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Regard critique · Justice sociale

Andres, à votre écoute…

Loin de la caricature du syndicaliste gueulard, Andrés Huergo, délégué CSC, s’investit au quotidien au sein de son entreprise pour lutter contre lesurendettement.

01-03-2010 Alter Échos n° 290

Loin de la caricature du syndicaliste gueulard, Andrés Huergo, délégué CSC, s’investit au quotidien au sein de son entreprise pour lutter contre lesurendettement.

Le bonhomme est à la hauteur de la voix à qui nous avons donné rendez-vous par téléphone : enjoué et chaleureux. « Moi, c’estAndrés1, pas de monsieur, hein ! ». Intarissable quand il s’agit de parler de « son » entreprise, il a tenu à nous faire visiter les installationsbasées à Wavre.

Autographe2, une PME comme il en existe des centaines en Wallonie, sauf que celle-ci est spécialisée dans l’aménagement de véhiculesutilitaires et emploie 47 personnes, des ouvriers pour leur grande majorité. Ambulances, voitures de police, bus pour handicapés, tout ici est relifté. L’ambiance estdécontractée, on s’interpelle, on se taquine. Andrés, notre délégué syndical, y évolue comme un poisson dans l’eau. Il nous montre sonposte de travail au sein du magasin de l’entreprise, « on l’appelle entre-nous le DMT, nous glisse-t-il, non sans un sourire, soit le ‘Démerdes-toi’ ou‘Dans la Merde Totale’, c’est comme vous voulez. » Bref, là où les commandes de matériel sont gérées et stockées.

Un espace tout au plus d’un mètre carré accolé à d’immenses étagères tient lieu de bureau à notre homme. Il se compose d’un PC,d’une chaise haute et de quelques feuilles éparses. « Ca, c’est mon domaine, ça me suffit, ça me ressemble. » Et de nous montrer tout fier la photo de sonpremier né, épinglée sur l’étagère. Entre deux explications, Andrés part manier le Clarck. « Excusez-moi, une pièce urgente àchercher… », se soucie de la commande de sandwiches de l’atelier et nous montre les coins détente de l’équipe en été quand on casse lacroûte sous le soleil ou qu’on se fait quelques échanges sur les tables de ping-pong au milieu du parking. Pour un peu, on postulerait bien…

La délégation, un principe plus qu’une nécessité

Cela fera bientôt dix ans qu’Andrés Huergo travaille chez Autographe et pourtant il fait déjà partie des anciens. « Nous étions une dizaine seulementquand je suis arrivé en 2000. Aujourd’hui, nous sommes presque cinquante. Je venais à l’époque de terminer des études de menuiserie-ébénisterie,complétées par un diplôme en peinture-lettrage, j’avais fait quelques petits boulots à gauche et à droite. J’ai été embauché chezAutographe d’abord comme menuisier durant neuf ans et puis j’ai changé pour le job de magasinier. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas dedélégation syndicale, on en a lancé une seulement en 2003, plus par principe que par nécessité, avoue-t-il. Autographe a un seul patron qui gère sonentreprise de manière assez paternaliste, dans le bon sens du terme, et le dialogue y est ouvert. »

Une entrée du syndicat dans l’entreprise que certains pourtant au sein du personnel ne voient guère d’un bon œil. « J’ai un jour, nous confieAndrés, retrouvé de l’urine dans mes chaussures au vestiaire. Puis avec le temps, en voyant l’utilité, les esprits se sont calmés et je pense qu’il neviendrait plus à personne l’idée de contester la légitimité de la délégation syndicale. »

Délégué CSC fraîchement élu, Andrés constate vite que certains des travailleurs ont des fins de mois difficiles. « J’en ai vu quitter le boulotparce que criblés de dettes, ils préféraient être au chômage et avoir un boulot au noir pour faire face. Mais très vite, ils ont dégringolé. Unefois que tu quittes le boulot, tu glisses et c’est la déglingue. On remarque vite, surtout dans un monde d’hommes comme chez nous, quand ça ne va pas : il y a d’aborddu laisser-aller dans les tenues, la mine mal rasée, puis les personnes viennent vous trouver en disant “Andres, est-ce que tu ne veux pas demander une avance de salaire pour moi aupatron ?”. Si ça se répète, on se dit qu’il y a un problème ou du moins un risque que le gars file dans le surendettement. J’ai eu envie d’agir enamont. Je me suis donc formé un peu sur le tas, en lisant, en me documentant sur les différentes pistes de solution. Mon épouse est juriste à la CSC, elle me file un coupde main, j’ai dans mon entourage des gens qui s’y connaissent aussi un peu dans la médiation de dettes, ça aide. »

Si souvent le sujet du surendettement reste tabou dans nombre d’entreprises, chez Autographe, vu la dimension familiale, il est difficile de cacher ses difficultés. « Je suis aucourant des saisies sur salaire. Le patron vient aussi parfois me trouver en me disant, ‘Andrés, tu veux pas voir ce qui se passe, un tel m’a déjà demandé deux foisdes avances sur salaire’. Comme délégué syndical, je suis souvent confronté à une multitude de questions concernant la législation sociale. Mais certainesquestions reviennent plus fréquemment que d’autres comme les conditions pour les avances sur salaire, ce que peut faire ou ne pas faire l’huissier, etc. Nous sommes un peu moins de50 dans notre entreprise dont 14 % ont un jour ou l’autre été surendettés et la majorité pas nécessairement pour des crédits non honorés maispour des factures qu’ils n’arrivent plus à payer : gaz, eau, électricité, soins de santé, etc. Ils sont tous passés par la médiation de dettes oule règlement collectif de dettes (RCD). Sept personnes subissent des saisies sur salaire et quatre sont actuellement en RCD. On compte dans le secteur Métal, un taux de surendettementdans les entreprises entre 10 et 20 %. »

Une problématique qu’il connaît par cœur et pour cause, Andrés a suivi des cours du soir à l’Isco (service de formation du Mouvement ouvrierchrétien) où il a terminé un graduat en sciences sociales du travail. Il met actuellement la dernière main à son mémoire de fin d’études autitre non équivoque : « Comment la délégation syndicale peut-elle intervenir dans un cas de surendettement d’un travailleur dans l’entreprise ? ». Des étudesqui lui ont permis de prendre du recul, et de lever le nez du guidon. « C’est important dans notre boulot de pouvoir analyser les choses aussi au niveau macro. Le phénomènedes travailleurs pauvres ne vient pas de nulle part. »

Ne jamais juger

Le surendettement, un thème qu’il explore depuis déjà cinq ans au sein de son entreprise, et qui lui a permis d’élaborer quelques outils àdestination des salar
iés d’Autographe. Il a ainsi rédigé de petits prospectus qui abordent des questions telles que les quotités saisissables sur salaire, lerèglement collectif de dettes, etc. « Pour aider les travailleurs surendettés, il faut pouvoir leur donner les outils adéquats car les causes du surendettement sont trèsvariées. Je leur imprime les prospectus en personnalisant selon la situation. Mais j’insiste pour que chacun soit responsable, il n’est pas question ici de faire le boulot àla place des salariés. Même si je leur fournis des lettres types comme pour demander un sursis chez Cofidis ou tout autre créancier, je leur demande de les écrire àla main, même chose pour les grilles budgétaires, on les fait ensemble, mais c’est eux qui remplissent. Et surtout ne jamais juger. Il m’est arrivé de m’entendredire que tel budget était consacré aux “visites aux petites femmes une fois par mois”, même si ça me fait sourire, c’est le problème du gars. Enquelque sorte, je prémâche le travail pour gagner du temps, une fois que la personne sera reçue par un professionnel de la médiation de dettes. Ils arrivent avec la grillebudgétaire déjà remplie, les papiers, les factures, la documentation, ils savent de quoi il retourne, ça facilite le travail des médiateurs et amoindrit lesentiment d’humiliation de pénétrer dans un service de médiation de dettes. »

Une spécialisation qui a mené Andrés a donné cours à d’autres délégués syndicaux CSC au sein des formations de l’Observatoire ducrédit et de l’endettement. « Il est plus facile comme délégué ayant une expérience de terrain de parler à d’autresdélégués. Je leur donne des outils mais leur enseigne aussi qu’il est de l’intérêt même du combat syndical que de s’attaquer auxproblèmes de surendettement au sein d’une entreprise. Il se révèle souvent très difficile de pouvoir faire participer les salariés endettés àdes actions collectives, leur situation financière ou les avances sur salaire les rendent en effet très vulnérables face aux éventuelles représailles de ladirection. »

Délégué multicasquettes

Le rôle d’un délégué, on le sait, ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise. Andrés bien souvent se voit interpeller sur desmatières qui n’ont rien à voir avec le boulot. Et de nous citer sur les trois derniers jours une liste impressionnante des conseils prodigués : une inscription àl’école pour l’enfant d’un des ouvriers, un appui administratif pour le règlement d’une pension alimentaire, la rédaction d’un courrier à unproprio, deux suivis d’accident du travail, un problème de vêtements de travail, des intérimaires qui viennent parler de leurs vacances annuelles, deséco-chèques. « Les gars ont besoin de pouvoir demander conseil à quelqu’un en qui ils ont confiance et comme délégué syndical, on se retrouvesouvent à faire du boulot de psy, d’écrivain public, d’assistant social, de médiateur, d’intermédiaire entre les ouvriers et le patron. Je dis toujoursque le deuxième livre qui devrait être donné au délégué syndical après la législation sociale, c’est le droit des familles car nous sommesrégulièrement interpellés sur ces sujets. J’ai souvent des questions ou des observations aussi quand on me demande de remplir la feuille de contributions. J’entendsalors des réflexions du style, “mais où il va tout ce pognon”, “à quoi ça sert ces impôts ?” et là, j’explique par exemplel’utilité de la sécurité sociale. J’estime que le délégué syndical a aussi une mission d’éducation permanente. »

Andrés a pour principe de ne jamais recevoir dans le local qui est réservé à la délégation syndicale, « je n’aime pas, ça fait tropbureau, ça instaure une distance. Je propose souvent de manger un bout ensemble ou d’aller boire un pot. Il faut pouvoir prendre le temps, comme je dis toujours “je suisd’origine espagnole, j’ai tout mon temps” et à la longue, ils savent qu’ils peuvent venir me voir quand ils ont besoin d’aide ou de conseils. La confiances’installe. » Et Andrés nous confie, non sans une certaine fierté, qu’Autographe s’est vu attribuer en 2009 par la CSC, le prix Gazelle de la meilleuredélégation syndicale du Brabant wallon.

Fils d’immigrés espagnols, avec un papa dans la construction et une maman, d’abord gouvernante puis ouvrière en usine, rien ne prédisposait spécialementAndrés à s’investir dans un syndicat sinon une culture ouvrière bien ancrée et une maman, se souvient-il, qui lisait la Gazette syndicale. Pourtant àle voir, on le croirait tombé dans la marmite dès le plus jeune âge. Un sacerdoce qui ne doit laisser guère de temps pour les loisirs et la famille… « Vousvoulez le numéro de téléphone de ma femme pour lui demander ? » nous lance Andrés esquivant avec humour notre question. « Mon épouse parfois ne comprendpas pourquoi je m’investis à ce point, comme elle travaille dans un syndicat, elle voit ce que font les autres délégués et elle compare inévitablement mais jepense sérieusement que mon job de délégué a davantage d’influence sur mon humeur à la maison que sur le temps réellement passé au-dehors.»

Même si on a du mal à le croire, tant il met de conviction dans son engagement, Andrés envisage de passer le flambeau : « ce n’est pas bon que dansl’entreprise se soit toujours le même qui assure la fonction. Il faut aussi pouvoir laisser la place à d’autres. » Sa plus grande satisfaction ? « Que l’onsoit passé de 10 à 47 personnes dans l’entreprise et ce, sans jamais que ce soit au détriment de la sécurité ou de la qualité du travail. On y aveillé. »

Agence Alter,Bruxelles / photo : Françoise Walthéry

1. Andrés Huergo, délégué syndical chez Autographe
– GSM : 0495 79 98 17
– courriel : ahuergo@hotmail.com
2. Autographe sa :
– adresse : av. Lavoisier, 2 à 1300 Wavre
– tél. : 010 47 65 85
– courriel : info@autographe.be
– site : www.autographe.be

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