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Un Vestibule pour la cité Saint-François

Lancé en 2006, le projet artistique « Vestibule » s’inscrit dans le cadre de la revitalisation de l’espace public de la cité Saint-François àSaint-Josse.

16-01-2009 Alter Échos n° 265

Lancé en 2006, le projet artistique « Vestibule » s’inscrit dans le cadre de la revitalisation de l’espace public de la cité Saint-François àSaint-Josse.

Malgré le froid, un ciel plombé et une légère bruine, une cinquantaine de personnes étaient présentes pour assister à l’inauguration du projet du101e % artistique « Vestibule, l’invention d’un lieu collectif » soutenu par la SLRB (Société de logement de la Région deBruxelles-Capitale)1. Les douze plaques émaillées (50 x 50 cm) représentant des portraits de groupe sur fond jaune étaient autant de rayons de soleil quicombattaient le temps maussade. Elles ont été incrustées dans les nouvelles colonnes installées dans la cour intérieure de la cité Saint-François desHBM de Saint-Josse. Située à deux pas du Botanique, on y accède par la rue Saint-François, qui descend de la rue Royale vers la gare du nord. Tour à tour, ladirectrice des HBM, le bourgmestre de Saint-Josse, la ministre bruxelloise du logement, Françoise Dupuis, et l’artiste Arnaud Théval ont pris la parole pour évoquer ceréaménagement et cette installation artistique. Françoise Dupuis (PS)2 a rappelé que « l’art est trop souvent considéré comme unproduit élitiste. Avec le 101e % artistique, il a été demandé aux artistes de mettre en œuvre une méthodologie pour concevoir des projets endialoguant avec les habitants. »

Avant

Avant, quand on pénétrait dans la cour intérieure de la cité, on éprouvait un sentiment d’oppression. En venant de la rue Saint-François, une ruelleconduit à un cul-de-sac. Une sorte d’arrière-cour qui sert de parking. De part et d’autre d’un immeuble de huit étages, des grilles fermentl’espace. Des constructions d’architecture différente renvoient à des époques différentes.

Pour tous ces projets, Arnaud Théval, artiste nantais, travaille en immersion. Cela lui permet de mieux percevoir les réalités sociale, économique ou encoreurbanistique d’un lieu. « Ce qui est marquant ici, hormis la hauteur de l’immeuble de huit étages au milieu des autres de hauteur plus modeste, c’est que peu de murssont aveugles et que toutes les constructions donnant sur cette arrière-cour ont des ouvertures. À l’exception d’un bâtiment public qui offre une façade noire,décrépie et austère – celui de la piscine communale. Les grilles dégagent beaucoup de violence. » Ces ouvertures donnent l’impression de pouvoirêtre vu, de l’existence d’un contrôle social exercé par les habitants. Pour l’artiste, la cour intérieure joue un rôle de « vestibuleavant l’appartement ». L’artiste y a vu une espèce d’endroit non-appropriable mais, en même temps, très contrôlé. Pas seulement par les habitantsmais aussi par différents intervenants, comme le personnel d’entretien, les techniciens, le personnel de sécurité ou encore des associations de quartier.

Après

Aujourd’hui, le lieu n’a plus rien à voir avec ce qui existait avant. En plus de l’intervention artistique, l’espace a fait l’objet du réaménagementprévu. Le lieu a été « reprivatisé », le stationnement n’est désormais plus possible et l’espace a été rendu auxpiétons. La pelouse devant l’immeuble de huit étages a été étendue jusqu’au mur de la piscine communale, qui a été rénové,renvoyant à l’oubli la façade noire et austère. Un large escalier a pris place devant l’immeuble. L’espace est désormais plus dégagé, plusaéré. Même les lourdes grilles se sont muées en un grillage plus discret, quasi-esthétique. Des arbres ont également été plantés dans lecadre de la verdurisation du site. Dans le même temps, des colonnes ont été placées pour casser la verticalité du bâtiment. Arnaud Théval les autilisées pour y placer des photos d’habitants et d’acteurs qui ont participé aux discussions autour de l’aménagement de cet espace.

Le processus

L’artiste a découpé son projet en deux temps. « La démarche première fut le questionnement, la participation active à l’évolution de laperception de l’espace. Ceci s’est fait en travaillant sur les liens complexes entre l’appropriation de la cour par des groupes différents qui occupent/passent/vivent ouinteragissent dans la cour et la dimension collective de celle-ci », explique-t-il. Des rencontres formelles ou informelles, il a tiré des photos de groupe ou d’ensemble depersonnes dont il a flouté les visages. Pour Arnaud Théval, « le fait de faire des photos, produire des images et en parler, change la perception du lieu. Ces photos prisesont été « rendues » aux personnes présentes sur les photos (création d’un échange). Cette démarche génère de nouveaux projets : uneassociation de quartier va réaliser une vidéo pour faire exister le lieu au travers des occupants. Chaque personne/groupe prend conscience qu’il occupe le lieu, qu’il estici chez lui, mais qu’il n’est pas le seul à y être. »

La seconde phase du processus a consisté en un travail de photo-montage. « Les collages et les recompositions de scènes de groupe sont des images fonctionnant comme desblasons ou des images mémoire appartenant à l’histoire d’un groupe. Des scènes transformées : des poses caricaturales de violences urbaines ontété modifiées en danse urbaine, la femme de ménage est sur un socle, une scène sculpturale avec vélos… Toute marque est retirée,l’utilisation de symboles existants est accentué : le tag « 1210 », par ailleurs code postal de Saint-Josse, est mis en évidence sur une image comme pourl’officialiser. »

D’autres éléments renvoient encore à la « mémoire » : le format et la couleur des plaques émaillées rappellentdélibérément les post-it, la création d’un vide dans chaque image suscite un questionnement et invite à se souvenir… Dans le même esprit,l’artiste a réalisé des magnets reproduisant les plaques émaillées et qui ont été offerts en souvenir aux habitants, aux intervenants, aux gens duquartier. « C’est aussi une façon de s’approprier une œuvre, souligne Arnaud Théval en souriant. On peut la placer sur son frigo… comme un post-it. L’artpasse ainsi de l’espace public à l’espace privé. »

Le 101e % artistique

Le 101e % artistique s’ins
crit dans une démarche de réinvestissement dans le secteur du logement social. L’introduction dans les cités socialesd’aménagements intégrant une démarche artistique vise, d’une part, à varier le type d’investissements opérés et, d’autre part,à rendre les logements sociaux plus désirables et à mobiliser les habitants autour de projets de qualité.

Dans le cadre du 101e %, tout le monde est impliqué. Toutefois, l’artiste est le garant final de la qualité artistique de l’œuvre. Pas question detransformer les locataires sociaux en artistes. Toutefois, l’artiste est tenu – contractuellement – de les intégrer dans la réflexion. L’artiste doitégalement prendre en compte le contexte social, économique et l’environnement urbanistique.

La durée de l’œuvre est fixée à dix ans. Le but est qu’au terme de ce délai, une nouvelle réflexion soit élaborée. Rienn’étant intangible, il n’est pas question de demander à des locataires sociaux d’assumer une esthétique ou des images endossées par des locataires quiont déménagé depuis. Cela permet également aux nouveaux locataires de bénéficier d’une rencontre artistique et, surtout, d’éviter qued’éventuels nouveaux budgets 101e % artistique n’aient pour seul objet l’entretien des œuvres précédentes.

La sélection des projets est constituée de différentes étapes. La société de logement introduit une demande d’intervention artistique pour un site.La cellule 101e % artistique de la SLRB examine la demande, se rend sur les lieux, rencontre les locataires pour mieux la cerner. Elle la soumet ensuite à un comitéd’experts composé de représentants du monde des arts (historiens de l’art, critiques, urbanistes, architectes), mais aussi du secteur du logement social (sociologues,économistes, assistants sociaux). Une fois la demande acceptée, la cellule du 101e % artistique lance un marché public en vue de sélectionner un artistesusceptible d’intervenir sur le site. L’artiste doit réaliser un avant-projet en se rendant sur le site, en rencontrant les habitants et le personnel de la société delogement. La proposition de l’artiste est ensuite soumise au comité d’experts. En cas d’accord, une convention est signée en vue de la réalisation duprojet.

Financièrement, le système consiste à investir dans des projets artistiques l’équivalent de 1 % du budget du programme quadriennal d’investissement dulogement social. L’enjeu de l’initiative est de recréer du lien social, de permettre aux habitants d’être fiers de leurs logements, même s’ils sont sociaux. Lefait d’avoir baptisé ce dispositif le pour cent artistique en 101e % artistique confirme cette volonté d’apporter une plus-value aux logements sociaux. Car il s’agitbien d’un plus qu’on apporte à ceux-ci.

1. Cellule 101e % artistique, SLRB :
– adresse : rue Jourdan, 45-55 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 533 19 34
-courriel : 101e@slrb.irisnet.be
2. Cabinet de Françoise Dupuis :
– adresse : bd du Régent, 21-23 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 506 33 11
– site : www.francoisedupuis.be

Baudouin Massart

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