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Aides pour les parents étudiants : un leurre ?

Aujourd’hui, presque tous les campus universitaires en Belgique disposent d’une crèche ouverte aux étudiants. Officiellement aucun statut spécifique n’existe pour les reconnaître, c’est au libre choix des universités. Quand il est présent, les étudiants estiment être traités de la même façon que les autres.

29-08-2018
© Photos UMONS/G. Zidda

Aujourd’hui, presque tous les campus universitaires en Belgique disposent d’une crèche ouverte aux étudiants. Officiellement aucun statut spécifique n’existe pour les reconnaître, c’est au libre choix des universités. Et les étudiants estiment être traités de la même façon que les autres.

Sur le campus Solbosh de l’ULB, un peu en retrait, une allée feuillue mène à la crèche de l’université. À l’entrée, une dizaine de poussettes de bambins y sont laissées pendant la journée. Ce bâtiment moderne peut accueillir au maximum 133 enfants encadrés par 28 puéricultrices. «La crèche a été créée en 1958 sur demande des étudiants. Aujourd’hui, un tiers des places sont réservées à leurs enfants, le reste est pour le personnel et les professeurs de l’université», raconte Catherine Daelmans, la directrice de la crèche.

Cette crèche sur le campus est une vraie aide à la réussite pour les parents étudiants. Située juste à côté des bâtiments universitaires, elle leur permet d’étudier tranquillement. «Quand les enfants sont à la crèche, les parents peuvent aller étudier à la bibliothèque sans culpabiliser», confie Catherine Daelmans. De plus, «la crèche est un lieu de soutien, et d’échange sur les difficultés. Des liens se créent entre les parents».

Impossible de chiffrer le nombre de parents sur un campus

Selon la directrice, il est de plus en plus rare de voir deux jeunes étudiants en couple avec un enfant. «En général, l’un des deux parents travaille déjà. Depuis le début de ma carrière, je vois une évolution. Les papas prennent de plus en plus leur rôle. En plus, Il y a de moins en moins des jeunes de 17-18 ans. Les grossesses surprises ont diminué», se réjouit Catherine Daelmans. La responsable du service social de l’ULB, Bérénice Guegan, nuance les propos de la directrice de la crèche par l’augmentation des personnes en reprise d’étude: «Le problème est plus fort, nous avons aujourd’hui à l’université un public de plus en plus varié avec des besoins de plus en plus spécifiques. Il y a de plus en plus d’adultes étudiants.»

Une difficulté dans cette problématique est le recensement des étudiants dans cette situation. «Par obligation du respect de la vie privée, nous ne pouvons demander aux étudiants s’ils ont un enfant sur les formulaires d’inscription», rapporte Bérénice Guegan. L’université bruxelloise compte mener un sondage anonyme pour le savoir. Elle envisage de rajouter dans un an le statut «parent-étudiant» dans la liste des étudiants à besoins spécifiques (EBS). Elle rassemble déjà les sportifs de haut niveau, les artistes, les étudiants entrepreneurs et ceux en situation d’handicap. L’arrivée d’un tel statut permettrait de reconnaître les étudiants en difficulté avec un enfant. L’aide proposée serait donc plus adaptée. Aujourd’hui, «la législation ne prévoit rien comme obligations envers ces étudiants», confie Bérénice Guegan. C’est au libre choix des universités.

L’ULB n’est pas la seule université à prendre en charge cette problématique. L’UMons a  ouvert en février dernier une crèche sur son campus. Sur les 36 places, l’établissement accueille quatre enfants d’étudiants, majoritairement en reprise d’études. Cécile Gallez, la directrice, explique que c’est une crèche conventionnée par l’ONE, tout en montrant un local bleu flash réservé aux consultations médicales. «Un médecin vient une semaine sur deux. Les enfants doivent être auscultés au moins quatre fois pendant leur séjour en crèche. Ils peuvent y recevoir leurs vaccins ici.» Ces visites sont gratuites et les parents paient la crèche en fonction de leur salaire. Financièrement c’est avantageux pour ceux qui sont étudiants avec un faible revenu.

Le service social de l’UMons a choisi de reconnaître ces étudiants avec un enfant afin de leur venir en aide. «Il existe bien un statut spécifique pour motifs sociaux où la grossesse et la parentalité sont inclus», explique Valéry Saintghislain, membre du service communication. Grâce à ce statut, si l’étudiante se déclare auprès du service social, «elle peut demander un allègement et avoir une aide financière pour les frais scolaires, ceux de logements, de garde, lancer un appel aux dons etc. Nous mettons aussi à disposition une psychologue». 

Bac 3 médecine et quatre enfants

Mais la bonne volonté de l’université ne convainc pas les étudiants concernés par la problématique. «Le système social est pareil pour tous les étudiants. J’ai juste eu droit à un étalement de l’année et de diminuer mon minerval de 800 euros à 375», confie Dikram Allach, une maman de 30 ans avec quatre enfants en reprise d’études et en Bac3 médecine. Cette trentenaire bénéficie également d’une aide du chômage pour s’en sortir. «Si j’ai au moins 30 crédits de réussis, je ne suis pas obligée de chercher du boulot.»

La crèche de l’UMons répond aussi aux urgences. «J’ai accouché le 30 décembre. C’était le blocus. J’ai étudié mon cours d’anatomie dans la salle de travail en attendant les contractions», raconte Dikram en riant. Elle continue sur un ton moins joyeux: «Je n’ai passé que deux examens cette session et j’étais vidée. J’ai fait une dépression, je me sentais incapable d’y arriver.» Une amie de la jeune maman l’a aidée à garder le nourrisson. Après trois mois, la directrice de la crèche a trouvé une place pour le bébé.

Dikram Allach doit sa réussite aux résumés de cours partagés sur Facebook, sa force de caractère et l’éducation qu’elle donne à ses trois enfants. «Je ne suis pas maman poule. J’élève mes enfants pour qu’ils soient indépendants. Le grand de 12 ans donne le bain à la petite.» Cette jeune mère n’a aucun soutien de sa famille. Dans les moments difficiles, «je prends sur moi, je n’ai pas le choix. Si personne ne s’occupe des enfants, personne ne le fera».

«Le professeur n’a pas pris en compte le certificat que je lui avais donné. Il m’a mis directement en seconde session et m’a dit: c’est ton problème si tu es enceinte, pas le mien.»  

Dikram n’est pas la seule à manquer d’un soutien familial. «Je n’ai plus mon père et dans ma culture, ma mère ne peut pas venir chez moi en tant que maman non mariée», se révolte Dorcas Kanjinga, une maman étudiante congolaise de 25 ans, en Bac3 informatique à la haute école de Mons. Son fils a un an et demi. «Heureusement j’ai beaucoup d’aide de mon copain et de sa famille, surtout de sa cousine.» Cette jeune femme est tombée enceinte en bac2. «C’était dur avec ma famille, ma mère n’a rien dit à personne. Pendant les cinq premiers mois, elle me parlait comme s’il n’y avait rien. Elle n’évoquait jamais le bébé.»

À l’école ça a aussi été difficile pour Dorcas. «J’étais démoralisée, les profs étaient choqués, mes amis ne comprenaient pas que je fasse un enfant aux études. On m’a aussi jugé sur la contraception.» Pourtant Dorcas prenait la pilule. Cette jeune maman a aussi connu la discrimination de la part d’un professeur de travaux pratiques (TP). «Il n’a pas pris en compte le certificat que je lui avais donné. Il m’a mis directement en seconde session et m’a dit: c’est ton problème si tu es enceinte, pas le mien.» 

Malgré toutes les difficultés, Dorcas Kanjinga n’a jamais songé à arrêter ses études. Elle espère que son mariage le 21 juillet facilitera ses relations avec sa famille. Pour l’instant, elle se concentre sur deux gros examens et la défense orale  de son stage. Elle passera son mémoire en seconde session. Une chose à la fois.

Sarah Barbier

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