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Regard critique · Justice sociale

Festivals

Festivals: engagés pour mieux régner?

Faut-il être engagé pour prétendre au titre de festival de l’été ? D’Esperanzah ! aux Solidarités, de nombreux événements musicaux se veulent aussi porteurs d’un projet de société. Entre discours et pratiques, chacun cherche son tempo.

Gaetano Dewygaert CC BY-NC-ND 2.0

Faut-il être engagé pour prétendre au titre de festival de l’été? D’Esperanzah! aux Solidarités, de nombreux événements musicaux se veulent aussi porteurs d’un projet de société. Entre discours et pratiques, chacun cherche son tempo.

Bien sûr, il reste la grand-messe de Werchter, l’incontournable Dour, le fringant Pukkelpop et les Ardentes qui, à force de s’enflammer, ont perdu quelques ambitions vertes dans la bataille. Mais du vétéran Esperanzah! jusqu’aux plus modestes Microfestival et Tempo Color liégeois, en passant par le pluridisciplinaire LaSemo et le mastodonte des Solidarités, de plus en plus de festivals se veulent aussi porteurs d’idées progressistes, écologistes et solidaires. Pionnier sur ce créneau «altermondialiste» comme on disait alors, Esperanzah! accueille depuis 2001 à l’abbaye de Floreffe une line-up «musique du monde» qui attire quelque 36.000 festivaliers. «On a toujours considéré qu’Esperanzah!, c’était prendre l’art et la culture comme vecteur de transformation sociale et non pas nécessairement comme une fin en soi», explique Jérôme Van Ruychevelt, responsable action associative et campagne de sensibilisation du festival. «Les artistes que nous programmons portent un message, pas nécessairement dans leur discours, mais parfois par leur parcours, leur identité.»

«L’équipe s’est montrée avant-gardiste mais, dans la suite de l’histoire, c’est aussi la fanbase d’Esperanzah! qui a poussé pour qu’on aille plus loin.» Jérôme Van Ruychevelt, responsable action associative et campagne de sensibilisation du festival

Entre tri des déchets et locavorisme, le festival se distingue par des pratiques au plus près de ses préoccupations politiques, en incitant par exemple ses commerçants à se fournir en viandes, fruits et légumes auprès de la coopérative voisine «Paysans et artisans». «Si nous avons très peu de sponsors qui viennent du privé, c’est justement parce que les grilles de sélection sont très étroites. Le principe, c’est de faire analyser le potentiel sponsor sur quatre critères: l’exploitation de l’environnement, l’exploitation du travailleur, l’externalité négative de la production et les finances – pratiques d’évasion ou d’optimisation fiscale. Vous imaginez bien qu’à la fin, il ne reste plus grand monde…» La SNCB, Materne, la Mutualité chrétienne ou encore la Fnac restent en lice. Présent à ses débuts, Coca-Cola a pour sa part été évincé après trois rounds. «L’équipe s’est montrée avant-gardiste mais, dans la suite de l’histoire, c’est aussi la fanbase d’Esperanzah! qui a poussé pour qu’on aille plus loin. Il y a eu une sorte d’avancement organique qui explique qu’on soit devenu de plus en plus exigeant.» Il y a quelques années, Win for Life, considéré comme un partenaire en partie «public» et donc acceptable, s’est ainsi fait chahuter par des festivaliers, mécontents qu’on puisse faire miroiter le gros lot à des «articles 27» (dispositif permettant à des bénéficiaires sociaux de payer l’entrée au tarif de 5 euros). Las, le stand a finalement plié bagage avant la fin du festival. «Esperanzah! possède des anticorps en son sein», se réjouit Jérôme Van Ruychevelt.

Solidaire versus populaire?

Depuis cinq ans, «Les Solidarités», festival namurois initié par la mutualité Solidaris s’est lui aussi imposé dans l’agenda estival, avec quelque 49.000 visiteurs sur deux jours. «Les Mutualités chrétiennes ont investi massivement dans le sport et c’est très bien. Nous, avec ce festival, on fait le pari de la culture. Notre conviction, c’est que la culture est un vecteur de vivre-ensemble et de diminution des inégalités. Et que le bien-être, c’est aussi la santé mentale», explique Martin Wauthy, directeur du festival. Avec un pass de deux jours à 45 euros et l’entrée gratuite pour tous les moins de 12 ans, les tarifs sont imbattables. «Là où d’autres festivals surfent sur le ratio un adulte égale un enfant, nous avons voulu cette mesure pour favoriser l’accès des familles monoparentales – et donc essentiellement des mères célibataires – au festival.»

«On n’est pas là pour convaincre les écologistes qu’ils ont raison d’être écologistes.» Martin Wauthy, directeur du festival Les Solidarités

Julien Clerc, Coca-Cola et Jupiler: Les Solidarités assument plutôt deux fois qu’une leur étiquette mainstream. «Les festivals comme Esparanzah! font un travail formidable mais leur public est relativement ‘typé’. Nous, on se prévaut d’une véritable diversité: 50% de notre public n’était jamais venu à un festival avant», commente Martin Wauthy. Une fois dans l’arène, les primo-festivaliers pourront être sensibilisés comme il se doit aux grandes questions de société. «En tout cas, on n’est pas là pour convaincre les écologistes qu’ils ont raison d’être écologistes», ironise le directeur qui fustige un certain «élitisme de gauche contre-productif.» «On assume de servir du Coca mais, en revanche, la visibilité de ces partenaires est bien moins importante que dans les autres grands festivals. Par contre, si on a envie de projeter un spot d’Amnesty International devant 10.000 personnes, on ne va pas se priver. Pour nous, l’important est de pouvoir diffuser au maximum des idées positives et bienveillantes parce que nous sommes dans une période où les idées qui se propagent sont des idées de rejet, d’exclusion… des idées de merde.» Cette année, l’accent sera mis sur l’égalité hommes-femmes – avec une affiche presque paritaire (45% d’artistes féminines) – et la justice migratoire, avec une installation artistique qui prendra ses quartiers dans le tunnel de 120 mètres sous la citadelle de Namur afin de proposer une réflexion sur le sort des migrants. «Quand on accueille Calogero et qu’il chante un morceau qui évoque l’homosexualité, c’est pareil: on espère que, dans le public, quelqu’un aura peut-être changé d’avis sur la question», commente Martin Wauthy.

Né en 2008 sur la base du double constat de la débauche de moyens mobilisés par les festivals et l’image tristounette collant au développement durable, le festival LaSemo a quant à lui fait le pari d’une diversité disciplinaire – musique mais aussi théâtre, contes, gastronomie, bien-être… – et générationnel. «Nous avons aussi bien des enfants que des personnes âgées. C’est en variant les formes et les plaisirs que nous exprimons notre engagement», explique son directeur, Samuel Chappel. Précurseur en matière environnementale – «nous étions les premiers à proposer les toilettes sèches et les gobelets réutilisables» –, le festival enghiennois souhaite lui aussi aller chercher des «non-convaincus», tout en reconnaissant la difficulté de la chose. «Une bonne partie du public est déjà engagée. Mais d’autres viennent aussi par le bouche-à-oreille et reviennent parce qu’ils trouvent le projet sincère», estime Samuel Chappel.

À votre bon cœur…

Dans ces festivals, la volonté de faire bouger les lignes se traduit également par une forte présence associative. «Dans un contexte où on met les gens dans une certaine émotion, on peut aussi leur parler de la société de manière plus générale», estime Jérôme Van Ruychevelt. Chez Esperanzah!, le festival est en réalité le point d’orgue d’une réflexion thématique menée tout au long de l’année par les collectifs du «Village des possibles». En 2018, c’est «le déclin de l’empire du mâle» qui sera mis à l’honneur et interrogera notamment les pratiques de genre au sein des milieux associatifs et militants. Le recrutement de nouveaux donateurs par de plus grosses associations comme Amnesty International, Médecins du monde, Greenpeace ou le CNCD-11.11.11 est également pratiqué à Esperanzah!, mais encadré. «Nous considérons que ces associations sont capitales dans le mouvement social et nous acceptons donc leur démarche de récolte de dons mais pas n’importe comment. D’abord, nous ne démultiplions pas le nombre d’acteurs. Ensuite, elles doivent toujours proposer une animation, un dialogue. Enfin, elles restent dans l’espace qui leur est imparti: il ne s’agit pas d’envoyer des mercenaires partout dans le festival», commente Jérôme Van Ruychevelt.

«C’est en variant les formes et les plaisirs que nous exprimons notre engagement», Samuel Chappel, directeur de LaSemo

Du côté des Solidarités, si les associations sont présentes, la consigne est plus unilatérale: «Il est totalement interdit de susciter le moindre acte d’achat sur le site», affirme Martin Wauthy. Au pire, on s’inscrira à une infolettre ou on promettra de reprendre contact. À noter que, si les ONG reviennent chaque année, c’est sans doute qu’il existe bel et bien un bénéfice en bout de course. «Si vous avez parlé une fois avec un bénévole au festival et que vous recroisez cette association à l’entrée d’un magasin pendant l’année, il y a plus de chances que vous vous arrêtiez», analyse le directeur. À LaSemo, la ligne de conduite est intermédiaire: «On demande aux associations de ne pas aller réclamer des dons ou chercher de nouveaux membres de manière proactive. Mais si des festivaliers demandent d’eux-mêmes pour faire un don, alors là…» Couplée à quelques bières, la musique, si elle n’adoucit pas toujours les mœurs, a parfois tendance à accroître les bonnes intentions: autant ferrer le poisson…

Julie Luong

Julie Luong

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