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Secret professionnel : comment l’utiliser et pourquoi ?

Le secret professionnel est un outil de travail important pour les professionnels du social. Son utilisation les renvoie directement à leurs missions. C’est sans doute pourquoi il atoujours été problématique. Deux publications récentes le remettent à l’ordre du jour en partant de son cadre juridique, insistant chacune à leurmanière sur le fait que si le secret renvoie chacun à des arbitrages à caractère déontologique ou moral, il est aussi encadré par le droit.

01-08-2005 Alter Échos n° 137

Le secret professionnel est un outil de travail important pour les professionnels du social. Son utilisation les renvoie directement à leurs missions. C’est sans doute pourquoi il atoujours été problématique. Deux publications récentes le remettent à l’ordre du jour en partant de son cadre juridique, insistant chacune à leurmanière sur le fait que si le secret renvoie chacun à des arbitrages à caractère déontologique ou moral, il est aussi encadré par le droit.

1. Secret professionnel : une brochure et un séminaire pour que cessent les bavardages

La cellule « Prospective sociale » du Conseil d’arrondissement de l’aide à la jeunesse de Bruxelles1, confiée à l’AMO Cemo de Saint-Gilles, aproposé un séminaire sur la question du secret professionnel dans le travail social au cours des mois de janvier et février 2003 dans le cadre d’un cours de l’Écoleouvrière sociale (EOS) à Bruxelles. Cet événement s’inscrivait dans la foulée d’une conférence de presse que le CAAJ de Bruxelles organisait le 4décembre dernier pour présenter la brochure2 qu’il a éditée sur le sujet.

La brochure rappelle les principales balises juridiques du secret, qui trouvent leur fondement dans les droits de l’usager. Elle dénonce l’emploi de plus en plus galvaudé del’expression « secret professionnel » dans le sens de « secret professionnel partagé » alors même qu’un secret n’est pas, par définition,à partager.

La notion de « secret professionnel partagé » y est explicitée comme suit : « Le secret professionnel est la règle, le secret professionnel partagé,l’exception. En dehors de conditions strictes, le secret professionnel partagé est une infraction. »

Et la brochure, conçue comme un manuel pratique du secret professionnel, d’énumérer ces cinq conditions :

> n’envisager le partage qu’avec des personnes soumises au secret professionnel ;

> qu’avec des personnes soumises au même secret professionnel, c’est-à-dire poursuivant la même mission ;

> informer de l’usage en précisant ce qui pourrait faire l’objet du partage et avec qui ;

> obtenir l’accord de l’usager ;

> limiter le partage à ce qui est strictement nécessaire.

Ces balises ont elles-mêmes été identifiées à partir de séminaires organisés avec des intervenants durant le premier semestre 2002.

Mise en pratique

Les trois séances qui ont suivi la présentation de la brochure rassemblaient des professionnels du social et les étudiants d’un cours de méthodologie donnépar madame R. Comando à l’EOS. Pour l’enseignante, l’intérêt était également de mettre en contact une fois de plus les étudiants avec le milieuprofessionnel. Il s’agissait aussi de leur permettre d’entendre les travailleurs s’exprimer et discuter sur des problèmes bien concrets de terrain, loin de la théorieet des bancs d’école.

La première séance s’est davantage focalisée sur la brochure en tant qu’outil. Les deux autres séances partaient de cas pratiques au départ desquelsles échanges étaient lancés. L’accent a été mis sur l’importance de se taire, la capacité à résister face aux pressions del’employeur ou de la hiérarchie. Il y a notamment été rappelé que le travailleur peut s’appuyer sur la législation pour informer la hiérarchie deson utilisation du secret. Lors de la première soirée, un témoignage illustrait le poids particulier de l’employeur face au secret, l’emploi de l’intervenantsocial étant mis en jeu.

Les repères juridiques du secret professionnel partagé ont été abordés, tout comme la question du traitement de l’information entre ce quel’intervenant transmet et ce qu’il ne doit pas transmettre.

Les échanges se sont aussi arrêtés sur la délicate question de l’obligation de dénoncer en cas de danger.

Zakia Khattabi, chargée de projet à la Cellule prospective sociale, retient également l’importance pour le professionnel de connaître ses limites personnelles,morales et éthiques, ainsi que d’être capable de les transmettre à l’usager afin que ce dernier sache dans quel jeu il joue.

2. Entre définition juridique et valeurs en jeu dans le secret professionnel : un ouvrage fait le point

« À l’aube d’un nouveau siècle marqué par le développement de la communication et l’échange toujours plus important de donnéesainsi que par l’avènement d’une société de plus en plus technologique où la transparence a été élevée au rang de vertu, le secreta-t-il encore toute sa légitimité ? Le village global estompant les frontières s’accommode-t-il de cette notion de secret ? De manière plus fondamentale, notresociété a-t-elle d’ailleurs encore besoin du secret ? En a-t-elle seulement encore envie ? », peut-on lire dans un ouvrage collectif3 sur le secret professionnelpublié en 2002 à la suite d’un colloque organisé en novembre 2001 par l’Association des juristes namurois4.

Le livre fait voyager le lecteur dans les arcanes juridiques formalisant le secret professionnel, pratiqué dans une variété impressionnante de professions, tout ens’attachant à revenir sur les normes qui encadrent la notion. Il s’articule autour de plusieurs approches au gré des contributions : réflexions sur les fondementsaxiologiques du secret professionnel, description du cadre de la répression pénale et des sanctions attachées à la révélation du secret professionnel,approches particulières par profession et mise en relation du secret professionnel avec des thématiques particulières, comme la violence à l’égard des mineursou les technologies de l’information.

Au départ, le Code pénal

Nombre de professions sont touchées par la question du secret professionnel, régi entre autres par l’article 458 du Code pénal, qui en sanctionne larévélation. La loi en cite d’ailleurs quelques-unes. En effet, une série de personnes exerçant certaines professions sont expressémenténumérées, tels que les proessions médicales, les réviseurs d’entreprises, les agents du service de l’État, les membres des services de laprotection de la jeunesse… Sont évoquées également, sous les termes de « confidents nécessaires », des professions telles que celles d’avocat, deministre du culte… D’autres professionnels sont par ailleurs tenus à un « devoir de discrétion » comme les banquiers, les journalistes.

L’ouvrage approfondit la thématique en liaison avec quelques catégories de métiers. Globalement, les contributions collationnées élargissent les questionsjuridiques aux débats de société.

Parmi celles-ci citons l’article de M. Hirsch et N. Kumps à propos de la loi relative à « la protection pénale des mineurs » et plus particulièrementde l’article 458bis du Code pénal qui autorise le confident à révéler le secret dans certaines conditions en cas de maltraitance de mineurs. « Les divulgationsobligées de l’article 458bis du Code pénal pourraient, selon Michèle Hirsch, avoir pour conséquence de généraliser la déresponsabilisation, depropager une culture de la délation et de banaliser les repères déontologiques. »

Tout n’est pas écrit

Sous le titre « la société a-t-elle encore envie du secret ? », Paul Martens, rapporteur du colloque, conclut les travaux par quelques pages interpellantes. Ilévoque notamment une « querelle pragmatiquement vaine » entre les tenants du secret absolu et les partisans du secret relatif ; ainsi qu’entre les notions de secret, deconfidentialité, de discrétion. Se rapportant au refus du droit de fournir une définition rigide du secret professionnel, il avance l’idée d’une «juridiction intime du confident », le secret professionnel touchant « à la gestion même de sa conscience, faisant partie de ‘l’administration del’intimité’ qui lie le dépositaire et le déposant ». Il termine par ces mots : « Le droit se limitant à un contrôle restreint, c’est unrenvoi internormatif vers la morale qu’il opère. (…) C’est vrai qu’il est plus rassurant d’appliquer des principes qui ne souffrent pas d’exception et delire nos devoirs dans les commandements venus d’ailleurs. Nous avons la phobie des périls imprévisibles et des risques non assurables. Sans doute est-il peu contemporain derenvoyer le sujet à ses responsabilités, de réveiller ce libre arbitre dont nous voudrions tellement qu’il s’endorme dans les bras des autoritéstutélaires pour nous permettre de vivre le risque zéro. (…) voilà le droit qui nous invite à redevenir adulte, lui qui souvent nous infantilise… »

N’est-ce pas une invitation aux professionnels de secteurs confrontés à la problématique du secret professionnel de se concerter pour se doter d’un cadre adaptéà l’évolution de leurs pratiques, et de réfléchir plus largement aux implications des modalités d’application de ce concept ?

1. Cellule « prospective sociale » du Conseil d’arrondissement de l’Aide à la jeunesse (CAAJ) de Bruxelles, rue de Parme, 86 à 1060 Bruxelles –tél. : 02 537 52 34 – fax : 02 537 97 84 – courriel : prospectivesociale@yahoo.fr – contact : Zakia Khattabi,site web : http://www.cemo.be
2. Repères pour le secret professionnel non partagé dans le travail social – visant à aider les travailleurs sociaux à rester discrets face aux demandesd’infos, CAAJ – Projet de prévention général, Bruxelles, 2002. La brochure est presque épuisée mais elle sera disponible sur le site de la DGAJ d’icipeu. http://www.cfwb.be/aide-jeunesse>.
3. Le secret professionnel, sous la dir. de D. Kiganahe et Y. Poullet, coll. « Droit en mouvement », éd. La Charte, 2002.
4. Faculté de droit (Facultés Notre-Dame de la paix de Namur – Fundp), 5 rempart de la Vierge à 5000 Namur – tél. : 081 72 47 94.

Catherine Daloze

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