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Regard critique · Justice sociale

Dès les débuts du confinement, l’accueil de jour pour sans-abri de l’association carolo «Comme chez nous» a été délocalisé dans un gymnase de Marchienne-au-pont. Le Covid-19 «exclut encore davantage» ces publics déjà exclus. Reportage.

Devant le gymnase de Marchienne-au-Pont, de petites grappes d’hommes fatigués, et quelques femmes, se réunissent au soleil. La distanciation et le port du masque ne semblent pas être leur objectif premier. «Leurs priorités, c’est l’hygiène, c’est pouvoir se nourrir, et trouver un lieu où dormir», estime Damien Debaes, responsable du centre d’accueil de jour à l’asbl Comme chez nous, qui accompagne un public sans abri à Charleroi.

L’accueil que prodigue son association, depuis les débuts du confinement, est en tous points exceptionnel. Il a fallu fermer les locaux habituels, au centre de Charleroi, trop exigus pour respecter les consignes sanitaires en ces temps d’épidémie et investir ce hall sportif, à Marchienne-au-Pont, mise à disposition par la commune.

Chaque jour, plusieurs dizaines de sans-abri franchissent les portes, entre 9 et 16 heures, après que leur température ait été contrôlée. On s’y pose pour souffler un peu, manger un repas et prendre une douche. Certains jours de la semaine, la «Washmobile», permet de faire une lessive. «Nous essayons de leur assurer l’accès aux besoins primaires, alors qu’habituellement nous mettons surtout l’accent sur l’accompagnement social», explique Sophie Crapez, la directrice de l’association.

«J’avais commencé des démarches pour trouver un logement. Malheureusement, tout est arrêté.» Marcel, sans-abri

« En rue, on se fait dégager tout de suite »

Dans le gymnase, non loin d’un but de handball, trois personnes d’environ 50 ans, assises autour d’une petite table, échangent avec sérieux. Depuis le début de la crise, ils se retrouvent régulièrement ici, même s’ils ne fréquentent pas quotidiennement le gymnase. «Je viens surtout pour manger, prendre une douche et parler aux autres», explique Albert. Dans sa vie, ces dernières semaines ont été marquées par «la chance et la malchance en même temps. J’ai réussi à trouver un appartement exactement le 13 mars. Donc j’ai un toit. Mais tout ce qui est raccordement à l’électricité, au gaz. Tout est reporté; ça c’est le côté malchance.»

Marcel, assis à son côté, s’estime aussi «veinard», même si le concept est ici mis à l’épreuve. «Car je dors dans un squat, dit-il. Mais j’avais commencé des démarches pour trouver un logement. Malheureusement, tout est arrêté.» Un peu en retrait, il y a Koffie. Il garde ses distances de sécurité. Lui, n’a aucun toit. La nuit, il la passe dans un autre gymnase, un abri de nuit sur le site de La Garenne, établissement secondaire de la commune de Charleroi. En journée, il égrène les minutes, lentement, à Marchienne-au-pont, dans l’abri de jour, «pour ne pas contaminer et ne pas être contaminé. Et aussi parce que cela nous évite de circuler dans la ville». «Car en rue, on se fait dégager tout de suite par la police, ajoute Albert. On ne peut plus être nulle part. On leur explique qu’on n’a nulle part où aller, mais ils ne veulent rien savoir.»

«Nous sommes devenus le lieu de concentration des publics en difficulté.» Sophie Crapez, directrice de l’asbl Comme chez nous

Cet accueil d’urgence en temps de Covid a profondément modifié – et limité – l’approche du travail social de Comme Chez nous. «Depuis que nous sommes ici, nous rongeons notre frein, explique Damien Debaes. Nous ne faisons que de l’accueil, mais nous aimerions faire davantage d’accompagnement social. Or, il est mis entre parenthèses.» Toutes les démarches pour dégoter un logement ou une place en maison d’accueil sont suspendues. Bien sûr, l’équipe de Comme chez nous, composée de salariés et de bénévoles, prend le temps de discuter et d’échanger avec les sans-abri. Mais il est extrêmement difficile de lancer des démarches sociales alors que de nombreux services tournent au ralenti.

« J’ai de très bons anticorps »

A midi, dans le gymnase, toutes les tables sont prises d’assaut. Elles sont à chaque fois espacées de plusieurs mètres. Sous le panneau de basket, un bénévole masqué sert des assiettes bien chargées – fournies par les restaurateurs solidaires carolos – composées de pâtes aux légumes. Des wraps sont distribués, des œufs aussi.

D’habitude, Comme chez nous ne propose pas de repas chaud le midi lors de son accueil de jour. Mais tout a changé depuis la mi-mars. «Le tissu social s’est réduit à peau de chagrin, constate Sophie Crapez. Des lieux d’accueil dédiés à l’accueil des toxicomanes ou des prostituées ont limité leur accueil à des rendez-vous individuels. Les aides des Eglises ou des Mosquées sont interrompues. Alors nous sommes devenus le lieu de concentration des publics en difficulté.»

Parmi les sans-abri, le Covid-19 ne fait pas vraiment peur. «On ne connaît personne de contaminé, et on est habitués aux conditions de vie difficiles», lance Albert. Koffie, lui non plus, ne s’inquiète pas outre mesure. «J’ai de très bons anticorps, tout à fait hors norme», affirme-t-il, générant un sourire amusé chez ses deux comparses.

Pour Damien Debaes, la grande difficulté de ces temps confinés, «c’est que les gens se sentent encore plus exclus que d’habitude». Et puis les sans-abri, avec le confinement, ont perdu leurs maigres sources de revenus: «Ils ne touchent plus le produit de la manche, détaille Sophie Crapez. Il n’y a plus de possibilités de travail au noir. La débrouille en a pris un coup.»

A quelques enjambées du groupe constitué de Koffie, Marcel et Albert, on trouve Ahmed et Mohammed. Ils sont attablés. L’un attend que l’autre ait terminé son immense assiette de pâtes. Ils sont marocains et sans-papiers tous les deux. Leur grand souci, c’est que depuis le 10 mars, ils ne trouvent plus aucun boulot. «D’habitude, on fait un peu de nettoyage, on travaille au noir dans le bâtiment. Là, il n’y a plus rien», dit Mohammed. «On dort à l’abri de nuit quand on peut, car avant on pouvait partager à 4 ou 5 le loyer d’un petit appartement, là c’est devenu impossible», regrette Ahmed qui est en Belgique depuis 10 ans et espère que le gouvernement fera «quelque chose pour les sans-papiers». Souvent l’abri de nuit est plein, alors il n’est pas possible d’y dormir tous les soirs. Il faut alors se glisser, dehors, à l’abri des regards. «La police nous demande toujours pourquoi on est dehors, même s’ils connaissent très bien la réponse.»

Ces vexations du confinement, l’impossibilité de se mettre en projet, la perte des revenus et l’attente qui s’éternise constituent un cocktail potentiellement détonant. «Tout cela amène des tensions» confirme Damien Debaes. La veille de notre reportage, une vaste bagarre avait éclaté dans le gymnase, touchant des travailleurs de l’asbl. Les crispations sont à leur comble. Et chacun espère un déconfinement rapide.

A lire aussi sur le sujet:

«SDF, tous aux abris!», 21 avril 2020, Marinette Mormont.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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