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Regard critique · Justice sociale

Santé

Accès aux soins : les failles du système sous les projecteurs

La Belgique est reconnue pour sa bonne protection sociale et pour son système de santé de qualité. Pourtant l’accès aux soins n’y est pas garanti. Une partie de la population est contrainte de reporter des soins pour des raisons administratives ou financières, et certains groupes sont particulièrement vulnérables : personnes hors cadre d’assurance obligatoire, sans-abri, prostitué(e)s, primo-arrivants ou encore personnes souffrant de problèmes de dépendance. Médecins du monde vient de publier son Livre vert sur l’accès aux soins en Belgique. Fruit d’une collaboration de deux ans avec les acteurs de terrain de la santé, l’ouvrage recense un ensemble de constats et de recommandations. Ce travail a été présenté lors de tables rondes organisées ce 28 mars dans le cadre des cinquante ans de l’Inami. Une rencontre qui a rassemblé trois cents participants. « L’objectif ? Que les acteurs du système remettent en priorité numéro un toutes ces populations vulnérables », explique Pierre Verbeeren, directeur de MdM. Le Livre vert devrait d’ailleurs changer de peau et se muer en un livre blanc de recommandations à destination du politique. Focus sur deux ateliers de la journée.

Livre vert Capture du 2014-04-09 18:17:40La Belgique est reconnue pour sa bonne protection sociale et pour son système de santé de qualité. Pourtant l’accès aux soins n’y est pas garanti. Une partie de la population est contrainte de reporter des soins pour des raisons administratives ou financières, et certains groupes sont particulièrement vulnérables : personnes hors cadre d’assurance obligatoire, sans-abri, prostitué(e)s, primo-arrivants ou encore personnes souffrant de problèmes de dépendance. Médecins du monde (MdM) vient de publier son Livre vert sur l’accès aux soins en Belgique. Fruit d’une collaboration de deux ans avec les acteurs de terrain de la santé, l’ouvrage recense un ensemble de constats et de recommandations. Ses lignes de force ont été présentées ce 28 mars lors de tables rondes organisées dans le cadre des cinquante ans de l’Inami ; une rencontre qui a rassemblé trois cents participants. « L’objectif ? Que les acteurs du système (NDLR politiques, administrations) remettent en priorité numéro un toutes ces populations vulnérables », revendique Pierre Verbeeren, directeur de MdM. Le Livre vert devrait d’ailleurs changer de peau et se muer en un livre blanc de recommandations. Focus sur deux ateliers de la journée.

Toxicomanes et prostitué(e)s, même combat ?

Toxicomanes et prostitué(e)s, deux publics distincts, deux publics « à risque ». Les uns comme les autres vivent parfois « dans les marges ». Cumulant des problèmes d’emploi, de logement, de santé mentale et/ou physique, « leur désinsertion devient totale », expose Sébastien Alexandre, directeur de la Fedito Bruxelles. Ils ont pour point commun l’illégalité de leurs pratiques. En découlent une stigmatisation à leur égard, mais aussi certaines prises de risque : mauvaises pratiques de consommation pour les uns, rapports sexuels sans protection pour les autres. « Il y a pas mal de clients qui négocient des pratiques à risque, sans préservatif, moyennant le double, le triple du prix », explique l’asbl Alias, qui travaille à Bruxelles avec un public d’hommes prostitués. Infection au VIH/Sida, à l’hépatite C, les conséquences sont connues. L’illégalité freine aussi dans l’accès aux soins : pour des raisons d’anonymat et de confidentialité, l’entrée en contact avec le prestataire est plus difficile. Un contact qui se complexifie d’autant plus que l’aménagement des villes tend parfois à exclure davantage ces personnes déjà exclues : « On veut des villes propres, sans mendiants, sans prostituées et sans drogués », s’indigne Irene Kremers, du relais santé de Charleroi.

D’où l’importance d’initiatives telles que Test-Out, projet pilote mené par l’association Ex Aequo en 2013. Son objectif : organiser auprès du public des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) un dépistage du VIH/Sida délocalisé et démédicalisé. Que ce soit à bord d’un camion dans les quartiers gay de Bruxelles, dans certains établissements gays comme des saunas, des bars ou des clubs, ou encore dans les locaux de l’association, au total, plus de 600 dépistages rapides ont été réalisés depuis mai 2013. Plus largement, pour améliorer l’accès aux soins, ce sont les institutions à bas seuil et les initiatives de réduction des risques (projets de salles de consommation par exemple) qui devraient être davantage soutenues, souligne le terrain. Tout comme l’émergence de nouveaux métiers tels que « l’accompagnateur social » : car « nous n’avons pas le temps de sortir de nos institutions. Or parfois, ce public est tellement craintif qu’il ne s’adresse pas à la première ligne ou ne va pas à l’hôpital si on ne les prend pas par la main », précise Laurence Theizen, directrice de la MASS de Bruxelles.

Parmi les propositions issues de la table ronde, la nécessité de sensibiliser les acteurs psycho-médico-sociaux aux problématiques de ces publics et au rôle de la réduction des risques : « Il faut faire diminuer les craintes des professionnels par rapport aux consommateurs de drogues », souligne Stéphanie Callens, du centre Transit. Last but not least, les secteurs, eux-mêmes confrontés à la précarité, doivent être renforcés. « La régionalisation ne sera une opportunité que si elle est pensée en des termes humains et sociaux, et en prenant en compte cette notion d’accès au droit fondamental à la santé », insiste Sébastien Alexandre.

Les nouveaux exclus de l’assurance maladie

Les personnes en séjour irrégulier ont légalement accès aux soins grâce à l’aide médicale urgente (AMU). Mais dans son application, les choses sont loin d’être évidentes. Au-delà des récriminations habituelles (la première consultation chez le médecin n’est pas remboursée, les délais de traitement dans les CPAS sont très longs, la charge administrative des dispensateurs de soins pour obtenir le remboursement est trop lourde…), c’est la disparité des pratiques des CPAS qui est surtout pointée du doigt. « Il y a 589 communes et 589 manières de faire, voire plus encore », s’indigne un participant. Derrière la question de la disparité se cache celle de l’interprétation par les travailleurs sociaux et les médecins de la notion d’aide médicale urgente. Car ce concept est souvent confondu avec celui d’urgence médicale. Or l’AMU est bien définie comme une aide médicale préventive ou curative, appréciée comme « l’aide nécessaire pour éviter toute situation médicale à risque pour une personne et son entourage ». « Aide médicale essentielle », « aide médicale nécessaire à court terme »… d’aucuns plaident pour un changement de dénomination.

Certaines personnes n’ont même pas accès à l’équivalent de l’AMU ; et il s’agit de ressortissants de l’Union européenne. En principe, on peut résider plus de trois mois dans un autre État membre à condition d’avoir des ressources suffisantes et une couverture maladie. En gros, ces citoyens peuvent bénéficier de soins de santé en Belgique « à la hauteur du montant des frais qui aurait été pris en charge par le pays d’origine ». Or un nombre important de citoyens européens n’a pas de couverture médicale. Et quand ils en ont une, ils n’obtiendront un remboursement de leurs frais qu’à leur retour dans leur pays d’origine. Ce qui peut être reporté à… la semaine des quatre jeudis. Ines Kalai, de l’asbl Animation et loisirs pour tous, s’offusque qu’une personne néerlandaise, par exemple, puisse se retrouver en Belgique sans accès à la mutuelle, sans aide d’un CPAS et risque de perdre son droit de séjour. « Beaucoup de citoyens européens sont même plus exclus que les sans-papiers ! » Dans la même veine, alors que les mineurs non accompagnés ont accès depuis 2008 à l’assurance maladie, les mineurs européens sont eux aussi exclus du système. Tous les mineurs devraient avoir accès à l’assurance obligatoire, clament les participants, y compris les mineurs étrangers accompagnés de leurs parents.

Difficile donc, pour certains, d’entrer dans le système. Mais il s’agit aussi de ne pas en sortir. C’est le cas des indépendants qui perdent leurs droits en matière de remboursement de soins de santé, entre autres parce qu’ils ne sont pas en ordre de cotisation. Un constat bien connu. « Parfois, ces personnes sont dans un pire état que les personnes illégales, s’indigne cette fois une assistance sociale de l’Hôpital Saint-Pierre. Ils sont malades, ils ont perdu leur travail et n’ont pas accès aux soins… » Si des mécanismes de remise en ordre existent bien dans les services sociaux des mutuelles, ces démarches sont parfois mal connues et peuvent prendre du temps. Qui seront les prochains évincés du système ? Les personnes sanctionnées par l’Onem : les périodes de suspension ou d’exclusion n’étant pas comptabilisées, le chômeur exclu risque de ne pas accumuler le nombre de jours nécessaires pour ouvrir le droit annuel de remboursement de ses soins. Les récentes modifications du régime du chômage laissent présager que le nombre de personnes concernées pourrait bien augmenter…

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 287 du 18.01.2010 : Inégalités sociales de santé riment avec pauvreté

En savoir plus

Livre vert sur l’accès aux soins en Belgique, Inami, Médecins du monde, Waterloo, 2014, téléchargeable sur le site www.medecinsdumonde.be (onglet publications).

 

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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