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Regard critique · Justice sociale

Le chiffre

Report des soins : une réalité toujours plus préoccupante

Selon Statistiek Vlaanderen, 2 % des Wallons et des Bruxellois ont reporté l’an dernier des soins médicaux, contre moins de 1 % en Flandre. 

L0037325 A Patient Anonymised by Hospital Life- unframed version Credit: Wellcome Library, London. Wellcome Images images@wellcome.ac.uk http://wellcomeimages.org Elderly female patient standing in a white ward wearing a white hospital gown; unframed version. Print 2004 By: Emily BrownPublished: - Copyrighted work available under Creative Commons Attribution only licence CC BY 4.0 http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/

En Belgique, le report des soins est une réalité préoccupante qui touche une part significative de la population. Les données issues de plusieurs études récentes, notamment celles de Solidaris ou du KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé), mettent, elles aussi, en lumière les multiples facettes de ce phénomène qui reflète des inégalités sociales, économiques et géographiques persistantes.

En 2024, l’étude menée par Solidaris révèle que 41% des Belges francophones avaient renoncé à au moins une prestation de santé pour des raisons financières. Un chiffre plus «pessimiste» que ceux d’autres études comme celles du KCE ou de Statistiek Vlaanderen, notamment à cause d’une méthodologie plus ciblée sur la dimension financière du report de soins, admet Jean-Marc Laasman, coordinateur et expert affaires publiques chez Solidaris. «Cela étant dit, l’important est de se concentrer sur les tendances, c’est-à-dire les différences qui existent à l’intérieur d’une sous-population (catégorie d’âge, de revenus, sexe, structure familiale, etc.), les types de soins (dentaire, médecine générale, etc.) ainsi que les évolutions annuelles.»

En 2024, l’étude menée par Solidaris révèle que 41% des Belges francophones avaient renoncé à au moins une prestation de santé pour des raisons financières. Un chiffre plus «pessimiste» que ceux d’autres études comme celles du KCE ou de Statistiek Vlaanderen, notamment à cause d’une méthodologie plus ciblée sur la dimension financière du report de soins.

Les soins dentaires en tête

Se concentrer sur ces différences au sein de la population, c’est ce que font d’ailleurs la plupart des études, à commencer par celle de la mutualité socialiste. Parmi les prestations les plus concernées par ce renoncement financier, les soins dentaires arrivent en tête (23%) dans l’étude de Solidaris, suivis des soins de santé mentale et optiques. Depuis 2017, un gradient social marqué se dessine: les groupes socio-économiques précaires affichent un taux de renoncement supérieur à 50%, contre 17% pour les plus aisés. Les personnes en incapacité de travail (63%) et au chômage (58%) sont particulièrement affectées. Le renoncement varie aussi selon le genre, l’âge et la structure familiale: près d’une femme sur deux (48%) renonce à des soins, contre un homme sur trois (33%). Les seniors (+60 ans) ont vu leur taux de renoncement grimper à 40%, dépassant toutes les autres tranches d’âge.

Parmi les prestations les plus concernées par ce renoncement financier, les soins dentaires arrivent en tête (23%) dans l’étude de Solidaris, suivis des soins de santé mentale et optiques.

Les familles monoparentales sont les plus vulnérables, avec un taux alarmant de 60%, soit deux fois plus que les couples sans enfants. «Que ce soit les études menées par Solidaris ou par d’autres institutions, elles montrent des tendances similaires: certains profils sont systématiquement plus touchés par le report de soins. C’est notamment le cas des personnes précaires financièrement, des femmes, des familles monoparentales, et très récemment des seniors», ajoute Jean-Marc Laasman. 

+30% en dix ans

Pour mieux comprendre ce report, il faut se plonger dans le rapport du KCE qui pointe les contributions personnelles comme cause majeure du renoncement aux soins: 65% pour les soins dentaires, 56% pour les dispositifs médicaux, 34% pour les médicaments ambulatoires. Ces charges ont augmenté de 30% en dix ans, freinant l’accès aux soins, surtout pour les ménages précaires. «Les ménages belges consacrent une part plus importante de leur revenu aux soins de santé que dans des pays voisins comparables (Pays-Bas, France, Allemagne), et cette part augmente plus rapidement, relève Jean-Marc Laasman. Bien que la dépense totale par habitant soit inférieure en Belgique, la part à charge des patients est plus élevée (25% en Belgique contre 13-16% dans les pays voisins).»

Solidaris dénonce aussi la croissance des prestataires déconventionnés (dentistes, kinés, spécialistes) qui facturent des suppléments d’honoraires, alourdissant la facture pour les patients.

Pour mieux comprendre ce report, il faut se plonger dans le rapport du KCE qui pointe les contributions personnelles comme cause majeure du renoncement aux soins: 65% pour les soins dentaires, 56% pour les dispositifs médicaux, 34% pour les médicaments ambulatoires.

En Wallonie et Bruxelles, la situation est aggravée par une répartition inégale du personnel médical. À Bruxelles, malgré une forte densité de médecins, seulement 29,8% des patients âgés ont consulté un généraliste après hospitalisation, contre 45,2% en Flandre. En Wallonie, certaines provinces comme le Luxembourg et le Hainaut souffrent d’une pénurie de médecins et d’un accès réduit aux infrastructures. Par exemple, à Virton, moins de 60% de la population vit à moins de 15 minutes d’un hôpital, contre plus de 98% à Bruxelles ou Liège.

Le report des soins a des conséquences graves: aggravation des pathologies, recours accru aux urgences, dégradation de la santé mentale et physique, et creusement des inégalités sociales. Les patients consultent souvent en urgence, quand leur état s’est dégradé, ce qui surcharge le système de santé.

Une priorité politique

Face à ce constat, les acteurs institutionnels multiplient les recommandations. Solidaris propose, par exemple, d’augmenter les indemnités minimales pour les personnes en incapacité de travail, d’interdire les suppléments d’honoraires pour les bénéficiaires du statut BIM, de généraliser le tiers payant et d’améliorer le remboursement des soins dentaires et de santé mentale.

Lors de la parution des chiffres de Statistiek Vlaanderen en mars dernier, le ministre fédéral de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, a d’ailleurs exprimé son inquiétude. Selon lui, de telles situations sont inacceptables. Il a rappelé que le gouvernement fédéral voulait étendre le système du tiers payant de façon que les patients doivent payer seulement le ticket modérateur chez un nombre accru de prestataires de soins. Il veut également améliorer le remboursement des soins dentaires et s’attaquer aux suppléments demandés en plus des tarifs officiels. Yves Coppieters, ministre francophone de la Santé, plaidait, bien avant sa prise de fonction, pour une meilleure organisation territoriale des soins. «En termes de report de soins, la Belgique est un mauvais élève européen», relevait-il en 2023 sur la RTBF. Interrogé à ce sujet au Parlement wallon, le ministre affirmait d’ailleurs que la lutte contre le report des soins était «une grande priorité» du gouvernement, même s’il s’agit essentiellement d’une réflexion à l’échelle de la Sécurité sociale et donc du niveau fédéral. À ses yeux, il faut favoriser l’obligation du tiers payant pour les soins les plus chers et les soins ambulatoires. Il faut également lutter contre le déconventionnement des prestataires, tout en travaillant sur les approches collectives des soins de santé, que ce soit des maisons médicales, par exemple, qui accueillent des publics plus fragilisés. Ainsi, cette année, quatre ou cinq nouvelles maisons médicales devraient recevoir leur agrément, selon le ministre wallon.

65% des personnes racisées ont reporté leurs soins au moins une fois

Une étude exploratoire menée par UNIA révélait, en février dernier, que 65% des personnes racisées ont reporté leurs soins au moins une fois, contre 45% des personnes non racisées. «Ce phénomène est amplifié par le risque de pauvreté et par des expériences de discrimination dans le système de santé», explique l’institution publique interfédérale indépendante qui lutte contre la discrimination et promeut l’égalité. Neuf pour cent des personnes racisées se sentent discriminées dans le système de santé, 16% rapportent un manque de respect, et 19% estiment que d’autres patients sont mieux traités. Ces expériences entraînent une perte de confiance, une diminution du recours aux soins et un impact négatif sur la santé mentale et physique, rappelle UNIA. Les personnes racisées changent plus souvent de prestataire après une discrimination, mais 79% des cas ne sont pas signalés. 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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