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Communes riches: les projets de cohésion sociale ont-ils la vie dure?

Les projets de cohésion sociale soutenus par des associations dans les six communes bruxelloises considérés comme « riches » ont-ils la vie dure ? Nous avons rencontré deux de ces associations, à Uccle.

25-01-2013 Alter Échos n° 352

Les projets de cohésion sociale soutenus par des associations dans les six communes bruxelloises considérées comme «riches» ont-ils la vie dure? Nous avons rencontré deux de ces associations, à Uccle.

Depuis une quinzaine d’années, Emmanuelle Van Overschelde est directrice de l’asbl Espace Création implantée dans le quartier de la Roseraie. La mission de l’association est très large: «C’est un lieu d’accueil pour projets culturels, sociaux et pédagogiques.» Face au décret de 2006, le constat est amer: «Dans ce qu’on fait, le seul champ d’activité qui entre encore dans les priorités de la ‘cohésion sociale’ et pour lequel il existe encore un subside régional, c’est l’école de devoirs. Avant, nos autres activités entraient dans la cohésion sociale, ce qui n’est plus le cas depuis le nouveau contrat quinquennal mis en place en 2011.»

Sa collègue, Laurence Lienard, coordinatrice de l’école de devoirs, précise que même là, les ressources financières sont insuffisantes pour faire face à la situation: «L’école de devoirs fonctionne avec quatre travailleurs rémunérés, dont moi, une institutrice et deux logopèdes… mais aussi grâce à la bonne volonté de cinq bénévoles, simplement défrayés pour leur frais de transport. Nous encadrons actuellement 25 enfants du primaire mais il y en aurait facilement deux fois plus à aider dans le primaire. On ne peut actuellement pas répondre à toutes les demandes. Dans le secondaire, c’est pire: il n’existe carrément aucune aide à Uccle… ou alors c’est payant et très cher!»

Même problème dans les quartiers riches d’Uccle

Le manque d’attention accordé à un quartier comme la Roseraie – situé à côté d’une cité sociale et dont les parents ne maîtrisent pas toujours correctement la langue française – est également constaté dans des quartiers plus huppés où existent également des poches de pauvreté.

La maison des jeunes «L’Antirides», située Montagne de Saint-Job, est à quelques enjambées du Prince d’Orange, l’un des quartiers les plus – osons le terme – «bourgeois» de tout Bruxelles. Vinciane Verbergt, coordinatrice depuis 1978 de cette association gérée par l’asbl Ma Maison à Toi, et Michel Lippens, président du conseil d’administration de cette asbl, ont connu il y a quelques semaines une bien mauvaise surprise: on leur a retiré leur subvention régionale pour leur activité de soutien scolaire. «Pour cette activité, nous avions pu nous adjoindre le soutien de six personnes dans le cadre d’un dossier de cohésion sociale que nous avons introduit en 2010. A Uccle, la demande est forte pour des jeunes en humanités, qui ne bénéficient de rien sur la commune à des prix démocratiques (…) Lorsque nous avons introduit notre projet, on nous a dit que l’on avait peu de chances d’être acceptés car les projets visés par le décret ne concernent pas les maisons de jeunes. Nous avons passé outre et notre projet a tout de même été accepté. Mais – ô surprise – nous avons constaté, au moment de signer, que le projet n’était accepté – et donc subventionné – que pour deux ans, alors que le décret prévoit des projets en quinquennats. On nous a rétorqué que nous étions un nouveau projet! Le soutien de la Cocof a été de quelque 10.000 euros par an en 2011 et 2012; ces sommes ont permis de défrayer des accompagnants, d’acheter du petit matériel pour les cours et d’intervenir dans les frais généraux de la maison des jeunes au prorata de notre activité de cohésion sociale, soit 7 heures sur 31 par semaine.»

Au final, nos deux interlocuteurs se sentent floués. «Nous avons travaillé plusieurs mois à l’élaboration et à la mise en place de ce projet de soutien scolaire. A présent, vu que nous sommes à Uccle et que nous ne disposons que du subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour le fonctionnement de notre maison des jeunes, cette intervention dans nos frais généraux, qui représentaient 21 % du total, était la bienvenue. Nous avons malgré tout décidé de continuer, en régime horaire plus réduit, le soutien scolaire jusqu’en juin avec des accompagnateurs entièrement bénévoles, question de ne pas laisser tomber les 16 jeunes que nous aidons depuis septembre. Pour la suite, rien n’est garanti!»

 

Des thématiques très restreintes

Tout comme Emmanuelle Van Overschelde, Vinciane Verbergt dénonce aussi la restriction du champ d’application thématique du décret: «Lorsqu’on a commencé à parler de cohésion sociale avec le décret de 2006, il n’y avait pas d’obligation de proposer une thématique spécifique. Au départ, la cohésion sociale consistait à rassembler quatre paramètres au sein d’une association, en l’occurrence quatre types de mixités qu’ici à l’Antirides nous avions toujours atteintes: culturelle, sociale, de genre homme/femme et intergénérationnelle. Vu que nous jouons aussi un rôle de maison de quartier, en plus d’être une maison des jeunes, nous avons des personnes d’âges différents qui nous fréquentent (…) Le problème est que la cohésion sociale telle qu’envisagée aujourd’hui par la Cocof se focalise sur des thématiques très restreintes»… et uniquement sur des quartiers où existent de grandes difficultés de manière générale. Or la pauvreté existe dans tous les quartiers. «Si nous avions été implantés dans l’un de ces quartiers, sans doute aurions-nous pu garder notre projet!»

[e]Six communes exclues de la cohésion sociale!

Le décret de 2006 qui organise le soutien de projets dans le cadre de la politique de cohésion sociale prévoit un budget annuel de huit millions d’euros pour venir en aide à trois cents associations. Mais voilà: ces associations doivent être implantées dans des quartiers faisant partie des treize communes suivantes: Anderlecht, Auderghem, Bruxelles-Ville, Etterbeek, Evere, Forest, Ixelles, Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode et Schaerbeek. Ces communes sont considérées comme celles où les difficultés sociales rencontrées par la population sont les plus importantes. Au passage, on s’étonnera tout de même de la présence d’Auderghem dans cette liste… sans aucun doute un joli tour de force de celui qui a réussi à imposer la présence de sa commune, alors qu’il était ministre bruxellois en charge de l’Aide aux personnes. Soit! Pour le reste, les associations présentes dans les six autres communes bruxelloises ne peuvent, aux termes du décret, bénéficier d’un soutien que si les projets qu’elles présentent à la Cocof concernent des actions transversales dépassant l’échelon communal. Seuls 55 projets régionaux de ce type peuvent être soutenus. Cette réglementation de 2006 pénalise de nombreux quartiers bruxellois au sein de communes considérées comme «riches»; dans ces quartiers où la précarité et la pauvreté sont criantes, les associations ne peuvent théoriquement pas bénéficier des aides de la Cocof. La réalité est un peu plus nuancée… mais pas beaucoup plus! [/e]

1. Ma Maison A Toi (L’Antirides) :
– adresse : Montagne de St-Job, 131-133, à 1180 Uccle
– tél. : 02 375 54 04
– courriel : coordination_antirides@yahoo.fr
2. Espace Création (La Roseraie) Soutien scolaire:
– adresse : chaussée d’Alsemberg, 1299 à 1180 Uccle
– tél. : 02 376 46 45
– courriel : emma@roseraie.org

Van Lil Philippe

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