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Qui sont les responsables «radicalisme»?

Pour s’attaquer au radicalisme, les communes bruxelloises ont créé un nouveau poste: «responsables radicalisme». Les premiers fonctionnaires viennent d’entrer en fonction à la Ville, à Molenbeek et à Schaerbeek. Mais le flou subsiste sur cette fonction encore inédite.

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Pour s’attaquer au radicalisme, les communes bruxelloises ont créé un nouveau poste: «responsables radicalisme». Les premiers fonctionnaires viennent d’entrer en fonction à la Ville, à Molenbeek et à Schaerbeek. Mais le flou subsiste sur cette fonction encore inédite.

Ils sont quelques dizaines d’adolescents à avoir décidé, un jour, d’abandonner la Belgique pour mener une guerre sainte en territoire inconnu. Officieusement, on les estime à 300. Peut-être 350. Si certains ont été embrigadés et recrutés pour prendre les armes, la plupart des Belges s’aventurant sur le terrain du djihad se sont autoradicalisés seuls via les réseaux sociaux, et surtout via Facebook. Mais quand le phénomène est apparu voici plus d’un an, à Bruxelles, les autorités se sont trouvées fort démunies. D’autant plus que l’image que la société se fait du combattant parti mener le djihad en Syrie s’apparente souvent à un jeune sans emploi, délinquant, «tenant les murs de sa cité». Or, l’exemple de Maxime Hauchard, Français de 22 ans, originaire de l’Eure et arrivé en Syrie en août 2013, montre une tout autre réalité. On peut non seulement avoir une situation professionnelle convenable, mais aussi avoir reçu une éducation stricte et se radicaliser. Comment prévenir ce phénomène s’il n’y a pas – ou très peu – d’engrenage via des réseaux islamistes, implantés en Belgique et recrutant à la sortie des mosquées?

Avant de quitter ses fonctions, l’ex-ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet, a imaginé une série de mesures susceptibles de «prévenir et de réprimer» les comportements radicaux. Parmi lesquelles une «Task Force Syrie», qui réunit notamment des représentants de l’OCAM (Organe de coordination pour l’analyse de la menace), de la Sûreté de l’État, du SGRS (renseignement de l’armée), du parquet fédéral, du centre de crise et de la police. L’organe se réunit une fois par mois depuis mars 2013. Dans la foulée, l’ex-ministre a permis à certaines communes de recruter un fonctionnaire chargé de coordonner «la lutte et la prévention contre le radicalisme». Pour les inciter à créer le poste, un subside de 40.000 euros leur est accordé. À condition, pour la commune, d’avoir conclu un contrat de sécurité avec le SPF Intérieur.

Six mois après Anvers, Gand, Malines et Vilvorde, la Ville de Bruxelles et Schaerbeek ont désigné leur premier «M. Radicalisme» en octobre. Molenbeek-Saint-Jean, aussi, vient d’engager son nouveau fonctionnaire. Mais le flou subsiste sur cette fonction encore inédite. Et malgré nos demandes, il nous a été refusé d’interviewer ces nouveaux fonctionnaires. «Pour des raisons de sécurité évidentes», glisse une attachée de presse. «Par souci de discrétion et par refus de stigmatisation», avance un chef de cabinet. «Tout simplement parce qu’il est encore trop tôt. Le fonctionnaire prend à peine ses marques», s’excuse Françoise Schepmans, bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean.

Rôle de prévention

Ce sont les communes elles-mêmes qui déterminent le profil recherché, ainsi que les missions. Si Schaerbeek a recruté un universitaire bilingue, diplômé en sociologie, la Ville a engagé un candidat «déjà actif dans la prévention, une personne qui a l’expérience des quartiers». À Schaerbeek, le «responsable radicalisme» est attaché au fonctionnaire de prévention. À la Ville de Bruxelles, il a été engagé par l’ASBL Bravvo (Bruxelles Avance – Brussel Vooruit), qui dépend directement du collège échevinal et qui centralise la politique de prévention.

Comment ces fonctionnaires composent-ils avec les services de prévention déjà en place et les acteurs de proximité? Remplissent-ils une fonction de policier? Interrogée au sujet des mesures pour lutter contre la radicalisation, la bourgmestre de Molenbeek, Françoise Schepmans (MR), précise qu’une cellule a été mise en place pour surveiller les habitants de la commune soupçonnés d’être partis combattre pour les djihadistes: «Jusqu’à présent, Molenbeek comptait sur sa ‘cellule radicalisme’, à savoir deux inspecteurs de police actifs sur cette problématique», précise-t-elle. Engagé à la mi-octobre, le responsable radicalisme a à peine eu le temps d’effectuer un tour des différents interlocuteurs. «Il devra suivre de près les situations telles qu’elles existent sur le terrain, déterminer les profils des personnes susceptibles d’être embrigadées dans les mouvances radicales, éventuellement cartographier les endroits où ces recrutements ont lieu, mais surtout se poser comme interlocuteur des familles et des associations de terrain», explique la bourgmestre.

Vision similaire à la Ville de Bruxelles. «Le poste consiste principalement en de la prévention et de la coordination», indique le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Yvan Mayeur (PS). «Sa mission est de dresser un regard global sur la situation dans les quartiers, de rassembler et de partager les informations pour agir à l’égard de ceux qui souhaitent partir ou, de manière plus préventive, pour éviter toute contamination du radicalisme, explique Yvan Mayeur. Mais il n’est pas là pour résoudre les problèmes.» À la Ville, un groupe de travail a été mis sur pied, il y a quelques mois, réunissant plusieurs partenaires: l’asbl Bravvo, en charge de la politique de prévention de la Ville, le CPAS, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, la Sûreté de l’État, plusieurs services de l’administration communale et la police. Ce fonctionnaire – qu’il nous a été refusé d’interviewer – «sert essentiellement d’interface entre ces différents services».

Un phénomène aveugle

S’il est acquis que ce «responsable radicalisme» ne remplit pas une fonction de policier, un certain flou subsiste néanmoins. Sans autorisation du parquet, la police ne peut transmettre aux autorités communales les noms des personnes à risque. Or qu’adviendra-t-il si le fonctionnaire en question est au courant de certaines informations sensibles? «Pour des raisons déontologiques, toutes les infos qu’il récolte sont centralisées chez le bourgmestre», indique Yvan Mayeur. Et d’admettre à demi-mot: «Si les assistants sociaux sont soumis au secret professionnel, ce n’est pas le cas des agents de prévention… Ils ont le devoir de signaler les cas suspects à la police.»

Agents de la prévention et forces de police, chacun selon leurs méthodes et leur déontologie, sont donc embarqués dans le même bateau? Une vision pas forcément partagée par le bourgmestre de Schaerbeek, Bernard Clerfayt (FDF): «Bien entendu, les contacts avec la police sont fréquents. Mais la mission de ce fonctionnaire, ce n’est pas de faire du flicage ou du travail d’enquête. Il y a une séparation absolue entre les acteurs de la prévention et la police.» Et d’insister: «Il y a une espèce de psychose qui part de la Flandre, mais sur la commune de Schaerbeek, le risque est réduit à une dizaine de personnes. Dès lors, ce fonctionnaire n’a pas de profil répressif, mais il est là pour effectuer un travail de proximité et de prévention.» Bernard Clerfayt plaide pour une approche intégrée de la lutte contre les radicalismes, «pas seulement islamistes». En se basant sur des expériences initiées à l’étranger, il entend ainsi associer les écoles, le secteur associatif, les maisons de quartier à la prise en compte de ce phénomène. «Le radicalisme est un phénomène aveugle qui ne se passe pas dans les mosquées. Au contraire: c’est le fruit de personnes qui s’isolent de la société et qui recrutent essentiellement sur internet, loin des groupes organisés, insiste Bernard Clerfayt. La question qui se pose, pour nous, communes, c’est de savoir comment articuler un travail très précis, sans stigmatiser.»

Rafal Naczyk

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