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Regard critique · Justice sociale

Volontariat

Bénévole compatible

Plateforme nationale dédiée au volontariat, Give a Day met en lien des associations et des bénévoles, pour un coup de main ponctuel et plus si affinités. Un «Tinder du volontariat» qui se démarque des codes classiques du secteur et séduit les entreprises, les communes et l’université.

Red arrows find black figures holding a circle. Frontiers of Physics. Canadian edition. 1968.

Plateforme nationale dédiée au volontariat, Give a Day met en lien des associations et des bénévoles, pour un coup de main ponctuel et plus si affinités. Un «Tinder du volontariat» qui se démarque des codes classiques du secteur et séduit les entreprises, les communes et l’université.

Avocat et père de quatre enfants, Mathieu Jacob, la quarantaine, vit dans le Brabant wallon. En 2015, il se rend dans un camp de réfugiés, en Grèce – le début d’une réflexion personnelle sur l’engagement citoyen à l’heure du temps compressé: trop contraignant, le bénévolat à l’ancienne et ses horaires fixes ne semblent plus convenir à nos vies contemporaines, éclatées entre gardes alternées, prestations professionnelles irrégulières et loisirs à la demande. «Quand je suis rentré de Grèce, Avocats sans frontières m’a proposé de longues missions qui auraient pu me convenir mais qui n’étaient pas compatibles avec mon métier et ma vie de famille, raconte-t-il. J’ai donc commencé à réfléchir à une autre manière de faire du volontariat et constaté qu’autour de moi, beaucoup de personnes étaient dans la même envie.» En 2018, Mathieu Jacobs fonde alors «Two Days», une plateforme visant à favoriser le bénévolat en Belgique francophone, de manière réaliste et flexible («Deux jours par mois»). Rapidement, la Fondation Roi Baudouin, qui soutient le projet, met Mathieu Jacobs en contact avec Bart Wolput, fondateur d’une plateforme similaire en Flandre, «Give a Day». Les deux initiatives fusionnent en 2019 pour devenir une plateforme nationale qui compte aujourd’hui quelque 2.300 associations et 11.000 volontaires.

Des plateformes communales

Depuis 2002, la Plateforme francophone du volontariat (PFV) était la référence en la matière, avec quelque 400.000 volontaires inscrits. Give a Day s’en démarque par un modèle élaboré autour du «matching»: il ne s’agit plus de consulter une série d’annonces, mais de faire coïncider deux profils compatibles. En tant qu’aspirant bénévole, c’est très simple: vous vous inscrivez sur le site, vous mentionnez la localité où vous souhaitez faire du bénévolat, vos centres d’intérêt (nature, LGBT, handicap, réfugiés, éducation…), le nombre d’heures ou de jours que vous souhaitez y consacrer et c’est parti. Vous pouvez également choisir de recevoir par mail les demandes d’associations correspondant à vos critères et à votre profil (créatif, à l’aise à l’écrit, responsable…).

«Nous avons eu des contacts avec Give a Day, explique Emmeline Orban, secrétaire générale de la PFV. Nos visions sont très différentes. Pour nous, les volontaires sont tout sauf une bande d’amateurs qui se lèvent le matin et se demandent ce qu’ils peuvent faire pour se rendre utiles: ça demande d’être encadré, de trouver une vraie place dans l’association, de participer à faire grandir sa vision. Ce n’est pas de la charité: c’est du sérieux et ça se passe 365 jours sur 365.»

«Pour nous, les volontaires sont tout sauf une bande d’amateurs qui se lèvent le matin et se demandent ce qu’ils peuvent faire pour se rendre utile.» Emmeline Orban, Plateforme francophone du volontariat.

«Notre approche peut certainement être qualifiée de plus anglo-saxonne et décomplexée», rebondit Mathieu Jacobs, pour sa part ravi que l’initiative ait été comparée par un journaliste au «Tinder du volontariat». Reprenant la métaphore à son compte, il se défend d’introduire pour autant une discontinuité consumériste dans l’action sociale. «Le Tinder du volontariat, ça pourrait laisser penser que ce n’est que du zapping mais ce n’est pas ça. Beaucoup de personnes ne vont sur Tinder que peu de temps et se mettent assez tôt en couple avec quelqu’un qu’ils ont rencontré sur cette appli. C’est pareil pour Give a Day: on peut se proposer pour une mission ponctuelle mais des partenariats à long terme se mettent aussi en place.»

Si le service est gratuit pour les associations et les candidats bénévoles, Give a Day, asbl muée en coopérative à finalité sociale, a construit son modèle économique sur des collaborations spécifiques avec les communes et le monde de l’entreprise. Les communes, d’abord. En Flandre, ce ne sont pas moins de 14 communes (Bruges, Anvers, Hasselt, Oostkamp, Merelbeke, Neerpelt, Schoten…) qui ont signé un contrat de collaboration avec Give a Day: elles devraient être prochainement rejointes par cinq nouvelles entités francophones. «Nous proposons aux communes de développer leur propre plateforme communale afin de mettre en lien les volontaires et les associations locales. Nous proposons également un outil de gestion et de statistiques, mais aussi des formations», détaille Mathieu Jacobs. La promesse? Doubler le nombre de bénévoles sur le territoire pour un prix «modeste» déterminé en fonction du nombre de citoyens. «Pour les communes de 5.000 à 10.000 habitants, le prix peut être un obstacle mais elles ont alors la possibilité de former une plateforme avec trois ou quatre autres communes, qui constituent avec elles un ‘bassin de vie’», précise le fondateur. La formule permet d’accroître la visibilité des asbl locales, qui peinent souvent à se faire connaître, écrasées par la force de frappe des grosses ONG. Give a Day propose également aux communes un module baptisé «Les Compagnons de proximité» («de Buurtgezellen») qui encouragent les voisins à s’entraider, se rencontrer, organiser des fêtes de quartier. «Le but, c’est encore et toujours de créer du lien social, poursuit Mathieu Jacobs. Dans nos sociétés, environ 25% des gens souffrent de solitude. Cela concerne en particulier les plus âgés: c’est pourquoi nous sommes en train de développer un matching par téléphone pour ceux qui n’ont pas accès à Internet. Ce système permettra de mettre en contact deux personnes, qu’il s’agisse de se rendre un petit service ou simplement d’aller boire un café.»

Salariés ambassadeurs

Un système d’abonnement est également proposé aux entreprises qui peuvent, par le biais de Give a Day, proposer à leurs salariés de consacrer une partie de leurs heures de travail à des activités de bénévolat, généralement en groupe. «Cela leur permet d’assurer la responsabilité sociale de leur entreprise et d’inscrire celle-ci dans un mouvement sociétal, commente Mathieu Jacobs. Deuxièmement, on sait que le volontariat rend heureux: cela a un impact positif sur les salariés et donc sur leur travail. Troisièmement, cela ouvre les salariés à d’autres infrastructures, ce qui peut accroître leur expertise, leurs compétences, leur ouverture d’esprit.» Thibaut Vankeerberghen est responsable administratif de l’asbl Les Rênes de la vie, un centre d’hippothérapie et d’équitation adaptée à La Hulpe. Il a récemment accueilli, par l’intermédiaire de Give a Day, un groupe d’une dizaine de salariés qui a ramassé du crottin – non sans enthousiasme – pendant une journée entière. «En général, on essaie de proposer autre chose, s’amuse-t-il, comme de repeindre une pièce mais, cette fois, c’était un peu impromptu! Le retour était cependant très positif: les gens sont étonnés de voir ce que l’on fait, ils n’ont souvent aucune idée qu’un tel endroit existe dans le parc du château de La Hulpe. Pour nous, c’est ça qui est important: que ces gens puissent devenir des ambassadeurs et faire connaître notre association.» Comme de nombreuses asbl, Les Rênes de la vie, asbl qui bénéficie de subsides modestes venus du secteur handicap, peine d’abord et avant tout à maintenir ses finances au beau fixe. «Des bénévoles à l’année, il y en a régulièrement qui se proposent sans avoir besoin de passer par une plateforme. En revanche, en accueillant des entreprises, on espère susciter des dons de particuliers et augmenter notre rayonnement», analyse Thibaut Vankeerberghen.

«Le Tinder du volontariat, ça pourrait laisser penser que ce n’est que du zapping mais ce n’est pas ça. On peut se proposer pour une mission ponctuelle mais des partenariats à long terme se mettent aussi en place.» Mathieu Jacob, fondateur de Give a Day.

«Tout ce que je peux dire, commente de son côté Emmeline Orban (PFV), c’est que nous voyons beaucoup d’associations refuser à terme d’accueillir ce genre de team building parce qu’elles ne constatent pas d’impacts positifs. C’est un pari, mais les résultats ne sont pas démontrés. Par ailleurs, le modèle d’affaires de Give a Day ne correspond pas à notre vision: c’est peut-être gratuit pour les associations mais, comme on dit, quand c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit.»

Depuis septembre, l’ULB a également mis en place sa propre plateforme en collaboration avec Give a Day. «Nous sommes le premier établissement d’enseignement supérieur à le faire, commente Antoine Salomé, de l’asbl ULB Engagée, qui vise à promouvoir l’engagement citoyen sur le campus. Cette plateforme nous permet de valoriser les multiples initiatives citoyennes existantes à l’ULB – entre 80 et 100 – tout en intégrant un réseau beaucoup plus large. Elle va permettre à tous les étudiants et membres du personnel de s’impliquer encore plus concrètement dans un projet solidaire.» Après seulement deux semaines, la plateforme comptait déjà quelque 100 volontaires et 15 associations. Pour Antoine Salomé, Give a Day a aussi comme atout de répondre aux exigences de flexibilité des étudiants. «Notre but, c’est de renforcer la troisième mission de l’université aux côtés de la recherche et de l’enseignement, à savoir le service à la communauté, mais aussi de défendre les valeurs de l’ULB qui sont la solidarité et l’engagement. Cependant, on sait que les étudiants sont déjà très occupés par leurs études et que, par ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à travailler pour les financer: on ne veut donc pas créer une contrainte supplémentaire. La fréquence à laquelle le bénévole peut travailler est donc pour nous un critère très important: qu’il puisse donner une heure de son temps par semaine par exemple, c’est déjà bien.» L’action généreuse pourra par ailleurs se transformer en ligne sur le CV – ce qui est non négligeable quand on sait que l’engagement citoyen constitue une expérience très appréciée par les employeurs. «C’est tout à fait vrai, mais je pense que ce n’est pas et que ça ne doit pas être la motivation première des étudiants», insiste Antoine Salomé.

Mathieu Jacobs en est lui aussi persuadé: la fibre sociale est plus forte que jamais et n’a rien d’artificiel. «J’entends souvent que nous sommes dans des sociétés individualistes, mais justement: les gens ont envie d’aider pour résister à cette tendance. Un sondage que nous avons réalisé au moment de lancer Give a Day montrait que 80% des personnes interrogées souhaitaient s’engager, contre 12% qui l’étaient effectivement.» Le principal défi serait donc de favoriser le passage à l’acte. Par son modèle et ses codes inspirés des start-up, Give a Day pourrait bien se révéler maître en la matière. Et, pour employer le mot favori de Mathieu Jacobs, ériger le bénévolat en activité définitivement «canon».

Julie Luong

Julie Luong

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