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Volontariat et handicap: au-delà des préjugés

Permettre à toute personne handicapée de se sentir partie intégrante de la société en s’engageant dans une activité de volontariat, c’est le défi que tentent de relever Push, à Bruxelles, et les services « activités citoyennes », en Wallonie. Une tâche peu aisée, à l’heure où le budget des associations diminue et où les bénéfices d’une telle expérience sont encore sous-estimés.

Florian accueille les visiteurs du Plateau96. © Julie Lamfalussy

Permettre à toute personne handicapée de se sentir partie intégrante de la société en s’engageant dans une activité de volontariat, c’est le défi que tentent de relever Push, à Bruxelles, et les services «activités citoyennes», en Wallonie. Une tâche peu aisée, à l’heure où le budget des associations diminue et où les bénéfices d’une telle expérience sont encore sous-estimés.

«Si j’étais une saison, je serais l’été», lance Florian1, par l’intermédiaire d’un interprète en langue des signes. À l’occasion d’un drink de Noël, une vingtaine de bénéficiaires et membres du personnel de l’asbl Push sont réunis autour de larges tables, dans une ambiance tamisée. Des guirlandes lumineuses font scintiller la vaste salle où a lieu l’événement. Le jeu continue. Teresa Vrenna, coordinatrice, passe d’un participant à l’autre, une enveloppe dans la main. Françoise pioche un bout de papier. «Si j’étais une peur, je serais l’éclair», déclare-t-elle après un bref moment de réflexion.

Pour la plupart, c’est une des premières fois qu’ils se rencontrent mais tous sont en situation de handicap et volontaires – ou en devenir – dans une organisation sans but lucratif. Ils ont fait appel à Push, un service de soutien aux activités d’utilité sociale des personnes handicapées à Bruxelles. Tous sont animés par la volonté de se sentir utiles, s’épanouir, sortir de l’isolement, rendre service à la collectivité… Bref, vivre en société et s’y insérer.

«À la maison, je m’ennuie, je me sens seul»

Françoise est volontaire dans une maison de repos à Uccle. Trois fois par semaine, elle donne le goûter aux personnes qui ne peuvent se nourrir seules, fait des massages de main ou du tricot. Pour elle, le volontariat est surtout une façon de «ne pas tourner en rond à la maison». L’asbl Push l’a d’abord accompagnée pour trouver un lieu de volontariat qui lui correspond, puis pour faire en sorte qu’elle s’y sente bien. «Au départ, j’avais peur de la réaction des personnes âgées, confie-t-elle. Mais à présent ça se passe très bien. On s’attache aux résidents. Et quand je ne suis pas là, ils me cherchent.»

Florian est volontaire au sein du centre d’expression et de créativité Plateau96, à Woluwe-Saint-Pierre. Sourd et porteur d’un handicap mental, le jeune homme de 27 ans côtoie ce lieu en tant qu’artiste depuis 14 ans. L’interprète présente lors de l’interview doit faire preuve d’imagination pour trouver les bons mots, reformuler les questions afin de se faire comprendre. Mais Florian finit par le «dire» lui-même: responsable de l’accueil des visiteurs, il est volontaire au Plateau96 «pour le plaisir d’être ici». «À la maison, je m’ennuie, je me sens seul», ajoute-t-il. Quand on lui demande s’il est fier d’y «travailler», son visage s’illumine.

Décloisonner le secteur du handicap

Push et les services «activités citoyennes» sont nés de la volonté de trouver des alternatives aux centres de jour pour les personnes ne pouvant accéder au monde de l’emploi ordinaire ou adapté. De la participation à un potager collectif à l’écoute active dans une maison de repos, du service dans une cafétéria à l’aide dans une bibliothèque… tout type d’activité est possible! «L’idée était de ne pas obliger une personne en situation de handicap à être dans un lieu pour personnes en situation de handicap, mais de l’accompagner dans la société», explique Teresa Vrenna.

Lors de sa recherche d’un volontariat, Push part des compétences et des besoins de la personne. «On fait de l’inclusion, mais on n’est pas pour autant dans le déni du handicap, précise Teresa Vrenna. On donne des ressources à la personne pour qu’elle puisse respecter ses limites, mettre en avant ses compétences, les reconnaître et, au final, s’autodéterminer dans son projet.»

«Sur les 25 services, cinq organisent une activité sur un seul site et prévoient une petite indemnité. », Bernadette Varlet, agence pour une Vie de Qualité (AVIQ)

L’asbl Push a été créée en 2014, renforcée par le décret Inclusion de la Cocof. En 2015, elle a reçu 80 demandes de personnes désirant mettre en place un volontariat et a accompagné activement 23 d’entre elles. Au sud du pays, 25 services proposent des «activités citoyennes». «Il faut distinguer deux types de services, explique Bernadette Varlet, chargée d’études et coordinatrice des services «activités citoyennes» à l’Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ). Sur les 25, vingt fonctionnent comme Push, mais cinq sont particuliers car ils organisent une activité sur un seul site et prévoient une petite indemnité. Constituée en asbl, cette activité est encadrée et utile à la société. Comme le projet Handipar qui récupère les encombrants de la Ville de Namur et les revalorise.» À Bruxelles, on parle de «PACT» ou services de participation par des activités collectives.

Un suivi et un cadre bien défini

Pour empêcher que la personne volontaire ne devienne une petite main bon marché, Push et les services «activités citoyennes» établissent un contrat signé entre elle et le lieu de volontariat. Ce document définit notamment les horaires et les tâches attendues. Au cours d’évaluations, ces structures veillent à ce que le travail soit bien adapté au handicap de la personne. S’il y a quelque chose à réajuster, elles sont les instances extérieures à qui l’organisation peut se référer. «Push pose un cadre et, en tant que directrice, j’en avais besoin pour me rassurer, confie Marie-Estelle Van Hoette, directrice du Plateau96. Car une personne en situation de handicap – tellement en demande d’un lieu pour s’occuper, se valoriser, être reconnue – peut vite être exploitée dans ce genre de situation. On n’est pas dans une situation d’adulte à adulte où chacun a un espace de défense.»

«Le volontariat des personnes en situation de handicap est encore peu connu dans le secteur associatif.» Emmeline Orban, Plateforme francophone du volontariat

D’autant que certaines personnes handicapées ne distinguent pas le bénévolat du travail. «Dans le cas d’une déficience intellectuelle, la personne n’a pas conscience de faire quelque chose pour les autres, explique Teresa Vrenna. Mais ce n’est pas dû à un manque de sa part. Elle vous dira qu’elle travaille, même si elle sait qu’elle ne perçoit pas d’argent. Il y a ce mot ‘travailler’ qui est très important pour elle. On fait alors attention aux risques d’exploitation.»

Rassurer, informer, adapter

Push et les services «activités citoyennes» sensibilisent aussi les organisations aux spécificités du handicap du volontaire. Même si Teresa Vrenna note une évolution positive de leur part, «ça n’a pas été facile de se faire connaître au départ», reconnaît-elle. Il faut les convaincre de dépasser leurs peurs; être face à l’inconnu, ne pas savoir comment réagir, manquer de temps, etc. «Notre but est d’aller à l’encontre des idées reçues, de démystifier le handicap et de faire comprendre qu’avant tout, il y a une personne et que, quand ça se passe bien, le handicap passe au second plan, explique la coordinatrice. On pense souvent aux personnes à mobilité réduite. Or certains handicaps sont invisibles ou mal interprétés de prime abord. Une personne avec un problème neurologique, par exemple, qui oublie ses rendez-vous et ne sait pas s’orienter, peut être prise pour une personne qui manque de volonté. Alors qu’il faut juste lui donner des pistes pour trouver son chemin avec des photos ou lui écrire ce qu’elle doit faire pour ne pas qu’elle oublie.»

Selon Emmeline Orban, secrétaire générale de la Plateforme francophone du volontariat, «le volontariat des personnes en situation de handicap est encore peu connu dans le secteur associatif. Il est souvent vu comme occupationnel; les personnes ne sont pas considérées comme des volontaires mais comme des bénéficiaires». Teresa Vrenna confirme: «Les organisations ont tendance à penser que, comme la personne a un handicap, elle est plus une charge qu’une aide.»

Au Plateau96, cette question ne s’est pas vraiment posée. L’inclusion des personnes handicapées «fait partie de son ADN». Le centre compte deux bénévoles et trois employés en situation de handicap. «Pour moi, un monde où chacun est dans un tiroir est inconcevable, dit Marie-Estelle Van Hoette. Au-delà de l’aide que Florian nous apporte, sa présence nous amène à accepter la différence, à être interloqués par la langue des signes… On est dans un centre d’art. Si on ne travaille pas sur l’échange, sur la compréhension du fonctionnement de l’autre, on n’est pas des artistes! On doit se nourrir de cette interpellation.»

Si elle est «naturelle», cette «façon de fonctionner» n’est pas simple pour autant. L’équipe de Plateau96 bute parfois sur des difficultés. C’est pourquoi elle est supervisée tous les quinze jours par une psychologue.

Emploi et volontariat, une frontière ténue?

En Wallonie, les activités citoyennes ne s’adressent qu’aux «personnes qui n’ont pas ou plus le profil de travailleur», affirme Bernadette Varlet. La personne doit être bénéficiaire d’une allocation de remplacement de revenus ou d’allocations familiales supplémentaires en raison du handicap. Push limite l’activité de volontariat à un jour par semaine. Ce qui permet à la personne d’encore travailler dans une ETA (entreprise de travail adapté), si elle le désire.

Mais face aux mutations que vivent les ETA, «certaines personnes se tournent vers le volontariat car elles ne sont pas assez rentables et ont été écartées, ajoute Teresa Vrenna. Dans ce cas, le volontariat ne remplace pas forcément l’envie ou la nécessité de travailler. Certaines personnes recherchent une activité où elles peuvent aller plus à leur rythme. Il arrive qu’elles aient le sentiment d’avoir échoué et aient perdu confiance. Le volontariat est alors une fenêtre pour se reconstruire».

«On n’a pas beaucoup d’argent, on rame», Marie-Estelle Van Hoette, Plateau 96

D’autre part, «on assiste à une professionnalisation du volontariat», explique Emmeline Orban. Forcées de tourner à moyens réduits et de répondre à des objectifs de plus en plus exigeants, les associations ont tendance à choisir des volontaires ultracompétents, qu’elles ne doivent ni encadrer ni former.

Toutefois, malgré les coupes budgétaires, l’accueil des volontaires handicapés reste «globalement positif et continu». Du moins en Wallonie où, selon l’AVIQ, le nombre de personnes bénéficiaires d’une activité citoyenne au sein du secteur non marchand ou d’un organisme d’intérêt public est passé de 232 en mai 2015 à 404 en novembre 2015. À Bruxelles, seuls les volontariats réalisés par l’intermédiaire de Push sont répertoriés.

Du côté de Plateau96, l’apport humain d’une telle aventure permet de passer outre à la charge de travail supplémentaire qu’un volontaire en situation de handicap peut représenter. «On n’a pas beaucoup d’argent, on rame, reconnaît Marie-Estelle Van Hoette. Mais si tous les gens qui circulent sur ce plateau ont cette expérience de vie, si ça change leur regard sur l’autre, tant pis, c’est tellement magnifique! Mais ça reste très difficile et ce n’est pas juste. Je ne peux pas le dire plus fort. Si je pouvais le crier, je le crierais sur tous les toits.»

 

 1. Prénom d’emprunt.

  1.  Prénom d’emprunt.

Aller plus loin

«ETA: quel avenir pour les travailleurs handicapés?», Alter Échos n°437, 30 novembre 2016, Pierre Jassogne.

«Le Livre blanc du travail inclusif»,  Alter Échos n°427, 27 juillet 2016, Julie Luong.

 

Julie Lamfalussy

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