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Regard critique · Justice sociale

Saint-Hubert, patron des enfants pas sages

Le Centre fédéral fermé pour mineurs délinquants francophones s’apprête à ouvrir ses portes à Saint-Hubert.

14-02-2010 Alter Échos n° 289

Alors que les gazettes font grand bruit « du manque de places pour les jeunes délinquants », le Centre fédéral fermé pour mineurs francophoness’apprête à ouvrir ses portes à Saint-Hubert. Situé juste à côté d’une section adulte, il proposera 37 nouvelles places pour desgarçons âgés de 14 à 18 ans.

Il y a des héritages dont on se passerait bien. Quand Évelyne Huytebroeck (Écolo)1 reçoit la casquette de l’Aide à la jeunesse, elle saitqu’elle devra endosser les mesures sécuritaires décidées sous la législature précédente, que cela lui plaise ou non. Assumer dix nouvelles placesfermées créées à l’IPPJ de Wauthier-Braine2, ce n’est déjà pas simple lorsque l’on déclare vouloir miser avant tout surla prévention et mettre en avant « l’image positive des jeunes ». L’ouverture prochaine du centre fermé pour jeunes de Saint-Hubert, c’est encore uneautre paire de manches. Le Centre est censé accueillir les mineurs délinquants francophones alors qu’Everberg deviendra exclusivement néerlandophone. Au total, ce sont 50places qui seront ouvertes à Saint-Hubert : 37 pour les mineurs délinquants et 13 pour des mineurs dessaisis (qui sont actuellement placés dans des prisons pouradultes).

Quand le projet a été mis sur la table, il a suscité un tollé général dans les associations de défense des droits des jeunes. La proximitéimmédiate avec une prison semi-ouverte pour adultes – dont certains délinquants sexuels – les inquiétait particulièrement : y aurait-il des contactsvisuels, sonores ou physiques entre adultes et mineurs ? Allait-on cloisonner complètement l’aile destinée aux jeunes ? Autre écueil de taille : Saint-Hubertest situé à 135 kilomètres de Bruxelles et 150 kilomètres de Mons. Or le centre est censé accueillir majoritairement des jeunes en provenance de Bruxelles et duHainaut. Comment garantir que les familles, les avocats, les intervenants sociaux se déplacent régulièrement avec de telles distances à parcourir ? D’aucunsavaient également soulevé un élément plutôt d’ordre symbolique : à l’origine, la prison de Saint-Hubert était la premièremaison pénitentiaire spécialisée pour mineurs en Belgique. Créée en 1844, elle avait été contrainte de fermer ses portes un siècle plus tard,à la suite des scandales de mauvais traitements sur les enfants…

Des mesures palliatives pour corriger le tir

« Ces critiques restent d’actualité, reconnaît Bénédicte Hendrick, conseillère Aide à la jeunesse au cabinet Huytebroeck. Nous avonsapporté des solutions qui ne peuvent être que palliatives à partir du moment où le centre existe. Pour ce qui est de la proximité avec la prison adulte, nous pouvonsassurer qu’il n’y aura aucun contact entre les deux publics : un grillage et une protection spécifique permettent de cloisonner les deux ailes. Quant au problème del’éloignement, nous avons augmenté le staff de l’équipe pédagogique en tenant compte de cette question. Des chauffeurs sont également prévus pourfaire les navettes entre la gare la plus proche et le centre. Ce service sera offert aux familles, aux travailleurs sociaux et aux avocats qui rendent visite aux jeunes. » Bien conscientqu’il est impossible de résoudre complètement cet écueil, le Centre mettra aussi sur pied des permanences pour les avocats. « Lorsque le jeune devra se rendre enaudience au tribunal nous avons également prévu de lui permettre de partir une heure plus tôt afin qu’il puisse rencontrer son avocat avantl’audience. »

On se souvient que la ministre Fonck avait également scellé un accord avec le ministre de la Justice Jo Vandeurzen3 pour la construction d’un centre fermépour mineurs à Achêne disposant de 120 places supplémentaires. Ce projet est, selon l’actuelle ministre de l’Aide à la jeunesse, « gelé». « Pour nous, ce n’est plus à l’ordre du jour. Il n’est pas impossible que le ministre de la Justice décide d’ouvrir Achêne pour desadultes primo-délinquants mais, de notre côté, nous ne souhaitons pas de places supplémentaires pour les mineurs à ce stade. Nous voulons d’abord faire uneévaluation de ce qui existe et voir si toutes les possibilités sont utilisées au mieux avant d’investir dans de nouvelles places fermées. Dès qu’il y aun acte de délinquance médiatisé, la presse parle de placements en IPPJ. Or tous les jeunes ne sont pas forcément des mineurs, d’une part. D’autre part, lejuge a à sa disposition onze mesures face à un jeune qui vient de commettre un fait qualifié d’infraction : l’enfermement en section fermée ne doit êtrequ’une mesure de dernier recours4 », poursuit Bénédicte Hendrick. « Si l’on parle d’arrachage de sac, faut-il d’embléeexiger le placement ? Il ne nous appartient pas de décider des sanctions, mais il est évident que l’on ne peut pas enfermer tous les jeunes. » Selon laconseillère, s’il existe bien un engorgement au niveau des placements, il n’y en a pas dans les Spep (les services de prestations éducatives ou philanthropiques)chargés de mettre en œuvre les mesures alternatives. Des projets expérimentaux comme les stages de rupture (voir page 14) sont aussi à l’examen : l’idéemaîtresse étant qu’il ne faut pas seulement sanctionner un jeune qui a dérapé dans la délinquance, mais aussi lui permettre de s’investir dans un projetde réinsertion et restaurer sa confiance en lui. Pour ceux qui seront enfermés à Saint-Hubert, l’alternative à la réinsertion n’est pas trèsloin : elle se trouve juste de l’autre côté des grillages.

Plongée ethnographique en centres fermés

Alice Jaspart5 est à la fois anthropologue et criminologue. Elle vient de boucler une thèse de doctorat à l’Université libre de Bruxelles sur lethème de L’enfermement des mineurs poursuivis par la justice. Ethnographie de trois institutions de la Communauté française. La chercheuse n’a pashésité à se plonger concrètement dans la réalité de l’enfermement, passant de trois à quatre mois dans chaque institution : les IPPJ deBraine-le-Château et de Fraipont, ainsi que dans l’une des sections francophones d’Everberg. Alice Jaspart plante le décor : « La fer
meture de Saint-Hubert, dansles années ’50, avait mis un terme aux institutions en régime fermé, côté francophone. Pendant des années, les défenseurs des droits de l’hommeont réussi à empêcher la réouverture de ce genre de lieux. Mais à la fin des années ’70, les politiques ont estimé qu’il fallait une solutionadaptée pour les mineurs ayant commis des faits très graves. On a donc créé dix premières places en régime fermé à Braine-le-Château. Laconstruction a même été précipitée à la faveur d’un fait divers très médiatisé à Courcelles, en 1981. »

Enfermer les mineurs n’est donc pas toujours allé de soi. Certes, l’article 53 de la Loi de 1965 sur l’Aide à la jeunesse prévoyait, en casd’infractions graves, la possibilité d’envoyer des mineurs en maison d’arrêt pour une durée de 15 jours. Condamnée par la Cour européenne desdroits de l’homme, la Belgique a été contrainte d’abroger l’article. Dans la foulée, elle a adopté la loi de 2002 dite « Everberg »sur le placement des mineurs. « Avec Everberg, il y a un retour du fédéral dans des matières a priori communautaires, même s’il y a bien sûr desaccords de coopération entre les entités. Selon mes observations, Everberg est quand même très proche du modèle pénitentiaire pour adultes. Les jeunes quej’ai interviewés ne s’y trompent d’ailleurs pas : les uns disent qu’ils sont en IPPJ, les autres qu’ils sont en prison. » Si elle s’estplongée dans cet univers « sans a priori, sans jugements de valeur », l’anthropologue a noté que la gestion temporelle et spatiale du centrefédéral fermé était beaucoup plus stricte, beaucoup plus axée sur le sécuritaire. « Le cadre laisse très peu de souplesse, il est doncextrêmement difficile de créer du lien avec les jeunes ou d’approfondir les aspects pédagogiques. Le temps est minuté. »

De l’analyse des paroles des jeunes, elle note également que le passage par de telles institutions peut être stigmatisant pour la suite de leur parcours. Le volet protectionnelet éducatif doit permettre à ces jeunes de se reconstruire à travers des projets de vie. « Mais beaucoup de ces jeunes ne rêvent plus. Ils sonthyper-conformistes ou très réalistes par rapport à leur parcours. Ils doivent chercher une école, une formation, un lieu de vie mais avec leur CV, ils ont beaucoup de malà trouver des places dans de bons établissements. » Et quand le champ des possibles se réduit à peau de chagrin, il ne reste bien souvent que le choix de lamédiocrité.

1. Cabinet d’Evelyne Huytebroek :
– adresse : rue du Marais, 49-53 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 517 12 00
– site : http://evelyne.huytebroek.be
2. Une nouvelle section fermée avec dix places a été inaugurée en janvier de cette année à l’IPPJ de Wauthier-Braine.
3. Voir Alter Échos nº 262. « D’Everberg à Achêne, les nouvelles prisons pour jeunes ».
4. Pour la Communauté française, les mesures de placements pour les mineurs délinquants peuvent s’effectuer dans l’un des cinq IPPJ – Braine-le-Château,Wauthier-Braine, Jumet, Fraipont pour les garçons et à Saint-Servais pour les filles – ou au centre fermé de Saint-Hubert. Cela représente 106 places enrégime fermé et 144 places en régime ouvert.
5. Alice Jaspart, campus du Solbosh, CP 137, av. F.D. Roosevelt, 50 à 1050 Bruxelles.

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