un préavis conservatoire à l’équipe en place, qui représente quand même une vingtaine d’emplois pour la Région, etde devoir mettre la clé sous le paillasson fin 2011. » Une perspective que la secrétaire du CPAS se refuse à imaginer : « Ce qui est sûr, c’est que nousnous battrons jusqu’au bout pour ce centre, on a là une équipe en or, bien formée, un véritable projet pédagogique et on devrait fermer alors que tout lemonde pleure après des places d’accueil pour les Mena, c’est absurde ! » Du côté du cabinet de la ministre Tillieux, ministre wallonne de l’Action socialeen charge du dossier, nous n’avons pu obtenir de réponse dans les temps.

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
.

1. Centre Mena d’Assesse,
-adresse non communicable
– tél. : 083 21 83 76
– courriel : menaassesse@skynet.be
2. Deux autres appartements supervisés devraient bientôt être créés, faisant monter le nombre à vingt-huit Mena accueillis.

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