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Regard critique · Justice sociale

Social Décalé

Un métier à tout fer

Les ferrailleurs, on les entend mais on ne les voit pas vraiment. Pionniers du recyclage, leur activité est salutaire pour notre société. Elle est également soumise aux aléas du marché international, qui fixe les règles du jeu. 

Claire Lengrand 03-12-2025 Alter Échos n° 526
(c) Vinnie Cartabiano, CC BY 2.0 , via Wikimedia Commons

Un matin, dans un village namurois, une camionnette roule au pas. Soudain, une voix féminine vocifère via des haut-parleurs: «Allô, allô, les ménagères. Ici, le marchand de fer. Profitez de mon passage. Je vous débarrasse. Vieux fers, vieux cuivres, vieux zincs. Vieilles motos, vieilles machines à laver, vieux vélos, vieilles voitures…» Cet air familier, un brin rétrograde, c’est un peu l’hymne de nos campagnes. C’est, surtout, l’appel des ferrailleurs.

Mais qui sont ces «récupérateurs» de métaux et d’encombrants? Entre tradition et débrouille, cette activité aux origines lointaines recouvre plusieurs facettes. Il y a ceux qui exercent ce métier officiellement, comme indépendants. D’autres font ça de manière informelle, notamment pour compléter les fins de mois. Pour cette raison, la ferraille est un monde complexe et secret, car flirtant avec la frontière de l’illégalité. «Vous savez, on ne fait pas ça pour s’amuser», rétorque Marco[1] par téléphone, signalant son refus de témoigner. Plusieurs autres personnes ont décliné l’invitation, craignant d’éventuelles représailles ou préférant, simplement, rester loin des lumières.

Faire la ferraille, ça s’apprend

«Moi, je suis fier d’être ferrailleur!», revendique quant à lui Michel, alias «Pépère», 61 ans au compteur. Originaire d’Yves-Gomezée, il a appris les ficelles du métier dès l’âge de 8 ans avec le beau-père de sa sœur, un «ferrailleur-forain». «Il faisait des frites sur les foires en été et les mitrailles durant l’hiver. J’étais tout le temps avec lui», se souvient-il avec une certaine nostalgie. Depuis, Pépère n’a jamais arrêté. À 30 ans, il a commencé à faire les brocantes en plus de la ferraille. Toute sa vie, il l’a passée à sillonner les routes à bord de sa camionnette, à ramasser des choses, à stocker et à revendre. «Je fais ça parce que j’aime bien discuter avec les gens», explique-t-il. Bien qu’avec la ferraille, il précise, la concurrence est rude.

Qu’on se le dise, «faire la mitraille», ça ne s’invente pas. Cela requiert un savoir-faire qui, encore aujourd’hui, se transmet souvent d’une génération à l’autre. Déjà, il faut (re)connaître et trier les métaux récupérés, ces derniers se classant en trois grandes catégories: la ferraille noire (fer, fonte et acier inoxydable), les métaux non ferreux (aluminium, cuivre, plomb, titane, etc.) et les déchets de métaux précieux (or, argent et platine). Moteurs électriques, vaisselle, roues de vélo, appareils électroménagers… ces matériaux se trouvent un peu partout. Ce qui implique de devoir démonter les différentes pièces afin d’extraire les éléments. Et là, à chaque ferrailleur, sa méthode. La recette de Pépère pour récupérer le cuivre des câbles blindés? «Je les coupe en morceaux de 30 centimètres, je les brûle et je tire sur les fils.» Quand il estime avoir assez de stock, Pépère se rend chez un grossiste (ou centre de regroupement) pour revendre le tout, en moyenne une ou deux fois par mois. «Je varie en fonction des tarifs, je vais toujours au moment où les prix sont les plus hauts.» Car chaque métal a sa valeur, fluctuant selon «les cours mondiaux, la qualité des matériaux, l’offre et la demande ainsi que les coûts logistiques et le contexte économique», indique Maartens Geerts, chargé de communication de Denuo, la fédération belge active dans le traitement et le recyclage des déchets. Il faut donc être à l’affût des bonnes affaires. En ce moment, ce qui rapporte bien selon Pépère, c’est l’étain: entre 17 et 19 euros du kilo. Mais encore faut-il veiller à sa pureté: «L’étain, il doit te parler, il craque. Sinon, c’en n’est pas, en tout cas pas entièrement.»

«C’est de plus en plus surveillé»

En 53 ans de carrière, Pépère a subi les évolutions du secteur. Pour lui, un événement a marqué un tournant dans l’histoire des ferrailleurs en Belgique: la création, en 1992, des parcs à conteneurs, rebaptisés «recyparks» en 2004. «Cela a tout foutu en l’air. Avant, on passait dans les rues à la criée. Les gens mettaient sur le bord des trottoirs et on ramassait. Maintenant, la plupart jette les mitrailles aux conteneurs», déplore-t-il. Il regrette aussi la «surveillance» de plus en plus accrue dont sa profession fait l’objet. Tout doit en effet être consigné dans un carnet de registre, dont les transactions.

En ce moment, ce qui rapporte bien selon Pépère, c’est l’étain : entre 17 et 19 euros du kilo. Mais encore faut-il veiller à sa pureté : «L’étain, il doit te parler, il craque. Sinon, c’en est pas, en tout cas pas entièrement.»

Depuis le 21 mars 2024, les paiements en espèces (auparavant limités à 500 euros) leur sont interdits en Belgique[2]. Cette décision, introduite à la demande de la police fédérale et de l’inspection économique afin de lutter contre les fraudes, a semé un vent de panique au sein de l’industrie belge du recyclage. Celle-ci craignait de voir fuir «une grande quantité de ferraille» vers les Pays-Bas, l’Allemagne et le Luxembourg où les paiements en cash restent autorisés. «La Belgique perd de précieuses matières premières et du pouvoir d’achat au profit des pays voisins[3]», dénonçait Stany Vaes, directeur général de Denuo.

Une économie circulaire lucrative

Qu’ils soient formels ou informels, les ferrailleurs nous délestent de nos déchets, nous rendant ainsi un fier service, et ce gratuitement. Ils sont aussi les premiers maillons d’une économie mondiale et lucrative, surfant sur la vague de la «transition circulaire». «En Belgique, 107 entreprises sont actives dans la récupération des métaux, représentant 1.462 travailleurs et un chiffre d’affaires de 2.561 millions d’euros», énonce Marteens Geerts. Une fois traitées et reconditionnées, «ces matières recyclées ont les mêmes propriétés que les métaux primaires, mais leur production consomme jusqu’à 90% d’énergie en moins et réduit considérablement les émissions de CO2», se félicite le chargé de communication.

«Moi aussi quand je mourrai, je veux être recyclé!», plaisante Pépère. L’homme, bien que pensionné, reste très actif. En mai 2023, il a ouvert avec son épouse, Sabine, un magasin de brocante à Couvin, le long de l’avenue principale. Les mitrailles, c’est plutôt son fils, Jo, qui s’en occupe désormais, comme indépendant à titre complémentaire. «Les tournées, je n’ai plus le temps d’en faire. Mais quand on arrêtera le magasin, je recommencerai!» annonce, infatigable, le (vieux) marchand de fer.

 

[1] Le prénom a été modifié.

[2] Le 21 mars 2024 marque la publication au Moniteur belge de la loi du 9 février 2024, qui a entraîné la fin du paiement en espèces par les ferrailleurs aux consommateurs pour les vieux métaux, effective depuis le 31 mars 2024.

[3] «La Belgique perd le commerce de la ferraille au profit des pays voisins en raison de l’interdiction de l’argent liquide», publié le 29/3/2024 sur le site internet de Denuo.

 

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