Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

De l'enfant en exil au Mena, de la fuite à la procédure

Les mineurs étrangers non accompagnés sont des jeunes arrivés en Belgique sans leurs parents ou tuteur légal.

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Les mineurs étrangers non accompagnés sont des jeunes arrivés en Belgique sans leurs parents ou tuteur légal. Certains, en fonction de leur statut, de leur origine, deleur âge présumé, bénéficieront d’un accueil et d’une protection, d’autres pas.

Toute autorité qui a connaissance d’une personne qui paraît être un Mena, à la frontière ou sur le territoire, doit en informer le Service destutelles ainsi que l’Office des étrangers et le Commissariat général aux réfugiés s’il s’agit d’un demandeur d’asile. Tout particulierou toute organisation peut également signaler un Mena. Le Service des tutelles prend ensuite en charge la personne. C’est alors pour le Mena qui arrive dans notre pays le débutd’un parcours souvent semé d’embûches.

Qui est qualifié de Mena ?

L’étranger qui paraît ou déclare être en âge de moins de 18 ans ; et
• qui n’est pas accompagné par une personne exerçant l’autorité parentale ou la tutelle en vertu de sa loi nationale ;
• qui est ressortissant d’un pays non membre de l’Espace économique européen (EEE) ;
• qui ne satisfait pas aux conditions d’entrée ou de séjour en Belgique, ou qui a fait une demande d’asile.

En 2008, les signalements de Mena correspondent à 2 002 personnes – chiffre à relativiser, car il s’agit uniquement des Mena qui ont été trouvés ou qui sesont présentés de leur propre initiative. On n’a en effet absolument aucune indication sur le nombre réel de Mena qui pénètrent ou qui séjournent enBelgique.

Pour le Mena qui se trouve sur le territoire1

Pour celui-ci, le Service des tutelles organise l’hébergement d’urgence et procède ensuite à son identification, c’est-à-dire, vérifie si lesconditions sont remplies pour que le mineur soit considéré comme Mena (cf. encadré ci-dessus).

S’il existe un doute sur l’âge il fera procéder aux examens nécessaires (cf. « Test osseux, test douteux« ) :

• s’il conclut à la minorité du Mena, la prise en charge est maintenue et un tuteur est désigné sans délai.
• s’il conclut à la majorité, il prend une décision de cessation de la prise en charge ; un recours peut être introduit auprès du Conseild’État endéans les 30 jours de la notification. Dans les faits, ce recours est rarement introduit car les frais de contre-expertise sont à la charge du mineur.

L’hébergement de la personne identifiée comme Mena se fait dans des centres d’observation et d’orientation (COO). Le Mena doit y être accueilli endéansles 24 heures de son identification.

Pour le Mena qui se trouve à la frontière2

L’étranger qui se déclare mineur et au sujet duquel il n’existe aucun doute quant à sa minorité est transféré dans un COO dès son arrivéeà la frontière.

Lorsque les autorités chargées du contrôle aux frontières émettent un doute quant à sa minorité, la personne peut être maintenue dans uncentre fermé à la frontière pendant que le Service des tutelles procède à la détermination de l’âge. Dans l’attente, le Service des tutellesdésigne un tuteur provisoire. La décision sur la minorité doit être prise dans les trois jours ouvrables de l’arrivée à la frontière. Lorsque cetexamen ne peut avoir lieu en raison de circonstances imprévues endéans, le délai peut être prolongé exceptionnellement de trois jours ouvrables.

Si dans ce délai le Service des tutelles identifie la personne comme Mena ou ne prend pas de décision, le mineur est accueilli dans un COO. S’il est identifié commemajeur, la prise en charge par le Service des tutelles prend fin. En conséquence, on applique le régime général propre aux majeurs, avec ses centres fermés, retoursforcés, etc.

Le premier accueil

Dès la première phase de leur accueil, et indépendamment de leur statut, les Mena sont donc accueillis dans un des deux COO gérés par Fedasil. Chacun offrecinquante places d’accueil (cf. Centres d’observation etd’orientation des Mena : les écueils du premier accueil). Le séjour y dure théoriquement de quinze à trente jours. L’objectif du premier accueil en COO estde dresser un premier profil social, médical et psychologique du Mena et de détecter une éventuelle vulnérabilité en vue d’orienter le mineur, dans ladeuxième phase de son accueil, vers une prise en charge adaptée. Les COO collaborent avec le Service des tutelles (SPF Justice) qui est chargé d’identifier les jeunes et deleur désigner un tuteur (cf. Service des tutelles : ilest temps de passer à la vitesse supérieure). Depuis mai 2004, un tuteur est en effet désigné à chaque Mena non européen, pour l’accompagnerjusqu’à sa majorité dans ses démarches administratives.

En 2008, 1 334 Mena ont été accueillis dans un des deux COO, soit une légère diminution par rapport à 2007 (– 2,4 %). Leurs principaux paysd’origine sont l’Afghanistan, l’Inde, la Guinée, l’Irak, l’Algérie et le Maroc3. La majorité des jeunes arrivés sontâgés de 16 ou 17 ans. Quelques enfants très jeunes sont accompagnés de leur mère mineure ou de mineurs plus âgés. La proportion de garçons(86 %) est bien plus élevée que celle des filles.

Si le mineur, avec son tuteur, demande l’asile et qu’il n’a pas de besoin spécifique, il est transféré après une période de quinze jours versune structure d’accueil collective adaptée du réseau de Fédasil. En 2008, 470 Mena4 ont introduit une demande d’asile. Sept centres d’accueilfédéraux, trois centres de la Croix-Rouge flamande et onze initiatives locales d’accueil (ILA), organisées par les CPAS, proposent des places d’accueiladaptées à ces jeunes. Fin 2008, la capacité d’accueil totale réservée aux demandeurs d’asile mineurs non accompagnés était de 399 places(en plus des 100 places en COO). 393 jeunes y étaient hébergés (soit un taux d’occupation de 95,4 %).

Si, à l&
rsquo;issue de son séjour en COO (maximum un mois), aucun type d’accueil lié à la situation particulière du Mena n’a pu êtredéterminé (accueil familial, accueil dans une structure pour mineurs dépendant des Communautés…), le jeune est dirigé dans la structure d’accueil laplus adaptée, qu’elle soit gérée par Fédasil ou un partenaire. « Dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les Mena résident ausein d’une unité de vie séparée, avec leur propre équipe d’accompagnateurs et d’éducateurs, explique-t-on chez Fédasil.L’équipe assure en concertation avec le tuteur un suivi rapproché des jeunes tout au long de leur séjour et essaie de rendre les jeunes aussi autonomes et responsables quepossible. Comme tous les mineurs d’âge en Belgique, ils sont tenus de suivre une scolarité. »

Le jeune reste, en moyenne, entre quatre mois et un an en structure d’accueil pour demandeurs d’asile. Ensuite, il peut être orienté vers un lieu d’accueil de typeplus individuel organisé par les CPAS (les initiatives locales d’accueil), des partenaires de Fédasil (comme Mentor-Escale) ou organisé par les Communautés.

La procédure de séjour spécifique pour les Mena5

La loi de 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers permet au Mena, en fonction de sasituation, d’entamer toutes les procédures prévues : demande d’asile ou de protection subsidiaire ; demande d’autorisation de séjour pour motifshumanitaires ou médicaux, ou encore statut de victime de traite des êtres humains. Mais si le Mena n’entre pas dans ces catégories, en vertu des textes internationaux qui lient laBelgique, une protection particulière doit lui être offerte. C’est ce qu’on appelle la procédure de séjour spécifique, prévue dans la circulairedu 15 septembre 2005 relative au séjour des Mena et qui, en principe, tient compte de l’intérêt supérieur de chaque Mena présent sur le territoire en luioctroyant un document de séjour – précaire, temporaire ou définitif – en fonction de la solution durable qui se dégage pour lui.

La circulaire définit la solution durable comme suit :
• le regroupement familial ;
• le retour dans le pays d’origine ou dans le pays dans lequel il est autorisé ou admis au séjour, moyennant des garanties quant à un accueil et une prise en chargeappropriés du Mena, en fonction de ses besoins déterminés par son âge et de son degré d’autonomie, soit, par ses parents ou par d’autres adultes qui s’occuperont delui, soit, par des instances gouvernementales ou non gouvernementales ;
• l’autorisation de séjour illimité en Belgique, dans le respect des dispositions contenues dans la loi du 15 décembre 1980.

« Très clairement, l’option privilégiée par l’OE n’est pas le séjour en Belgique, pointe Anne-Françoise Beguin de la plate-forme Mineursen exil. On constate également que dans la solution durable n’apparaît pas la possibilité du regroupement familial en Belgique. »

Cette solution durable est déterminée après examen par l’Office des étrangers (OE) du dossier du Mena et de la proposition formulée par le tuteur. Il arrive queles conclusions des deux parties soient radicalement différentes, l’un plaidant le retour, l’autre démontrant son impossibilité. La circulaire mentionne explicitementque le Bureau Mena de l’OE est habilité à rechercher une solution durable pour le Mena et veille à ce que cette solution soit conforme à l’intérêtsupérieur de l’enfant et au respect de ses droits fondamentaux.

Mais si la circulaire semble bien claire, dans la pratique, selon la plate-forme Mineurs en exil, il en va tout autrement. « Il arrive souvent que le Bureau Mena prenne une décisionsans même attendre la proposition de solution durable formulée par le tuteur, sans même avoir entendu l’enfant et pris en compte son avis. Or, à la lecture de lacirculaire, il apparaît que ce n’est qu’à partir du moment où le Bureau Mena a terminé ses recherches quant à la situation familiale de l’enfant ETque le tuteur lui a fait part de ses propositions quant à la solution durable, après avoir analysé la situation de l’enfant et pris éventuellement des contacts avecla famille, que le Bureau Mena rend sa décision. C’est rarement de cette façon que les décisions sont prises. Trop souvent, le Bureau Mena délivre une annexe 38– c’est-à-dire une décision de retour dans le pays – sans s’être assuré que l’intérêt de l’enfant se situait bienlà-bas. Or, la délivrance d’un ordre de reconduire n’est légale que dans la mesure où le Bureau Mena peut motiver sa décision de renvoyer le mineur dansson pays, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant, c’est-à-dire dans le respect de conditions d’accueil et de prise en chargeadéquates. Il faut, pour ce faire, que le Bureau Mena ait établi des contacts avec les parents et ait organisé un retour dans de bonnes conditions, ce qui est rarement lecas… »

« Dès lors, explique Céline Dermine, avocate au barreau de Nivelles6, d’aucuns plaident pour que le juge de la jeunesse, qui est spécialisé dansl’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, soit compétent pour examiner la solution durable pour les Mena. Il convient en effet de dissocier la notion desolution durable et de contrôle de l’immigration. »

Les dispositions prévues dans cette circulaire ne sont applicables que si :
• le mineur a été identifié Mena par le Service des tutelles ;
• le tuteur a introduit une demande écrite auprès du Bureau « Mena » (également appelé Bureau « Minteh ») de l’OE.
– si le Mena n’a pas entamé d’autres procédures en vue d’obtenir une autorisation de séjour (article 9bis, 9ter, procédure d’asile en cours). Unedemande d’application de la circulaire pourra toutefois être demandée par le tuteur lorsque le mineur a reçu une réponse négative pour les autresprocédures.

Dans l’attente d’une solution durable, l’OE peut :
• Soit proroger de mois en mois, avec un maximum de six mois, l’ordre de reconduire délivré en application d’une procédure introduite précédemmentet dont le mineur a été débouté.
• Soit, si aucune procédure n’a été introduite précédemment, délivrer une déclaration d’arrivée pour une durée de troismois. Celle-ci peut être prorogée une fois pour la même durée.

Lorsqu’une solution durable n’a pas été trouvée après une p&eac
ute;riode de six mois et que le mineur peut présenter un passeport national (sauf dansdes cas exceptionnels où l’impossibilité de présenter un passeport peut être clairement démontrée), le Bureau Mena peut délivrer un Ciré(certificat d’inscription au registre des étrangers) à durée limitée. Le Ciré peut être prorogé pendant maximum trois ans, sur la base descritères suivants (non limitatifs) :
– la connaissance d’une des trois langues nationales ;
– la preuve d’une scolarité régulière ;
– la situation familiale du Mena ;
– tout autre élément spécifique lié à la situation du Mena.

Lorsqu’après une période de trois ans sous Ciré provisoire, une solution durable n’a pas encore été trouvée, le Bureau Mena peut délivrer unCiré à durée illimitée. « Attention, la circulaire prévoit la « possibilité » (« peut ») pour l’OE de délivrer des documents de séjour,sans toutefois l’y obliger, observe la plate-forme Mineurs en exil. L’on voit dans de nombreuses situations dans lesquelles le tuteur avait demandé la délivrance d’unedéclaration d’arrivée ou d’un Ciré, que l’OE délivre un ordre de reconduire. Celui-ci est rarement motivé quant aux opportunitésd’accueil adéquat dans le pays d’origine soit par les parents soit par d’autres membres de la famille. L’OE ne met pas tout en œuvre pour examiner dans le paysd’origine les conditions d’accueil et de prise en charge du mineur. L’octroi de cette décision est donc tout à fait contestable devant le Conseil du Contentieux desétrangers, dans les 30 jours de la notification de la décision. » À noter que dans le cadre de cette circulaire, chaque Mena est auditionné, obligatoirement enprésence de son tuteur, par le Bureau Mena de l’OE.

Qui est compétent pour la politique à l’égard des Mena7 ?

En pratique, les Mena sont les premières victimes de la complexité institutionnelle de notre pays. La problématique des mineurs étrangers non accompagnésrelève en partie de la compétence des Communautés et en partie de celle de l’État fédéral. Si la responsabilité de certains aspects incombe clairementà une autorité bien identifiée, il est d’autres aspects pour lesquels les choses sont plus confuses.

C’est l’État fédéral qui réglemente l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, et quidétermine la qualité du réfugié. Tous ces aspects relèvent de la compétence du ministre de la Politique de migration et d’asile, et sont gérés,pour les majeurs comme pour les mineurs, par l’Office des étrangers.

Le droit des personnes et de la famille est également une matière réglée par l’autorité fédérale, y compris pour ce qui est de la filiation, del’autorité sur les mineurs et de la tutelle. Cette politique relève de la compétence du ministre de la Justice. C’est de ce ministre que relève par exemple le Service destutelles.

Voilà qui nous amène à la prise en charge matérielle. Dans ce domaine, il faut faire la distinction entre les mineurs demandeurs d’asile et ceux qui ne sont pasdemandeurs d’asile.

L’autorité fédérale, et plus spécifiquement le ministre de l’Intégration sociale, est compétente pour ce qui concerne la prise en charge matérielledu mineur non accompagné candidat réfugié, de même que pour l’accueil des autres candidats réfugiés. C’est Fédasil, l’Agence fédéralepour l’accueil des demandeurs d’asile, qui est chargée de cet accueil.

Pour faire simple, ce sont les Communautés qui s’occupent en principe de l’accueil des mineurs non accompagnés non demandeurs d’asile. Cette matière relèvede la compétence de la ministre de l’Aide à la jeunesse. Si le mineur demande l’application de la circulaire du 15 septembre 2005 ou qu’il entame une autreprocédure de séjour, ce sont en principe les services d’aide à la jeunesse (SAJ) ou Comité Bijzondere Jeugdzorg (CBJ) en communauté flamande qui sontchargés d’accueillir le mineur. S’il n’y a pas de place dans les services de l’Aide à la jeunesse, les Mena (non demandeurs d’asile) peuvent aussi être admis temporairementdans les centres d’accueil fédéraux. « Le problème actuellement, explique Anne-Françoise Beguin de la plate-forme Mineurs en exil, c’est que Fédasil, vula saturation de son réseau, n’a plus voulu les accueillir, sauf pour les plus vulnérables d’entre eux (critères définis par Fédasil), mais a très rapidementdû faire marche arrière, du moins officiellement. Car, dans les faits, ces Mena non demandeurs d’asile n’y trouvent toujours pas place et font des séjours plus longsque prévu dans les COO. Nous avons encore interpellé début décembre le ministre Courard à ce propos. »

POUR EN SAVOIR PLUS :

Charlotte van Zeebroeck, Le Guide pratique sur la situation administrative, juridique et sociale des mineurs étrangers non accompagnés en Belgique (parties« séjour » et « asile » – octobre 2007), Éd. Jeunesse et droit.

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
.

Photos : Agence Alter asbl, Bruxelles.

1. Source : le site de l’Association pour le droit des étrangers : www.adde.be
2. Idem.
3. Source : Rapport 2008 de Fédasil.
4. Source : Office des étrangers, après examen de l’âge des jeunes.
5. Source : le site de la plate-forme Mineurs en exil : www.mineursenexil.be
6. Céline Dermine, « Les récentes interventions du législateur », in L’Observatoire n°57/2008.
7. Source : Proposition de résolution relative à la protection du mineur étranger non accompagné du 14/07/2008(déposée par Nahima Lanjri, CD&V).

catherinem

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)