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Regard critique · Justice sociale

Pouvoirs locaux

Coopérations transcommunales: vers une nouvelle ruralité?

La commune se révèle souvent un cadre inadéquat, car trop exigu, pour porter des projets de développement territorial. La solution: monter au front avec ses voisins. Une étude récente postule l’émergence, à travers ces coopérations transcommunales, d’une nouvelle ruralité en Wallonie.

Julie Luong 03-04-2017 Alter Échos n° 441-442
«Les coopérations transcommunales sont de nature entièrement volontaire et, dans la plupart des cas, conclues pour un temps limité, celui de la durée de vie du projet», Rudi Claudot

La commune se révèle souvent un cadre inadéquat, car trop exigu, pour porter des projets de développement territorial. La solution: monter au front avec ses voisins. Une étude récente postule l’émergence, à travers ces coopérations transcommunales, d’une nouvelle ruralité en Wallonie.

La coopération entre acteurs locaux en milieu rural est «au cœur des préoccupations des pouvoirs publics depuis plusieurs années». C’est du moins ce qu’affirme Annick Fourmeaux, directrice générale du département de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme (DGO4) du Service public de Wallonie (SPW)[1]. Le 1er juin 2017 entrera ainsi en vigueur une nouvelle législation en matière d’aménagement du territoire: le Code du développement territorial (CoDT). Conçu comme «une boîte à outils au service des citoyens, des entreprises et des pouvoirs publics», celui-ci devrait permettre de concrétiser dans les meilleures conditions possibles des projets d’urbanisme et d’aménagement avec comme ambition de répondre aux grands enjeux identifiés par la Wallonie: le défi démographique, la lutte contre l’étalement urbain et le soutien au développement économique[2]. Or ce Code, qui succède au Cwatup (Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine), prévoit la possibilité pour les communes de se grouper pour établir ensemble un schéma de développement pluricommunal. «Nous sommes aujourd’hui devant un nouveau changement d’échelle territoriale pour nombre de problématiques. D’une logique de fusion, nous passons à une logique de coopération transcommunale. Qu’il s’agisse de mobilité, de vie culturelle, de tourisme ou d’emploi, la coopération est une nécessité. La favoriser, c’est œuvrer à mieux rencontrer les besoins des habitants et à y apporter efficacement des réponses appropriées», explique à ce propos Annick Fourmeaux.

Innovation territoriale

Dans son étude, Rudi Claudot, premier attaché au Conseil urbaniste-environnementaliste au Conseil économique et social de Wallonie, constate que ces coopérations connaissent un développement croissant depuis une vingtaine d’années. Face à une société en pleine mutation – qu’il s’agisse d’emploi, de développement durable ou de mobilité –, la taille des communes wallonnes, qui comptent pour la majorité d’entre elles moins de 10.000 habitants, ne permettrait plus d’atteindre le niveau de service souhaitable. «On observe l’émergence d’une territorialité qui repose entre autres sur l’innovation territoriale, laquelle peut se définir comme une réponse nouvelle à une problématique et/ou à un besoin identifiés collectivement dans un territoire en vue d’apporter une amélioration du bien-être des habitants et un développement rural durable», raconte Rudi Claudot.

En résulte un «mille-feuille multidimensionnel», les territoires d’action variant selon les enjeux et les thématiques.

Bien sûr, on ne s’associe pas juste parce qu’on s’aime: les acteurs locaux se retrouvent souvent sur la base d’incitants financiers émargeant aux Provinces, à la Wallonie, à l’État fédéral ou à l’Europe. «Ces coopérations concernent aussi bien la production de biens et de services que la gestion de biens publics, comme la gestion de l’environnement et la biodiversité. Elles associent des acteurs institutionnels et des acteurs économiques, culturels, associatifs, etc., pour mettre en œuvre des projets comme des parcs naturels, des maisons de l’emploi, des maisons du tourisme, des agences de développement local, des plans de mobilité…», poursuit Rudi Claudot. En résulte un «mille-feuille multidimensionnel», les territoires d’action variant selon les enjeux et les thématiques, se chevauchant mais n’entretenant pas forcément d’articulation entre eux.

Parmi les exemples concluants de coopération transcommunale identifiés par Rudi Claudot – et qui se situent dans les régions particulièrement rurales du sud-est de la Wallonie, au sein des provinces de Liège, Namur et Luxembourg –, on retrouve notamment l’Association Pays de Herve-Futur, l’Association Pays de Famenne, le Parc naturel Haute Sûre Forêt d’Anlier ou l’agence de développement local Tenneville-Sainte-Ode-Bertogne. Autant de regroupements issus d’une démarche proactive et volontaire des acteurs locaux et qui ne relèvent pas des intercommunales, en grande majorité antérieures à ces nouvelles formes d’action collective, et qui s’en distinguent à la fois par leur ampleur géographique, leur caractère parfois obligatoire (dans le traitement des déchets par exemple) et leur capacité d’action sur les plans financier et opérationnel (garantie par leur autonomie de gestion). «Les coopérations transcommunales étudiées dans la recherche sont généralement à l’échelle de quelques communes et de quelques CPAS. Elles sont de nature entièrement volontaire et, dans la plupart des cas, conclues pour un temps limité, celui de la durée de vie du projet», résume Rudi Claudot.

Force du réseau: le cas GREOVA

Faisant fi des limites politico-administratives traditionnelles, ces coopérations seraient en réalité l’expression d’une forme de «géopolitique locale»: rassemblées autour d’intérêts communs, les communes et les CPAS n’en perdraient pas moins de vue leur intérêt propre, dans une «dialectique entre concurrence et solidarité» qualifiée de «coopétition». Mais, si les acteurs cherchent à recevoir proportionnellement autant qu’ils investissent, ils sont souvent prêts, au-delà de chaque projet, à défendre une certaine «identité rurale», comme l’illustre le cas du GREOVA (Groupement régional économique des vallées de l’Ourthe, de la Vesdre et de l’Amblève). Regroupant treize communes de la province de Liège (Anthisnes, Aywaille, Chaudfontaine, Clavier, Comblain-au-Pont, Esneux, Ferrières, Hamoir, Lierneux, Ouffet, Sprimont, Stoumont et Trooz), le GREOVA concerne un territoire pris en tenaille entre de grands pôles urbains. Plus ancien et plus vaste que la plupart des autres regroupements transcommunaux, il se distingue par sa pérennité et sa santé économique qui en ont fait un des acteurs majeurs de la région. «Le GREOVA a aujourd’hui 45 ans! Il est né en 1972, à une époque où il n’y avait pas d’autoroutes, pas de plan de secteur, pas de zonings artisanaux, raconte son directeur Jacques Lilien. Le territoire était alors en plein déclin économique, dans un contexte d’exode rural et de déclin des carrières, qui occupaient 3.500 personnes avant-guerre et qui n’en occupaient plus que 250-300 en 1972. Le secteur du tourisme, intéressant, demeurait quant à lui insuffisamment développé. Nous étions avant la fusion de communes de 77! Des hommes politiques, mais aussi des chefs d’entreprise, des responsables syndicaux, des profs d’unif, des travailleurs sociaux ont alors décidé de créer un groupement de relance économique dans cette région d’Ourthe-Amblève.» D’abord informel, ce groupement a joué un important rôle de lobbying notamment dans le développement des autoroutes, mais aussi dans l’implantation d’industries, comme l’usine Nestlé à Hamoir, remplacée suite à sa fermeture en 2006 par l’entreprise Belourthe, dont les céréales pour bébé sont aujourd’hui exportées dans plus de 50 pays.

Treize communes, c’est aussi treize bourgmestres et autant d’opportunités d’avoir un bon pion placé au bon endroit au bon moment…

La force du GREOVA repose aussi sur son bureau d’études qui lui a permis de constituer une importante banque de données numérisées (réseau hydrographique, voiries, égouttage, zones inondables, captages, décharges, carrières, campings, parcs résidentiels, géologie, pédologie, topographie, réseau écologique, sites touristiques, itinéraires de promenade, etc.) et d’obtenir de nombreux financements, que ce soit auprès des Provinces, de la Wallonie ou de la Fondation Roi Baudouin. «Dans les années 90, nous avons commencé à rentrer des dossiers européens, ce qui a été une nouvelle source importante de moyens. C’est aussi à cette époque qu’on a vu apparaître les agences immobilières sociales (AIS), alors réservées aux villes de plus de 50.000 habitants. À l’époque, notre groupement comptait 53.000 habitants. Nous avons donc fondé cette AIS qui vole aujourd’hui de ses propres ailes et gère quelque 217 logements», poursuit Jacques Lilien. Enfin, le GREOVA, comme gestionnaire de la Maison du tourisme Ourthe-Amblève, est devenu l’un des principaux acteurs de ce secteur, manne économique de la région. Dans ces dossiers comme dans les autres, Jacques Lilien ne cache pas que la force du GREOVA se situe aussi et surtout dans la puissance de son réseau. Treize communes, c’est aussi treize bourgmestres et autant d’opportunités d’avoir un bon pion placé au bon endroit au bon moment… «L’avantage est que le groupement n’est pas étiqueté politiquement, ce qui implique que, quel que soit le gouvernement, on trouve toujours quelqu’un pour appuyer notre dossier», poursuit-il. Et de rapporter ce coup de fil que lui passa un fonctionnaire européen avec qui il avait eu un soir la bonne idée de dîner pour l’informer qu’il restait des fonds FEDER et lui conseiller d’envoyer un dossier. Le dossier l’emporta à hauteur de 500.000 euros pour la promotion touristique.

Des pôles d’excellence rurale

«S’il existe une culture partenariale préexistante, ce sera beaucoup plus facile. En revanche, si les ressources financières, techniques et humaines sont faibles, la coopération sera beaucoup plus ardue à mettre en place», résume Rudi Claudot à propos des facteurs favorables au développement de la coopération transcommunale. Inutile de dire qu’à ce jeu-là, toutes les collectivités locales ne partent pas avec les mêmes atouts. Selon le chercheur, les pouvoirs publics devraient donc davantage reconnaître et soutenir les dynamiques locales d’innovation comme «pôles d’excellence rurale» à partir desquels pourraient s’opérer l’évaluation et la diffusion des apprentissages collectifs «au bénéfice des espaces ruraux moins favorisés». «Nous avons besoin à l’échelle sous-régionale, entre la commune et la Région, de lieux souples de coordination et d’arbitrage de manière à décloisonner les politiques publiques, à renforcer la cohérence entre réflexion et action, à assurer la convergence des projets. Les projets relatifs à la mobilité auraient ainsi intérêt à être élaborés autant en relation avec l’emploi qu’avec le tourisme», estime Rudi Claudot. D’accord pour les pôles d’excellence, répond de son côté Jacques Lilien, mais «à condition de ne pas toucher à ce qui marche bien et à ne pas recréer artificiellement des structures sans tenir compte des particularismes locaux». À chacun sa ruralité.

[1] Dans la préface qu’elle donne à l’étude de Rudi Claudot, «Dynamiques des coopérations transcommunales construites par les acteurs locaux des espaces ruraux wallons. Vers une nouvelle territorialité rurale?», département de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme (SPW/DGO 4), collection «Études et documents», 2016. Le document est disponible ici: http://spw.wallonie.be/dgo4/tinymvc/myfiles/views/documents/publications/collections/tomes/ED_AU_13_Presentation.pdf.

[2] http://spw.wallonie.be/dgo4/site_amenagement/index.php/juridique/codt.

En savoir plus

«Politique locale et culture : l’exemple des centres culturels», Alter Échos n°217, 18 octobre 2006.

Julie Luong

Julie Luong

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