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Regard critique · Justice sociale

Site web "mister-antoine" : l’anonymat au service de la notoriété

Le 17 mai dernier est apparu sur le web un site entièrement dédié à la dénonciation des « dérives non démocratiques » du ministrewallon André Antoine (CDH). Au delà du sujet traité, cette initiative révèle la capacité des citoyens à inscrire les NTIC dans de véritablesstratégies de communication au service d’une cause. Et pose une série de questions.

29-05-2009 Alter Échos n° 274

Le 17 mai dernier est apparu sur le web un site entièrement dédié à la dénonciation des « dérives non démocratiques » dansl’action du ministre wallon du Logement, des Transports et du Développement territorial, André Antoine (CDH), durant la législature écoulée. Craignant desreprésailles, les auteurs du site ont fait le choix de l’anonymat. Au delà du sujet traité, l’initiative révèle la capacité des citoyens àinscrire les NTIC dans de véritables stratégies de communication au service d’une cause. Et pose une série de questions.

L’objectif du site www.mister-antoine.be est clair : « Toucher l’électorat potentiel du CDH enBrabant wallon et réduire l’assise électorale d’André Antoine pour qu’il ne soit plus en mesure d’être ministre », nous a expliquél’une des chevilles ouvrières du site, qui requiert l’anonymat. « C’est l’action du ministre de l’Aménagement du territoire que nous visons, pas lapersonne. Nous reconnaissons d’ailleurs qu’il fut, précédemment, plutôt un bon parlementaire », nous a-t-elle confirmé. C’est donc la fonction etles choix politiques de la personne qui l’a incarnée qui sont visés.

Ce qui lui est reproché ? Treize « dérapages » qui témoigneraient d’une pratique peu transparente de l’exercice du pouvoir, d’une gestion au caspar cas de certains domaines, de limitations des possibilités de critiques, etc. Le tout présenté comme constitutif d’un risque sérieux de dérivedémocratique.

Ce qui frappe lorsqu’on consulte ce site, c’est sa forme, très soignée, et le fond, très documenté. Mais comment caractériser pareille initiative,dans la mesure où elle ne s’adosse à aucune organisation structurée (dixit le site) ?

Investigation journalistique ?

Impossible d’interpréter l’initiative comme révélatrice d’un quelconque manquement de la presse traditionnelle, manquement dont ne se revendiquentd’ailleurs pas les initiateurs du site. Les informations produites sur le site – contributions ou relectures d’une dizaine de « techniciens de l’aménagement duterritoire, de la mobilité, de l’énergie et du logement » – sont d’ailleurs abondamment étayées par des communiqués de presse officiels etpar des articles de presse. Mais l’ampleur et le caractère quasi systématique du travail de bilan, bien qu’unilatéral, frappent.

Néanmoins, « on reste peut-être dans un travail différent d’une véritable investigation journalistique », explique Marc Lits, professeur et directeurde l’Observatoire du récit médiatique1 à l’UCL, que nous avons sollicité. Pour deux raisons : « d’abord, l’investigationprésentée sur ce site est exclusivement « à charge », il n’y a pas de balance : la parole n’est pas donnée au ministre visé ; ensuite, l’anonymat,inhabituel même dans le cadre d’une information alternative ou militante. »

Débat contradictoire ?

Entre-temps, mister-antoine a invité le ministre Antoine à réagir sur le fond, directement sur le site, sans obtenir de réponse à ce jour. « On nedialogue pas avec un corbeau !, rétorque-t-on au service de presse d’André Antoine2. Lorsque nous avons eu un différend avec Inter-Environnement Wallonieà propos de son subventionnement par notre département, ça a eu un écho dans les médias : c’était clair et net, tout le monde savait qui parlait età partir de quel point de vue. Comment savoir, ici, s’il s’agit de fonctionnaires ou d’une initiative politique ? »

Selon Marc Lits, « pour qu’un débat contradictoire ait lieu, il faut connaître son interlocuteur et que les auditeurs identifient le récepteur etl’émetteur. Le site mister-antoine ne ressemble pas à un blog délirant d’un anti-politique, sa structuration lui donne de la crédibilitéet ses auteurs assurent que, par leurs fonctions, ils maîtrisent le sujet, qu’ils le connaissent de l’intérieur. Le problème c’est que les internautesn’ont pas les moyens de vérifier cela. »

Contournement des résistances du système ?

Sur le site, on peut lire que le recours à l’anonymat est un choix contraint : « C’est contraire à notre souci de transparence. Néanmoins, desprécédents vécus par du personnel de l’administration, d’universités ou d’opérateurs nous incitent à la prudence. » Une véritable mise enabîme : recourir à l’anonymat pour dénoncer des pratiques d’intimidation qui incitent à l’anonymat. Bulle paranoïaque ou signe d’unvéritable problème ? Il y a certes des précédents dans le petit monde de l’aménagement du territoire en Wallonie…

Déjà en 2005, le (trop) peu célèbre Omer Bayard, enquêteur virtuel des arcanes de l’aménagement du territoire wallon, dont les aventureshumoristiques avaient débuté quelques années plus tôt et étaient adressées par courrier électronique à un cercle d’initiés, avaitété « suicidé » par son auteur3. Cet effacement faisait suite à « des menaces (nullement fictives celles-là) contre l’auteur des historiettes,dont le poste de travail et ceux de ses collègues universitaires dépendent des conventions signées avec le gouvernement », d’après Le Vif/l’Express du25 février 2005.

Plus récemment, en septembre 2008, un site a été mis en ligne durant quelques jours pour offrir la possibilité de manifester sa sympathie à l’égard deMadame Sarlet, suite à sa non-reconduction à la tête de la direction générale opérationnelle (DGO) n°4 du Service public wallon (SPW)4malgré la réussite de l’examen du Selor. L’initiative a été prolongée par une pétition contre le caractère particratique de la nominationdes hauts fonctionnaires, adressée au parlement wallon par des fonctionnaires de la DGO n°4 requérant eux aussi l’anonymat.

Bien qu’elle se distingue de ces précédentes initiatives (fût-ce par le ton ou la finalité), la sortie de mister-antoine s’inscrit dans une histoiretumultueuse et un climat devenu délétère au sein du monde politico-technique de l’Aménagement du territoire en Wallonie. Comme si l’action des partisd’opposition et des associations critiques ne suffi
sait plus à susciter un débat public ou à peser sur certains choix politiques.

Ou guérilla médiatique ?

Un autre élément marquant de cette initiative réside dans la véritable stratégie de communication qui préside à son apparition. Les initiateurs demister-antoine ont obtenu dans Le Vif un écho médiatique le jour même du lancement de leur site.

Un autre exemple récent illustre l’usage stratégique que peuvent faire des citoyens de leur accessibilité aux médias traditionnels. Militant très actif ducomité de quartier du Midi, à Bruxelles, Gwenaël Breës a obtenu l’exclusivité du journal Le Soir pour présenter la sortie de son livreconsacré à la saga de la rénovation des abords de la gare du Midi. Pas plus que dans le cas wallon le moment choisi ne doit quoi que ce soit au hasard : à une oudeux encablures du 7 juin, les deux sorties espèrent peser dans le débat électoral en ciblant les responsabilités de mandataires sortants et candidats à leur propresuccession.

Quel impact ?

Une récente étude internationale sur la mobilisation politique et les NTIC montre, à propos d’une expérience de mobilisation par une association environnementale(fictive) « qu’internet s’avérait plus performant que l’exposition face-à-face lorsqu’il s’agissait de transmettre certaines connaissances etattitudes, et moins performant lorsqu’il s’agissait de stimuler les gens à participer effectivement. (…) Internet peut contribuer à générer lesconnaissances et attitudes utiles ou nécessaires afin de passer à l’action, mais est moins apte pour la mobilisation même. »5

Marc Lits estime aussi que l’initiative du site mister-antoine, en elle-même, devrait avoir peu d’impact direct sur les comportements : « Il est peu probable quel’électorat CDH de Perwez change d’avis tout d’un coup. » Par contre, les effets indirects peuvent être redoutables : « Si, en creusant certains dossiersprésentés sur le site, des journalistes avaient trouvé matière à dénoncer un éventuel scandale, ajoute-t-il, dans le climat anti-politiqueactuel, ce ne serait pas bon en termes d’image pour le ministre. » Peut-être une des raisons, outre le caractère diffamatoire et l’appel à la délation qu’il yvoit, qui ont poussé le ministre Antoine à déposer plainte contre X.

1. Marc Lits, directeur, Observatoire du récit médiatique, ruelle de la Lanterne magique, 14 à 1348 Louvain-la-Neuve – tél. : 010 47 27 67 – courriel :lits@reci.ucl.ac.be – site : http://www.comu.ucl.ac.be/ORM/
2. Cabinet du ministre André Antoine :
– adresse : rue d’Harscamp, 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 38 11
– courriel : andre.antoine@gov.wallonie.be
– site : www.min-antoine.be
3. Une ré-édition posthume de ses aventures est disponible sur :
http://omerbayard.be/index.html
4. En charge de l’Aménagement du territoire, du Logement, du Patrimoine et de l’Énergie.
5. La mobilisation politique et les nouvelles technologies de communication : une étude à divers niveaux sur la fracture numérique, rapport final, volet «synthèse de recherche », p. 7, Politique scientifique fédérale, 06/03/09
http://www.belspo.be/belspo/fedra/proj.asp?l=fr&COD=TA/00/09

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