Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Economie

24 heures avec l’économiste Nabil Sheikh Hassan

Depuis quelques mois, Nabil s’est lancé un nouveau défi. Parler avec humour, mais aussi avec sérieux d’économie sur Instagram. Économiste de gauche, cet ancien ingénieur souhaite que la population s’approprie l’économie et la débatte. 

(c) Robin Lemoine

Mardi 10 janvier à 17 h, dans son appartement schaerbeekois. Après avoir mangé un petit bout, Nabil s’installe en face de son bureau. Devant lui, quelques notes, un café et son ordinateur. Il boit quelques gorgées puis lance Canva. «C’est un site qui permet de faire du montage graphique, de rendre une page jolie. Je n’ai que la version gratuite, mais franchement ça fait le taf.» Sur cette application, il retrouve ses différents travaux. Pour une nouvelle publication, il choisit la couleur, reprend ses notes et commence à écrire.

Nabil est un jeune trentenaire d’origine palestinienne. Après ses études secondaires, il se lance dans des études d’ingénieur civil en mécanique énergie. Quelques années plus tard, son diplôme en poche, il commence à travailler. «Sauf que j’ai senti très vite que ce poste d’ingénieur ne me correspondait pas. Je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi. J’avais envie de parler d’économie.» Il décide alors de prendre un poste d’économiste au sein du bureau d’études de la Confédération des syndicats chrétiens. «Je m’intéressais déjà à l’économie. J’ai d’ailleurs réalisé un master en économie, car je voulais vraiment tout comprendre: les théories, les résultats empiriques, les systèmes économiques, les inégalités, etc.» Il découvre alors, de plus près, le milieu militant. «Ça a vraiment été une superbe expérience pour moi. Parce qu’on rencontre des travailleurs et travailleuses de milieux très différents. Et puis, parce que j’ai pu me rendre compte des problématiques de terrain, des problèmes des gens, des injustices qu’ils ressentent et vivent.»

Aujourd’hui, Nabil est un économiste «de gauche», comme il le dit, et il effectue une thèse à l’UCLouvain sur les inégalités de revenus en Belgique. Mais ce n’est pas tout. Depuis quelques mois, il s’est lancé un nouveau défi: vulgariser l’économie sur Instagram ou du moins «en donner des clés de compréhension».

Le début de Tout va bien

L’idée est simple: partir d’une question qu’il pioche dans sa boîte à idées et y répondre en 10 images au maximum. «J’essaye aussi de faire quelque chose de fun pour accrocher les moins intéressés.» Par exemple, pour parler de la vague de chaleur de l’été dernier, il choisit de titrer sa publication: «Quand il fait +40 °C, quel climatiseur acheter?» Avant d’entamer une conversation avec un personnage imaginaire: «– Attends t’es sérieux là? – Quoi? – Genre tu vas donner une review UFC Que Choisir sur la clim’? – Nan, j’appâte Instagram qui carbonise sous le soleil parce que, si je titre ‘Économie, réchauffement climatique et comptes nationaux’, ça sonne boring Et puis il déroule son argumentaire en faisant parfois intervenir avec dérision des personnages politiques comme Alexander De Croo ou Emmanuel Macron.

«Je m’intéressais déjà à l’économie. J’ai d’ailleurs réalisé un master en économie, car je voulais vraiment tout comprendre: les théories, les résultats empiriques, les systèmes économiques, les inégalités, etc.»

Pour le moment, Nabil n’est qu’au début de son projet. «Ma charte graphique est définie, mais cela peut changer avec le temps. C’est important d’avoir un compte homogène, joli, qui donne envie.» Pour cela, il s’est d’ailleurs inspiré des «meilleurs» d’Instagram: les comptes «D’où» qui parle féminisme, «Sans blanc de rien» qui sensibilise à l’antiracisme ou encore «Corps Cools» qui lutte contre la grossophobie. «Avec mes 1.000 abonnés, je ne suis pas du tout à leur niveau, s’amuse-t-il. Mais j’avance, j’apprends.»

Mais Nabil ne s’en cache pas: «Sur Instagram, il faut aller vite et, si l’on veut donner un maximum d’infos, il faut trancher. Alors oui, je donne mon avis et ma vision des enjeux économiques et sociaux. Sur Instagram, j’assume une position de gauche.» Avant Instagram, Nabil avait déjà mis un pied dans la vulgarisation avec l’émission YouTube Tout va bien, produite en collaboration avec le Festival Esperanzah. Dans ces vidéos, Nabil et ses compères décryptent des questions liées à l’économie, aux conflits ou encore au racisme. «Ça a plutôt bien marché sur YouTube et Facebook, explique-t-il. Dans ce genre de format, on a plus de temps, on peut apporter davantage de nuance et d’explication que sur Instagram. Tout va bien avait aussi son positionnement, mais on avait le temps d’expliquer toutes les positions. Sur Insta, c’est compliqué en 10 images.»

Chercheur et militant

Une question se pose: peut-on être militant ou du moins «économiste de gauche» tout en conservant sa légitimité de chercheur? «Les économistes sont tous plus ou moins de gauche, de droite, libéraux, néolibéraux, hétérodoxes, institutionnalistes ou encore marxistes. L’économie est politique. Les politiques économiques ont simplement des objectifs différents et prônent des sociétés différentes. Cela implique qu’il y ait du débat. C’est ça qui est intéressant en économie: le débat.»

«Sur Instagram, il faut aller vite et, si l’on veut donner un maximum d’infos, il faut trancher. Alors oui, je donne mon avis et ma vision des enjeux économiques et sociaux. Sur Instagram, j’assume une position de gauche.»

Et, lorsque sa thèse sera publiée, ne craint-il pas que son militantisme lui porte défaut? «Oui, on pourrait dire: ‘Il est de gauche, donc ses résultats sont biaisés’. Ce qu’il faut faire si l’on pense cela, c’est regarder de près la méthodologie que j’ai utilisée. Des méthodologies, il en existe beaucoup en économie. Et sur un même sujet, ces différentes approches peuvent amener à des résultats et des explications différentes. C’est donc là que commencent le débat universitaire et la relecture par des pairs. Encore une fois, l’économie, et surtout quand elle touche à des enjeux de sociétés comme les inégalités, est politique. L’intérêt est alors de confronter les résultats et de débattre.»

Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas reprocher à cet économiste de ne pas être transparent. «Dans la vie et sur Instagram, j’assume un positionnement politique. Dans mon travail universitaire, mon centre d’intérêt est l’économie des inégalités et le rôle des institutions; et là je ne donne pas mon avis, j’explique clairement ma démarche, je nuance mes résultats et je débats directement avec d’autres économistes. Je fais de la recherche, tout simplement!»

S’approprier une science politique et sociale

Lorsqu’on lit les publications Instagram de Nabil, on pourrait se dire que rien ne va autour de nous. Bas salaires, crise énergétique et climatique, grèves, sont autant de sujets que l’économiste a déjà traités. «Moi, je suis un éternel optimiste. D’ailleurs je me raccroche souvent au texte de l’historien et politologue américain Howard Zinn, ‘Inlassable optimiste’. Je crois que le pessimisme ne fait pas bouger. De mon point de vue, j’essaye juste d’expliquer des faits de société que l’on pourrait changer.»

«Des méthodologies, il en existe beaucoup en économie. Et, sur un même sujet, ces différentes approches peuvent amener à des explications et à des résultats différents. C’est donc là que commencent le débat universitaire et la relecture par des pairs. Encore une fois, l’économie, et surtout quand elle touche à des enjeux de sociétés comme les inégalités, est politique. L’intérêt est alors de confronter les résultats et de débattre.»

En réalité, l’économiste souhaiterait que son travail de militant et de chercheur serve à une chose: «Que les gens s’emparent des questions économiques. L’économie est au centre de notre société. Tous les enjeux, qu’ils soient sociaux, sociétaux ou même climatiques, sont liés de près ou de loin à des questions économiques ou à des rapports de force économiques. Ainsi, pour comprendre notre présent, le critiquer et le faire évoluer, il faut que la population s’empare de l’économie. Pour moi, c’est essentiel. Et j’invite ceux qui me lisent et qui ne sont pas d’accord avec moi à me le dire, à en parler, à me trouver des contre-arguments. Cette matière est trop importante pour la laisser entre les seules mains des économistes.»

Lundi 16 janvier, Nabil a publié une nouvelle histoire sur Instagram. Son titre: «Quand est-ce qu’un PDG en costard commence à gagner plus que ton salaire annuel?» Pour répondre à cette question, il examine le salaire moyen des grands patrons du BEL 20 et le compare à celui d’un salarié moyen. Eh bien, Nabil vous apprend qu’en 2021, un PDG gagne le salaire annuel moyen d’un travailleur en… 6,9 jours seulement. «J’aime bien parler d’inégalités, vous l’aurez compris», explique-t-il. Un exemple, qui lui permet de vous parler d’économie, de partage des richesses et d’augmentation des salaires. Mais pas de spoiler… Pour avoir toute l’histoire et critiquer, si vous le souhaitez, son argumentaire, on vous laisse le découvrir sur sa page Instagram.

https://www.instagram.com/naaabsh/?hl=fr

https://www.youtube.com/@Toutvabienmedia



Robin Lemoine

Robin Lemoine

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)