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Un séminaire du CEF interroge la MOC et évoque le Processus de Bruges-Copenhague

La MOC, la méthode ouverte de coordination, qui constitue la pierre angulaire du nouveau mode de « gouvernance » européen, a fait l’objet d’unséminaire organisé par le Conseil de l’éducation et de la formation1, le vendredi 26 septembre (suite à l’avis 82 paru en juin dernier). «L’approche intégrée de l’éducation et de la formation » initiée au travers de la stratégie de Lisbonne est, avec la politique de l’emploi,un des terrains privilégiés d’application de la MOC. L’occasion de refaire le point sur le processus de Bruges – Copenhague qui depuis novembre 2001 met en place lesconditions d’une plus grande intégration des systèmes de formation et d’enseignement professionnels des pays européens.

28-07-2005 Alter Échos n° 151

La MOC, la méthode ouverte de coordination, qui constitue la pierre angulaire du nouveau mode de « gouvernance » européen, a fait l’objet d’unséminaire organisé par le Conseil de l’éducation et de la formation1, le vendredi 26 septembre (suite à l’avis 82 paru en juin dernier). «L’approche intégrée de l’éducation et de la formation » initiée au travers de la stratégie de Lisbonne est, avec la politique de l’emploi,un des terrains privilégiés d’application de la MOC. L’occasion de refaire le point sur le processus de Bruges – Copenhague qui depuis novembre 2001 met en place lesconditions d’une plus grande intégration des systèmes de formation et d’enseignement professionnels des pays européens.

Comme l’ont rappelé dans leurs exposés introductifs le secrétaire général de la Communauté, Henry Ingberg et Yves Van Haverbeke, le présidentde la chambre enseignement du CEF, juridiquement, la marge de manœuvre de l’Union européenne en matière éducative et formative est délimitée par lesarticles 149 et 150 du traité de Maastricht conclu en 1992. Grosso modo, l’action européenne est subsidiaire : elle ne peut venir que compléter celle des Étatsmembres qui restent pleinement maîtres de leurs systèmes éducatifs et de formation.

La MOC

Mais depuis le milieu des années nonante et, surtout, depuis le Conseil européen de Lisbonne en 2000, l’Union européenne multiplie les initiatives dans les domaines dela formation mais aussi de l’éducation, dans le but de mettre ces secteurs au service des objectifs de croissance et de plein emploi qu’elle s’est assignée («devenir, d’ici 2010, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde »). Pour faciliter ces incursions dans des compétences quine sont pas européennes mais aussi pour accélérer leur processus décisionnel dans leurs domaines d’action, les instances européennes ont construit uneméthode ouverte de coordination (la MOC). Elle a été testée dès 1997 et la « stratégie pour l’emploi ». Il s’agit de définirde grandes lignes directrices sous forme d’objectifs à court, moyen et long terme, proposés par la Commission, entérinés par les États membres etpréparés par des experts ; et ensuite d’évaluer périodiquement le degré de réalisation de ces objectifs dans les politiques nationales en pointant les« bonnes pratiques » et produisant des recommandations pour les États.

Critiques

« A partir du moment où ce sont des experts qui déterminent, à travers des communications, les lignes de force des politiques, nous risquons de nous trouver faceà des normes sans avoir pu en débattre », souligne H. Ingberg. Le président d’Eunec (European network of education councils2), et par ailleursprésident du Vlor (Vlaamse Onderwijsraad3), Louis van Beneden, a quant à lui plaidé pour le respect de la diversité des systèmes éducatifs en Europe, faceà une interprétation instrumentale et réductrice des objectifs de l’enseignement. Selon lui, cette réduction passe par la méthode transversaleeuropéenne qui intègre formation, emploi, éducation, lutte contre l’exclusion… L’enseignement est en effet en tant que tel moins directement touché parles politiques européennes. C’est à sa périphérie que l’Union agit et l’influence fortement (le processus de Bruges, seule décision qui le toucheplus directement, ne concerne ainsi que la reconnaissance des qualifications de l’enseignement technique et professionnel, c’est-à-dire le « bout de la chaîne »).Mais l’autonomie formelle de l’enseignement qui semble ainsi préservée cache une perte d’autonomie réelle.

Formation et création d’emplois

Cette perspective critique a été prolongée par François Martou (président du Mouvement ouvrier chrétien), qui a dénié aux pratiquesd’évaluation, centrales dans la MOC, le statut de politique ; et au Conseil des ministres de l’Éducation (« un club sympa de formation »), le statut degouvernants. Bref, il n’y a pas de pilote politique réel dans la MOC. Un pilote qui, dans un but de croissance et donc de création d’emplois, ferait sortirl’éducation, l’emploi et la recherche du pacte de stabilité (les 3 % de déficit maximum). Ce manque de pilotage a également été pointé parM.-H Ska (service d’études de la CSC) à différents niveaux. Au niveau francophone belge, la récente commission de pilotage de l’enseignement se limiterait aupédagogique en négligeant la transformation structurelle d’un système inéquitable et inefficace. Au niveau européen, on proclame haut et fort « le droità la formation » à défaut de créer de l’emploi, d’investir dans la formation (aui reste perçue comme un coût) et de lever certainesincompatibilités pratiques (une seule journée de formation par personne est par exemple un leurre).

Spécificités Wallonie – Bruxelles

Le reste de la journée a permis de pointer, sous différents angles, les difficultés propres à la Belgique francophone pour faire face à ce mouvementeuropéen et à la dynamique de la MOC. Principalement, l’espace Wallonie-Bruxelles a du mal à coordonner les aspects éducatifs et formatifs, relevant de niveaux depouvoir différents (Communauté et Régions). La CSC plaide à cet égard pour une articulation en termes de projets et non d’institutions. Devant « notreabsence de positions et de pratiques communes », Paul Simar (directeur du Forem Formation) s’est fait l’avocat d’un « consortium » qui permette de coordonner lespolitiques d’emploi et l’enseignement obligatoire. Marc Thommès, président de la chambre de formation du CEF et directeur général adjoint de BruxellesFormation, a rappelé à cette occasion que le processus européen initié à Bruges (relatif à la formation et à l’enseignement professionnels)n’avait pas été concerté avec la Communauté et la Cocof mais, au niveau belge entre les seules Régions flamande et wallonne…

Le président du Vlor a enfin souligné que malgré les dissensions passées, une culture du compromis peu claire, des difficultés d’organiser lacoopération et des cultures différentes (plus « anglo-saxonne », côté flamand), la Belgique gagnerait à de meilleures coordinations des points de vue duNord et du Sud. Ce qui commencerait à se mettre en place au vu des rencontres entre le CEF et le Vlor mais aussi entre les secrétaires généraux des deuxCommunautés.

Groupes de Bruges – Copenhague

Paul Simar du Forem a fait le point sur le processus de Bruges (initié selon les principes de la MOC), puisque c’est un expert du Forem qui a étédélégué pour la Wallonie (mais aussi pour… Bruxelles). Des groupes de travail ont en effet été mis en place pour concrétiser la Déclaration deCopenhague. Mais les questions qui y sont traitées interfèrent avec d’autres chantiers européens liés à Lisbonne, comme le « programme de travail» sur « les objectifs concrets futurs des systèmes d’éducation et de formation » adopté en février 2002. Les six groupes de Bruges ont dèslors dû notamment articuler leur travail avec celui des huit groupes du programme « objectifs ». Mais le problème se pose aussi avec les chantiers apprentissage tout au longde la vie, critères d’évaluation des « performances » des systèmes, « processus de Bologne » (pour l’enseignement supérieur),stratégie pour l’emploi, etc.

Face à cet écheveau, les groupes de Bruges – Copenhague ont proposé, en juillet dernier, dix objectifs transversaux sur lesquels se recentrer : transparence et information ;modularisation ; participation sectorielle à la qualification ; coordination nationale entre ministères (éducation et travail) et partenaires sociaux ; mesure del’efficacité et l’attrait de l’EFP, etc. C’est là que les pièces du puzzle de la stratégie européenne commencent à s’assembler,mais aussi à s’enfoncer dans une complexité de plus en plus difficile à saisir si ce n’est par les experts. C’est d’ailleurs auprès de ces derniersseulement qu’on peut obtenir quelques informations.
Dès ce mois d’octobre, la Commission devrait adopter « un cadre unique pour la transparence » dans l’EFT (intégrant le CV européen, l’Europassformation – un portfolio d’expériences de formation européennes -, le parcours européen de formation pour les langues…).

Mais le plus gros enjeu est celui de la reconnaissance des qualifications au niveau européen : à terme, on vise un système européen d’unités de courscapitalisables appliqués à l’EFP. Concrètement, toutes les formations seraient découpées en petites parties (et non plus en années) dontl’acquisition déboucherait sur un crédit transférable d’un pays à l’autre (à l’instar de l’European Credit Transfer System au niveauuniversitaire). Établir de tels dispositifs communs qui permettent la reconnaissance des acquis à travers tout le continent n’est pas anodin : pour y arriver, il fautdéfinir des objectifs éducatifs et des contenus de formation qui participent de logiques intégrées dans une vision unique de ce que doivent être l’enseignementet la formation. Ce qui aura nécessairement un impact sur le travail quotidien des enseignants et des formateurs, via la restructuration des programmes… que la Commission communautairedes professions et qualifications (CCPQ) vient pourtant de complètement chambouler en communauté française.

Tout ce processus est aux mains de groupes techniques qui, notons-le, ne sont pas constitués d’un expert par pays. Chaque pays délègue en effet un technicien quiparticipe à un seul groupe : la logique de « représentation » politique nationale fait donc place à celle de « compétence d’expert ». Est-ceà dire que les États se voient imposer une ligne contre leur gré ? Bien avant Bruges – Copenhague, une initiative visant la « professionnalisation durable » avaitété lancée par la France en 2001 et suivie par quatre autres pays européens dont la Belgique. En sont sortis, en février 2002, une « méthode pour laconstruction de maquettes de diplômes professionnels » et deux diplômes professionnels européens (bac +2) : hôtelier et « technicien en logistique ».D’autres sont en chantier comme « technicien en tourisme ». Le processus de Bruges – Copenhague encourage d’ailleurs explicitement « partenariats et autres initiativestransnationales ». Comme l’a expliqué le président du Vlor et d’Eunec, « chaque État chérit officiellement son autonomie face àl’Europe qui sert en fait d’alibi à des orientations prises par les États ».

Processus de Bruges4

Pour rappel, en novembre 2002, les pays de l’Union (entre autres) ont signé la Déclaration de Copenhague qui jette les bases d’une harmonisation de l’enseignementet de la formation professionnels (EFT). Cette déclaration est issue d’un processus lancé à Bruges, en novembre 2001, visant à définir la contribution del’EFT à la « stratégie » définie au sommet de Lisbonne en 2000 : faire de l’Union « l’économie de la connaissance la pluscompétitive et la plus dynamique au monde ». Les quatre axes d’action de Copenhague sont la transparence des systèmes d’EFT, la reconnaissance mutuelle desqualifications, le renforcement de la qualité et, enfin « plus d’Europe » dans l’EFT. Un premier rapport intermédiaire d’évaluation estprévu, en 2004, au moment même où l’Union fera le point sur « Lisbonne ».

1. CEF, boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles – tél. : 02 413 26 21 – site web : http://www.cfwb.be/cef/

2. Eunec – site web : http://www.eunec.org/
3. Vlor site web : http://www.vlor.be/
4. Voir : <<a href=’http://europa.eu.int/comm/ education/index_fr.html’ target=’_blank’ class=’texte’>http://europa.eu.int/comm/ education/index_fr.html>.

Donat Carlier

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