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Regard critique · Justice sociale

Social Bistrot

« Service après-vente, bonjour ! »

Improviser une «performance» dans l’espace public en glanant des impressions parfois défouloirs sur l’un des corps intermédiaires épinglés dans le dossier de cette édition? Tel est le pari stimulant et frigorifiant que la brigade Social Mic Mac a relevé pour vous transporter, l’espace d’une poignée d’heures, dans le hall d’entrée d’un syndicat.

© Olivia Sautreuil

Jeudi, tôt le matin, Bruxelles est noyée dans la brume. Dans la rue, des fracas de métal, des corneilles qui croassent et une toux sèche viennent ponctuer le silence. Comme un avant-goût de fin du monde.

Rendez-vous devant une antenne de la FGTB avec mon acolyte illustratrice Olivia. Objectif: la salle d’attente de ce syndicat incontournable pour capter l’ambiance et les humeurs de ses affiliés.

Pleines d’entrain, nous nous présentons au guichet de filtrage à l’accueil, admirant au passage le choix de Pantone plutôt rieur des boîtes à cartes de pointage, ainsi qu’une affiche présentant une pétition fédératrice pour le commun des mortels: «La vie est chère, il faut de meilleurs salaires.»

L’aimable monsieur à l’accueil calme directement nos ardeurs: même pour une simple chronique comme la nôtre, il faut l’autorisation de la direction pour entrer dans la salle d’attente.

Ah. Oui bon, on aurait pu s’en douter, ce n’est pas un moulin, la FGTB, à plus forte raison vu les circonstances.

Qu’à cela ne tienne, le monsieur nous invite à rester dans l’entrée, mais à l’extérieur, car il s’agit là d’un espace public, ouvert sans condition.

Chouette alors. Peu équipées face à la rigueur hivernale prolongée, nous saisissons toutefois la perche et nous nous lançons dans une observation de plus en plus participante au cœur du ballet d’entrées et sorties dans le lieu.

Premier constat: la FGTB est bel et bien là, malgré la situation sanitaire, elle maintient vaille que vaille un contact physique avec ses membres. Et ces membres défilent.

Devant la porte d’entrée, nous court-circuitons sans le vouloir la fluidité des mouvements.

Les arrivant(e)s s’interrogent sur notre présence:

«Est-ce que vous faites la file?»

Deuxième constat: certaines personnes sont donc prêtes à faire la file dehors s’il le faut.

Autre entrave majeure à la circulation: la porte. Elle est rude à ouvrir. Un homme me demande s’il faut sonner. D’autres comprennent intuitivement qu’il faut un peu brusquer les choses en décochant un bon coup de pied dans le bas du châssis.

© Olivia Sautreuil

S’il vous plaît, dessinez-moi un syndicat

Notre première interlocutrice est venue là chercher un document «pour avoir une aide du CPAS, car juste avec le chômage j’y arrive pas».

Est-elle satisfaite du service?

«Franchement? Là maintenant je viens de voir qu’ils m’ont mis 13 jours de vacances alors que je n’en avais que sept. Du coup, je n’ai touché que 700 euros et j’ai trois personnes à charge. Donc c’est très dur pour moi.»

Et sinon, le rôle de lutte du syndicat pour la défense des droits?

«C’est pas sur eux que je compte pour faire la révolution. Il faut compter sur soi-même.

Ils ne demandent que des papiers ici. Si vous n’avez pas les papiers qu’ils vous demandent, y a rien qui avance. Donc en fait le syndicat je ne sais pas à quoi il sert.»

Sur cette conclusion plutôt raide, j’alpague une autre dame venue finaliser un dossier de demande de complément de chômage. Elle est satisfaite: «Le service est très rapide. C’est fini là, le plus gros est fait.»

Qu’est-ce qu’un syndicat selon elle?

«Je suis Française, donc, pour moi, ce rôle de caisse de paiement pour les syndicats ici est bizarre, très exotique. Pour moi, un syndicat c’est la défense des salariés, être solidaire pour monter au créneau, pour négocier des salaires et des droits sociaux. C’est un choix, pas une obligation.»

Je mets le grappin sur un jeune homme qui porte un masque original avec écrit en toutes lettres: «Metteur en pièces».

Une manière d’annoncer son courroux?

«J’essaie d’avoir mes indemnités de chômage, je suis artiste. C’est un peu un casse-tête administratif. J’ai réussi à avoir mes indemnités de chômage et ensuite, j’ai travaillé quatre semaines de suite. Donc je ne suis plus au chômage pour l’instant et j’essaie de faire valoir mes droits pour avoir le statut. C’est la galère. En général, j’envoie des mails pour me renseigner sur la démarche à suivre. Puis j’introduis ma demande et on me répond à chaque fois qu’il manque des documents.»

© Olivia Sautreuil

Des recommandations peut-être?

«Pour le moment, j’ai plus l’impression d’être face à un organisme de contrôle que face à un syndicat. Je suggérerais que les sociétaires de la FGTB proposent une formation: ‘Comment faire son dossier’. Moi, j’aurais aimé être formé pour savoir. Toutes les semaines, je découvre une nouvelle règle et un nouveau truc à faire.»

Pause cigarette pour une travailleuse de l’intérieur, qui nous offre sans le vouloir un interlude tendresse au téléphone pour calmer le jeu.

«Dis à ton patron à quelle heure tu arrives à Liège. C’est à 8 h 30, je pense que c’est 8 h 30, mon chat. Repose-toi bien. Je sais que c’est embêtant pour toi mon cœur. Je te laisse, mon chat. À tantôt mon cœur… Bisous… Bisous.»

Syndicat rouage administratif ou organe de contestation?

Notre nouveau «client» est venu pour un changement d’adresse lié à un changement de statut. «Pour l’instant, tout va bien avec le syndicat et l’ONEm. C’est une bonne nouvelle.»

Car, apparemment, ce n’est pas toujours le cas…

«On se rend compte de plus en plus que quand on a un problème personnel avec le syndicat, malheureusement, il ne nous aide pas. Il se plie au bon vouloir de l’ONEm, il n’y a pas beaucoup de recours à part le recours juridique.»

Et, au niveau collectif, le rôle du syndicat?

«Malheureusement, je trouve que les syndicats n’ont plus le rôle qu’ils avaient avant.

Ils n’offrent plus d’idée nouvelle. Ils sont toujours contre ce que le gouvernement propose, toujours en opposition. C’est un peu pauvre, mais on en est peut-être là en ce moment. Ça changera peut-être d’ici 20-30 ans, mais on sera sans doute morts.»

Ah. Ces sombres perspectives sont balayées par une intervention plus positive d’un monsieur satisfait. Est-il affilié?

«Depuis longtemps, à 100%. C’est la loi, hein. Voilà il faut être syndiqué si tu es au chômage. C’est pour être payé, c’est pour le dossier.»

Mais les syndicats se battent aussi pour les travailleurs, non?

«Non non, ils sont très gentils.»

Une dame enceinte répond du tac au tac à ma sollicitation.

«Non pas maintenant je suis énervée.»

Moins énervé, mais tout aussi embêté, un homme à la voix calme et posée m’explique sa situation kafkaïenne. L’ONEm lui a envoyé une facture corsée – plus de 15.000 € –, et il aimerait des explications. Voilà trois fois qu’il prend rendez-vous avec le syndicat dans l’espoir qu’un juriste puisse décrypter cette décision pour lui. Il ne comprend toujours pas ce qui lui arrive et conteste cette dette, qu’il estime partiellement infondée.

«Je paie mes cotisations depuis des années et si j’ai un problème naturellement le syndicat devrait m’aider. Je prendrai donc rendez-vous une quatrième fois. Je veux m’assurer que mon problème est bien réel et que je ne peux pas avoir gain de cause au tribunal du travail. Le rôle du syndicat est de nous accompagner sur des aspects juridiques, des aspects du travail qu’on ne connaît pas. Il faut expliquer clairement aux gens quels sont leurs droits. C’est vrai, tout est écrit, tout est mentionné dans les articles, mais personne ne prend le temps de lire. Eux qui sont de la maison ont beaucoup plus d’expérience.»

© Olivia Sautreuil

Amusé, un travailleur de l’intérieur observe notre petit manège et nous raconte. Il travaille comme formateur de français en ISP à la centrale culturelle. On y donne des cours de remise à niveau pour des personnes qui veulent passer des examens d’entrée pour des formations qualifiantes.

Selon lui, «le syndicat mène pas mal de combats, peut-être qu’on n’en parle pas assez. Contre l’augmentation de la vie, pour la défense des salaires».

Tout cela est fort intéressant, mais le temps passe et le sang peine à circuler dans nos doigts. L’heure est venue de fermer boutique. Allez, nous prenons un dernier «client» pour la route, un artiste souriant, venu déposer sa carte de pointage.

«Moi, personnellement, j’ai l’impression que les syndicats ont joué un rôle important à des moments de l’histoire, mais que, maintenant, y a plus de rapport de force. Alors peut-être que ce serait pire pour les travailleurs si les syndicats n’existaient pas, mais d’un autre côté… j’ai eu des copains qui n’étaient pas très convaincus de l’aide qu’on leur apportait pour défendre leurs droits. Le syndicat est devenu une extension de la machine administrative de l’État.»

Il inscrit ses impressions dans une critique plus globale du système.

«Les acquis sociaux sont arrêtés au salariat, mais, au final, le salariat, c’est quand même un rapport de subordination. Alors, lutter, d’accord, mais pour quoi?»

 

«24 heures avec… Neal, délégué syndical à la SNCB», Alter Échos n° 481, février 2020, Luna Macken.

«Être chômeur, c’est faire la queue», Alter Échos n° 477, Alix Dehin, octobre 2019.

«Des syndicats pour tous?», Alter Échos n° 431, octobre 2016, Julien Winkel.

Marie-Eve Merckx

Marie-Eve Merckx

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