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CPAS et médiation familiale font-ils bon ménage ?

Depuis quelques années, la pratique de la médiation familiale tend à se développer au sein des CPAS. Une formation à la médiation familiale estd’ailleurs organisée par le centre de formation de la Fédération des CPAS. L’année dernière, trois groupes d’assistants sociaux en ontbénéficié. Comment expliquer cet intérêt et la création de services ou cellules internes centrées sur cette pratique ? Quel est le rôle de cesassistants sociaux « médiateurs familiaux » ? Pourquoi ne pas faire appel à des services extérieurs reconnus et expérimentés ?

01-08-2005 Alter Échos n° 135

Depuis quelques années, la pratique de la médiation familiale tend à se développer au sein des CPAS. Une formation à la médiation familiale estd’ailleurs organisée par le centre de formation de la Fédération des CPAS. L’année dernière, trois groupes d’assistants sociaux en ontbénéficié. Comment expliquer cet intérêt et la création de services ou cellules internes centrées sur cette pratique ? Quel est le rôle de cesassistants sociaux « médiateurs familiaux » ? Pourquoi ne pas faire appel à des services extérieurs reconnus et expérimentés ?

Lors de l’assemblée générale 2001 de la Fédération des CPAS1, Jean Dumont, directeur de l’inspection sociale au CPAS de Liège,rappelait le cadre de travail : « Funambules de l’intégration sociale, les CPAS devront eux aussi trouver l’équilibre entre des impératifs aussi divers que : laréalité du terrain, l’intérêt social du bénéficiaire et ses désirs, l’intérêt de la société, les jugements destribunaux du travail, la conception de la solidarité familiale et des juges de paix, les objectifs ministériels et l’état des finances communales, c’est-à-direle montant du subside octroyé par ce pouvoir de tutelle. » Sans aucun doute trouve-t-on l’origine de l’intérêt des CPAS pour la médiation familiale dansl’intersection de ces impératifs… Impératifs parfois antagonistes d’ailleurs !

Une nouvelle cellule au CPAS de Saint-Gilles

Le CPAS de Saint-Gilles vient de créer une cellule « médiation familiale ». « Depuis que j’ai pris mes fonctions de présidente, explique Cathy Marcus,j’ai choisi d’éclater le travail social au travers de différentes cellules : guidance budgétaire, insertion socioprofessionnelle, accompagnement social… etaujourd’hui la médiation familiale. » La cellule se compose de deux assistantes sociales qui ont répondu à l’appel d’offres interne et ont ensuiteété formées. « Ces deux personnes avaient déjà manifesté auparavant un réel intérêt pour la médiation familiale. »Concrètement cette cellule s’adresse uniquement aux jeunes de 18 à 25 ans. « Pratiquement, chaque jeune qui effectue une demande de revenu d’intégration estreçu par une assistante sociale de secteur. C’est elle qui fait le détail de la situation et règle toutes les questions relatives à l’octroi de l’aidefinancière. » Le revenu d’intégration est un droit, mais selon l’article 203 du code civil, les parents ont un devoir de secours vis-à-vis de leurs enfantsjusqu’à ce qu’ils atteignent leur majorité. Et dans la jurisprudence, les juges de paix apprécient ce devoir au-delà de cette majorité. De plus, lerevenu d’intégration est récupérable si le revenu annuel net du débiteur d’aliments (le plus souvent les parents) dépasse 17 702 euros (+ 2 478 eurospar personne à charge). « Lorsque l’assistante sociale de secteur constate que la demande s’inscrit dans un contexte de conflit ou que les revenus des débiteursd’aliments sont trop élevés, elle réoriente le jeune vers la cellule de médiation familiale… Le rôle des assistantes de médiation porte autantsur des questions juridiques que sur une approche psychosociale des familles. Auparavant, très souvent, on renvoyait directement le jeune devant le tribunal et ça ne faisaitqu’aggraver la situation de conflit avec les parents. Aujourd’hui on peut préparer les deux parties, le jeune et ses débiteurs d’aliments, à la procédureen justice de paix, voire même renouer des liens entre eux ». Si le CPAS de Saint-Gilles a décidé de ne pas faire appel à un service extérieur, c’est enraison de la spécificité du public. « Nous ne travaillons pas dans un cadre thérapeutique, mais dans une relation d’aide. » Cathy Marcus se défendd’avoir voulu instaurer une sorte de filtre aux demandes d’aide financière. « La cellule est indépendante. Il y a deux dossiers distincts : celui de la demande etcelui de la médiation. Et il est essentiel que la confidentialité soit respectée. »

De l’impossibilité d’être juge et partie

De l’aveu même de la vice-présidente de l’Association de médiation familiale2, Monique Stroobants, si l’initiative des CPAS estintéressante, il y a aussi des risques de dérives. « La médiation familiale est un processus structuré où les deux parties choisissent le médiateur. Etdans le cas où on propose la médiation familiale, les deux parties doivent être d’accord. »

Outre que l’on peut discuter de l’effectivité de ce choix, la justice a déjà dû intervenir par rapport au non-respect de la confidentialité. En effet,en 2001, dans un recours contre une décision de refus d’aide du CPAS de Liège, le tribunal du travail a été explicite : « … Les médiateurs sontdes animateurs impartiaux. La confidentialité et le secret des propos contribuent à créer un climat de confiance. Le médiateur familial ne peut rendre public les faitsdont il prend connaissance… » À la suite de ce jugement, le CPAS de Liège a modifié la dénomination de son service de médiation familiale en service« Familles-Jeunes »… Le CPAS de Liège avait été le premier à créer un service spécifique. Au départ, dans l’organigramme, ilétait formellement rattaché au service de Taxation des débiteurs alimentaires… Ce qui laisse finalement peu de doutes sur les raisons de l’initiative : mesurerl’effectivité de la rupture familiale afin d’alléger au maximum les coûts financiers pour le CPAS. En 2000, 223 dossiers de jeunes ayant quitté leur famille ontété traités avec à la clef, 136 refus et 87 octrois. Parmi ces refus, dans 20 % des cas, le CPAS annonce qu’une médiation a permis une réconciliationau sein de sa cellule familiale. Comment évalue-t-on cette réconciliation si ce n’est par le simple fait que le jeune n’a pas été aidéfinancièrement ? Est-ce qu’il ne faut pas parler des critères utilisés pour la réconciliation, sinon cela pourrait passer pour un procès d’intention ?

Lorsque la majorité est passée à 18 ans, les CPAS avaient tiré la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, au nom d’une certaine conception de lasolidarité familiale et dans un contexte budgétaire difficile, la tentation est grande de détourner la pratique de la médiation familiale de son objectif initial. Unconstat dénoncé par ailleurs par l’association Droits Devant3 qui rassemble militants, chômeurs et bénéficiaires du revenud’intégration. L’association a mis en place un observatoire des pratiques des CPAS. « Derrière une argumentation sociale, on trouve une logique budgétaire.Certains de ces “médiateurs” exercent des pressions. Parlent de caprice des jeunes ou leur demandent de mettre de l’eau dans leur vin pour les dissuader de quitter le milieufamilial. De plus on observe une plus forte systématisation des renvois des demandes d’aide des jeunes devant le tribunal. »

1. Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes wallonnes, rue d’Arlon 53 bte 4 à 1040 Bruxelles, tél. : 02 223 20 03, site Web : www.uvcw.be/cpas/fédération/index.htm
2. ALMF, rue Melpomène 24 à 1080 Bruxelles, tél : 02 415 81 75, e-mail : cespem@skynet.be
3. Droits Devant, site Web : http://users.skynet.be/Droits.Devant/index.htm

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