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Réforme du règlement Dublin II : un texte qui divise

Dublin III succède à Dublin II pour la répartition des demandeurs d’asile sur le sol européen.

28-09-2012 Alter Échos n° 346

Le règlement « Dublin II » répartit les demandeurs d’asile en Europe. En commission, le Parlement européen a voté en faveur d’un texte de réforme. Certains y voient des progrès, d’autres déplorent une occasion manquée de tendre vers plus de solidarité.

Ils n’avaient pas trop apprécié les deux premiers épisodes. Pas certain que les demandeurs d’asile aiment le troisième. Le règlement européen Dublin II va laisser place à Dublin III. La Commission Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures du Parlement européen a voté à une large majorité un texte de compromis issu de quatre longues années de discussions avec la Commission et le Conseil des ministres de l’Union européenne.

Pour rappel, ce règlement organise la répartition des demandeurs d’asile au sein de l’Union. Pour éviter le « shopping de l’asile » – c’est-à-dire que des demandeurs d’asile introduisent des demandes dans plusieurs Etats – l’Union européenne a inventé le règlement « Dublin ». La règle du jeu est la suivante : le premier Etat européen qui a été traversé par un aspirant réfugié sera l’Etat responsable de l’examen de la demande. Si un ressortissant Afghan arrive en Belgique via la Bulgarie… alors c’est la Bulgarie qui devra établir si cette personne peut devenir réfugiée. La Belgique organisera le « transfert » de la personne vers le pays concerné en ayant souvent recours à la détention.

Dublin II a pris du plomb dans l’aile

Très vite, ce règlement a montré des failles. De nombreuses associations l’ont critiqué. En effet, pourquoi organiser une répartition des demandeurs d’asile en Europe alors que les procédures d’asile restent encore très différentes, n’offrent pas les mêmes garanties et que l’accueil des demandeurs d’asile, dans certains Etats, est déplorable ? Comment garantir dans ce contexte que le demandeur obtiendra une protection ?

Dublin II a pris du plomb dans l’aile ces dernières années. La Cour européenne des droits de l’Homme, par exemple, a condamné la Belgique pour avoir renvoyé un demandeur d’asile Afghan vers la Grèce… où les demandeurs d’asile avaient de grandes chances de subir des « traitements inhumains et dégradants ». De plus, de nombreux Etats, à commencer par les Etats du sud de l’Europe – souvent situés sur les routes migratoires – réclamaient une refonte du règlement. Car du fait de leur situation géographique, ces Etats se retrouvent à examiner de très nombreuses demandes d’asile. Ils demandaient plus de solidarité.

Quelques points saillants du nouveau Dublin

  • Certaines garanties procédurales sont introduites, comme le droit à un entretien individuel pour le demandeur d’asile, le droit à l’information ou à l’assistance juridique… mais sous certaines conditions.

 

  • Droit à un recours effectif. Les demandeurs d’asile peuvent introduire un recours contre la décision de transfert. Mais il n’est pas automatiquement suspensif.

 

  •  Détention : l’usage de la détention d’un demandeur d’asile sera limité à 3 mois

• Création d’un mécanisme d’alerte précoce. La Commission européenne avait initialement proposé que soit mis en place un mécanisme de suspension temporaire du règlement Dublin lorsque la situation est ingérable dans certains pays. Au final, pas de mécanisme de suspension, mais un système d’alerte précoce. L’idée étant d’anticiper les « dysfonctionnements dans les systèmes d’asile nationaux » : en gros, lorsqu’une crise majeure dans l’accueil des demandeurs d’asile se profile ou lorsque de trop grands dysfonctionnements dans le système d’asile apparaissent. Une surveillance européenne est donc mise en place.

Verre à moitié vide, verre à moitié plein

Il aura fallu quatre ans pour que l’Europe accouche d’une réforme. Comme toujours, dans de pareils cas, la réforme divise. Du côté des associations, certaines voient le verre à moitié vide, d’autres le verre à moitié plein.

Kris Pollet, de l’association Ecre (European council for refugees and exiles) souligne les éléments positifs de cette réforme : « Qu’il s’agisse du droit à l’information ou du droit à un entretien individuel, il y a des garanties claires. Les Etats devront désormais interviewer les demandeurs d’asile pour qu’ils expliquent pourquoi ils pensent que leur demande d’asile devrait être prise en considération. Il y a aussi des avancées sur la protection des mineurs non accompagnés demandeurs d’asile. L’intérêt supérieur de l’enfant devient un principe général. »

Des éléments contrebalancés par des points négatifs : « L’usage de la détention est clairement un point négatif. Certes, il y aura une durée maximale de détention : trois mois. Mais cela reste long pour des demandeurs d’asile qui ne devraient pas être détenus. Quant à la solidarité entre Etats, il n’y a rien qui change. Cependant, le mécanisme d’alerte précoce pourrait être intéressant s’il était élargi à toutes les politiques européennes d’asile. » Et le recours contre une décision de transfert, sera-t-il suspensif ? « C’est typiquement un compromis européen nous dit Kris Pollet. Il n’y a pas d’effet suspensif automatique, mais la personne peut demander de suspendre une décision de transfert. C’est la cour qui se prononcera sur la nécessité de suspendre. En théorie les Etats ne peuvent pas expulser tant que la Cour ne s’est pas prononcée. C’est très compliqué et on se demande comment cela va fonctionner. Tout dépend de l’aide juridique qui sera offerte. Et là, dans le nouveau règlement Dublin, on touche à un point négatif. Les Etats pourront refuser l’aide juridique gratuite à un demandeur d’asile si une cour estime que le recours n’a aucune chance d’aboutir. »

Un texte qui contiendrait donc certaines avancées pour les demandeurs d’asile. Des avancées qui pourraient bien s’avérer théoriques. De nombreux acteurs s’interrogent en effet sur l’applicabilité de ces nouvelles dispositions. Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste française, dans un communiqué de presse « salue les améliorations » de ce texte mais « regrette la grande latitude d’interprétation laissée aux Etats membres. »

Des renvois toujours possibles

En Belgique, le Ciré se fait plus critique. Caroline Intrand, experte des questions européennes, reconnait qu’il y a eu « quelques changements sur les modalités d’application du texte », mais déplore un nouveau règlement « dans la même veine que le précédent, qui ne répond pas aux graves dysfonctionnements pointés du doigt depuis des années et reste basé sur la présomption que les Etats européens offrent des garanties équivalentes en matière de droits humains ».

Elle constate que le recours contre la décision de transfert dans un autre Etat européen n’est toujours pas suspensif de plein droit. De ce fait, le renvoi vers des pays européens où les demandeurs d’asile pourraient subir des traitements inhumains et dégradants (comme en Grèce ou en Hongrie…) auront toujours cours. « Quant à la détention des demandeurs d’asile, ajoute-t-elle, en l’encadrant, on l’institutionnalise un peu plus. Enfin, le débat sur la solidarité entre Etats membres est évité comme celui sur la solidarité avec les populations en demande de protection. On évite de bouger sur ce qui risquerait de faire changer le système vers un réel respect des droits fondamentaux des demandeurs d’asile. »

Vote en séance plénière : début 2013.

En savoir plus

Ecre:
– adresse : rue Royale, 146 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 234 38 00
– courriel : ecre@ecre.org
Cire :
– adresse : rue du Vivier, 80 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 629 77 10
– cire@cire.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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