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Regard critique · Justice sociale

Justice

Vers une trêve hivernale pour tous les locataires ?

Cet hiver, les sociétés de logement social en Wallonie ont dû gérer leur première « trêve » en matière d’expulsions de locataires. En mai 2013, le Parlement wallon a voté la proposition de décret de la députée Ecolo Isabelle Meerhaegue qui interdit ces expulsions entre le premier novembre et le 15 mars. Ce « moratoire » (c’est le terme du décret) existe déjà à Bruxelles depuis 2001. Rien n’est prévu en Flandre.

Cet hiver, les sociétés de logement social en Wallonie ont dû gérer leur première « trêve » en matière d’expulsions de locataires. En mai 2013, le Parlement wallon a voté la proposition de décret de la députée Ecolo Isabelle Meerhaegue qui interdit ces expulsions entre le premier novembre et le 15 mars. Ce « moratoire » (c’est le terme du décret) existe déjà à Bruxelles depuis 2001. Rien n’est prévu en Flandre.

Seuls les logements sociaux sont concernés, ce qui n’a rien de négligeable compte tenu du nombre d’expulsions exécutées dans ce secteur. « Entre 2009 et 2011, pour les seuls logements sociaux wallons, 2 625 expulsions ont été prononcées et 1 152 exécutées, ce qui représente tout de même 400 expulsions par an », constate Isabelle Meerhaegue. Combien dans le privé ? Aucun chiffre précis n’est disponible, ni à Bruxelles ni en Wallonie. Tout au plus une estimation, entre 300 et 400 par an à Bruxelles, toutes périodes confondues.

L’expulsion des locataires dans le marché locatif privé reste donc possible mais cela pourrait changer avec la régionalisation de la loi sur les baux. Ce qui inquiète beaucoup le syndicat national des propriétaires (SNP).

En 2001 et en 2003, les députés PS Philippe Mahoux et Marie-José Laloy avaient déposé des propositions de loi visant à instaurer une trêve hivernale pour tous les locataires. Mais en 2004, le Conseil d’État a rendu un avis négatif sur la seconde proposition et ruiné toute velléité de modifier la loi fédérale. Le Conseil d’État a estimé inacceptable que le propriétaire-bailleur soit privé de tout revenu de location pendant trois mois. Cette « restriction imposée à son droit de propriété » doit alors être compensée par une indemnisation « appropriée ». On comprend que les députés aient préféré jeter l’éponge !

Après le vote du décret wallon de mai 2013, le SNP est à nouveau monté au créneau et a menacé d’introduire « tout recours utile » si, en 2015 lors de l’entrée en vigueur prévue de la régionalisation des baux, le Parlement wallon s’avisait d’étendre la mesure au parc privé. De fait, reconnaît Isabelle Meerhaegue, l’idée d’intervenir aussi sur les expulsions dans le parc privé « fait son chemin ». La députée, qui a rencontré le président du SNP, Olivier Hamal, admet que certains de ses arguments tiennent la route. « Il faut pouvoir entendre que tous les propriétaires ne sont pas riches et que pour certains, percevoir un loyer tous les mois constitue un vrai revenu. On sait par ailleurs qu’en France, la trêve hivernale a produit des effets pervers dans l’accès au logement. Il faut trouver des pistes en matière de compensations pour les propriétaires. » Par les pouvoirs publics ? Lors des discussions autour de la proposition de décret, les pertes subies par les sociétés de logement social avaient aussi été pointées du doigt par certains députés. « Dans tous les cas, il s’agit d’argent public, souligne la députée Ecolo. Les personnes expulsées de leur logement sont prises en charge par le CPAS, ce qui représente aussi un coût pour la collectivité. Autant les laisser dans leur logement et tenter pendant ces trois mois de trêve de trouver une solution. » Le décret ne fait que suspendre l’expulsion et prévoit une guidance obligatoire par le CPAS pour les personnes qui bénéficient de la trêve hivernale. C’est une guidance qui peut prendre beaucoup de formes, pas seulement budgétaire, précise Isabelle Meerhaegue.

Pour un recours efficace contre les expulsions

Que faire en attendant pour les locataires du « privé » ? Les juges de paix ne sont pas totalement démunis face aux situations les plus dramatiques. Ils gardent le droit de postposer une expulsion en prenant en considération la situation familiale du locataire, les conditions météorologiques, la possibilité de relogement. L’expulsion est ordonnée un mois après la signification du jugement, mais ce n’est pas automatique. Le juge doit aussi tenir compte de la situation et des arguments du propriétaire. « Beaucoup de locataires sont condamnés par défaut, constate José Garcia, secrétaire général du syndicat des locataires. Quand ils viennent chez nous, le jugement a déjà été exécuté. Nous voudrions qu’il y ait une possibilité d’appel et qu’elle ait un effet suspensif. » Que l’expulsion se produise en hiver ne semble pas déranger grand-monde, poursuit José Garcia. Tant du côté des magistrats que des propriétaires. « Il y a évidemment des bailleurs qui se montrent humains et suspendent l’expulsion pendant cette période. La trêve hivernale est vraiment une question de bonne volonté ou non du propriétaire. »

La suspension de l’expulsion par le juge n’est pas sans contrepartie. Le locataire doit continuer à payer un loyer ou une indemnité d’occupation. Or c’est généralement la difficulté, parfois provisoire, de payer un loyer qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. Faut-il rappeler que plus d’un tiers du budget d’une famille aux revenus précaires est consacré au paiement du loyer sur le marché privé ?

En France, la trêve s’est étendue à l’énergie

En 1956, la loi française a instauré la trêve hivernale pour tous les locataires. Même s’ils ont plusieurs mois de loyers en retard. Même s’ils ont fait l’objet d’une décision de justice permettant leur expulsion. Depuis 1991, cette trêve est devenue un peu moins universelle puisqu’elle exclut les personnes occupant illégalement une maison ou un appartement. Cette réintégration des squatteurs dans la loi fait actuellement l’objet d’une mobilisation des associations. Dans les grandes villes françaises et à Paris surtout, le phénomène des squats s’est particulièrement développé ces dernières années.

La trêve hivernale s’étend du premier novembre au 15 mars de l’année suivante. La loi permet une indemnisation des propriétaires par les pouvoirs publics mais peu y font appel. Depuis deux, trois ans, un mouvement de contestation de cette trêve est apparu chez les propriétaires qui utilisent désormais des techniques illégales pour faire fuir les mauvais payeurs, comme démonter les installations d’eau ou de chauffage sous prétexte de réparations.

Le sort des locataires continue malgré tout à faire l’objet de réformes législatives intéressantes. La ministre du Logement, Cécile Duflot, a fait repousser au 31 mars la fin de la trêve et en mars 2013, une loi a instauré une trêve hivernale de l’énergie. Les fournisseurs de gaz et d’électricité sont désormais obligés de poursuivre l’approvisionnement même en cas de factures non payées. Chez nous, la trêve en matière d’énergie s’est imposée en 2012 mais à Bruxelles seulement. La coupure du gaz et de l’électricité ne peut être décidée que par un juge de paix et ne sera jamais effective du premier novembre au 15 mars. Mieux : si les compteurs ont été coupés, le juge peut ordonner à Sibelga de fournir temporairement de l’énergie au ménage. Rien de tout cela en Wallonie et en Flandre. En Wallonie, en cas de défaut de paiement un compteur à budget est placé et si le client le refuse, l’énergie n’est plus fournie, été comme hiver.

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 363 du 02.07.2013 : Lutte contre les impayés : une nécessité et une priorité

Alter Échos n° 371 du 11.12.2013 : Libéralisation : les consommateurs entre ombre et lumière

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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