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PIIS pour tous : le scénario du pire?

Malgré les mises en garde des associations et des CPAS, le ministre MR de l’Intégration sociale a décidé d’imposer à tous les nouveaux bénéficiaires du revenu d’intégration un «projet individualisé d’intégration sociale», poétiquement appelé PIIS. Willy Borsus n’a pas suivi les recommandations d’une étude qu’il avait lui-même commanditée. Au-delà de l’impact social qu’aura le PIIS, ce choix politique risque de mettre à mal la philosophie même de la loi sur les CPAS en réintroduisant dans l’aide sociale le pouvoir arbitraire des politiques locales.

Malgré les mises en garde des associations et des CPAS, le ministre MR de l’Intégration sociale a décidé d’imposer à tous les nouveaux bénéficiaires du revenu d’intégration un «projet individualisé d’intégration sociale», poétiquement appelé PIIS. Willy Borsus n’a pas suivi les recommandations d’une étude qu’il avait lui-même commanditée. Au-delà de l’impact social qu’aura le PIIS, ce choix politique risque de mettre à mal la philosophie même de la loi sur les CPAS en réintroduisant dans l’aide sociale le pouvoir arbitraire des politiques locales.

Un contrat d’activation sociale contraignant pour tous les usagers du CPAS… Du côté associatif, c’est la stupeur et l’indignation. Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), avec une dizaine d’autres associations et les syndicats, a même organisé une manifestation le 25 avril pour s’y opposer. La Fédération wallonne des assistants sociaux des CPAS (Féwasc) déplore, elle, le choix du gouvernement fédéral» et parle de «scénario du pire» à propos de la généralisation du PIIS.

[do action= »citation »]Certains CPAS font du PIIS un outil d’accompagnement social, d’autres un moyen de pression sur l’usager pour tester sa «disposition au travail».[/do]

Pour rappel, cette forme d’activation sociale n’est pas une nouveauté puisque les usagers de moins de 25 ans y sont déjà soumis. Mais le projet de loi du ministre de l’Intégration sociale va l’étendre à tous les bénéficiaires du revenu d’intégration dès le 1er septembre. Il sera obligatoire et son non-respect sera sanctionné d’un mois de retrait du revenu d’intégration (trois mois en cas de récidive). Pour répondre aux objections (classiques) des CPAS sur le manque de moyens humains et financiers, Borsus promet une augmentation de 10% du taux de remboursement du revenu d’intégration sociale (RIS) pendant un an au maximum. Ce que certains ne manquent pas de percevoir comme un moyen de pression évident sur les travailleurs sociaux. Comment s’opposer au PIIS sans se sentir pris dans un chantage financier de la part de son employeur?

Le projet de loi pose des questions fondamentales aux CPAS en tant qu’institution. Pour baliser (peut-être) la réforme, le SPP Intégration sociale avait commandé une étude sur les pratiques actuelles des centres en matière de PIIS et sur l’impact d’une éventuelle généralisation de ce dispositif à tous les bénéficiaires du RIS. Ses auteurs Abraham Franssen (Université Saint-Louis) et Kristel Driessens (Karel de Grote Hogeschool) ont d’abord constaté la diversité des politiques d’activation sociale menées par les CPAS. Certains font du PIIS un outil d’accompagnement social, d’autres un moyen de pression sur l’usager pour tester sa «disposition au travail». Et s’il se dégageait un consensus sur l’utilité du PIIS pour les moins de 25 ans, ce n’était plus le cas lorsqu’il s’agissait de l’étendre d’office à tous les bénéficiaires. Dans leurs conclusions, les auteurs de l’étude ont estimé que cette généralisation était risquée, compte tenu «des divergences de philosophie, de pratiques et de politiques entre les 589 CPAS du pays». Pour ces experts, une extension éventuelle du PIIS à des fins d’activation sociale devait en tout cas être «découplée» de l’octroi ou du maintien du revenu d’intégration et de la possibilité de sanctions financières qui seraient «éthiquement peu défendables et éthiquement contre-productives».

Willy Borsus n’a pas tenu compte de ces recommandations. Pas plus que celles des CPAS qui ne voulaient pas d’un dispositif contraignant. Sa seule concession: les CPAS pourront motiver l’impossibilité d’imposer un PIIS à un usager pour des raisons de «santé et d’équité». De quoi s’interroger sur le poids politique des CPAS. Et sur l’utilité des processus de concertation avec ceux-ci.

[do action= »citation »]«On ne peut pas dire qu’il y ait eu, chez le ministre, une prise en compte des conclusions de cette étude. Et pour ce qui est des sanctions, il va même à l’encontre de ce qui était proposé.» Abraham Franssen, professeur de sociologie à l’Université Saint-Louis et auteur de l’étude sur le PIIS[/do]

Abraham Franssen, professeur de sociologie à l’Université Saint-Louis et auteur de l’étude sur le PIIS, n’est pas vraiment étonné par l’attitude du ministre. «J’ai l’impression que la décision était prise d’avance», dit-il. Au sein des CPAS, il n’y avait pas une opposition de principe au PIIS mais une volonté de mettre des balises. «De ce point de vue, on ne peut pas dire qu’il y ait eu, chez le ministre, une prise en compte des conclusions de cette étude. Et pour ce qui est des sanctions, il va même à l’encontre de ce qui était proposé.»

Qui pour défendre les usagers?

Plusieurs CPAS n’ont pas attendu le projet de loi pour élargir le PIIS aux autres usagers. Mais le contenu de ce dispositif varie fort d’un centre à l’autre. «Le contenu des PIIS n’est pas défini par la loi. C’est source d’arbitraire et de grandes différences de traitement d’un CPAS à l’autre, d’un assistant social à l’autre», relève Bernadette Schaeck pour l’aDAS (Association de défense des allocataires sociaux). Pour Abraham Franssen, «c’est la grosse difficulté dans toutes les réformes touchant les CPAS: les divergences d’usage, de moyens et de philosophie. Certains CPAS ont une logique très sanctionnante». Le PIIS fait l’objet d’un contrat avec des obligations formelles et peut même servir de prétexte pour décourager les demandes d’aides. C’est vrai dans les trois Régions du pays.

Les disparités entre CPAS ne vont pas se résorber avec ce projet de loi. «Dans l’avant-projet, analyse Abraham Franssen, les CPAS restent libres des contenus qu’ils mettent dans le PIIS.» On peut exiger de l’usager qu’il «ramène cinq offres d’emploi» comme on peut l’encourager à participer à une activité d’utilité sociale. Le texte de loi ne dit rien non plus quant à la manière d’apprécier les démarches du bénéficiaire du RIS. «Dans la recherche, nous avions fait des remarques sur l’absence d’équilibre dans le pouvoir de négociation entre l’usager et le CPAS. Rien dans le projet de loi ne va dans le sens d’un rééquilibrage Le professeur de sociologie constate que le «glissement» accru d’un régime de sécurité sociale vers l’assistance «crée une catégorie à part, déliée des débats de négociations. C’est un chantier qui s’ouvre pour les organisations syndicales, qui défendent les demandeurs d’emploi et les accompagnent devant les tribunaux du travail. Ce champ social, celui des usagers des CPAS, devient important mais reste peu investi du point de vue de la défense de leurs droits sociaux».

[do action= »citation »]Autre grief: l’introduction du «service communautaire» dans le projet de loi, sans aucun doute la disposition la plus controversée.[/do]

Les CPAS pourront sanctionner les usagers qui ne respectent pas le contrat imposé. Certains ne s’en privent déjà pas aujourd’hui. Mais les sanctions prononcées par les CPAS restent marginales et forcément limitées dans le temps car après… il n’y a plus rien. Pour Abraham Franssen, «prononcer des sanctions sur la base de l’attitude de l’usager, c’est la porte ouverte à l’arbitraire. Alors que, historiquement, la progression du CPAS a été de sortir de cet arbitraire. En passant de la CAP (caisse d’assistance publique) de la commune au CPAS, en consacrant le droit à vivre dans la dignité, on avait fait progresser le droit. Ici,
avec le PIIS, le pouvoir discrétionnaire revient. On est davantage dans le traitement symbolique des inclus que dans l’accompagnement des exclus
»
. C’est aussi la crainte des assistants sociaux. Le PIIS, dit la Féwasc, c’est «la réintroduction d’une appréciation locale et subjective du droit à l’intégration sociale». Un curieux cadeau d’anniversaire pour le 40e anniversaire de la loi organique des CPAS.

Du welfare au workfare

Autre grief: l’introduction du «service communautaire» dans le projet de loi, sans aucun doute la disposition la plus controversée. Dans l’étude, 72% des CPAS estimaient que ce service ne devait pas être obligatoire. Dans le texte de loi, il ne l’est pas mais il fait partie intégrante du PIIS, qui le sera. «Le caractère volontaire est donc parfaitement illusoire», estime Bernadette Schaeck. Pour échapper aux contrôles de recherche active d’emplois, l’usager sera fortement incité à «l’accepter sur une base volontaire et c’est la porte ouverte vers un travail salarié non rétribué».

Pour Abraham Franssen, le concept de service communautaire ouvre une brèche, «idéologiquement dangereuse» vers le «workfare», soit la mise au travail (même non rémunéré) pour «mériter» ses allocations. Dans le service communautaire, on pourrait ranger des activités sociales (faire du théâtre, participer à un potager collectif), qui sont productrices de liens sociaux. «Mais en les intégrant dans le PIIS, l’esprit est totalement dévoyé. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce service communautaire soit repris dans le projet de loi. Son caractère obligatoire n’a pas de sens.» C’est aussi ce qu’estime la Féwasc: «Cela revient à banaliser l’absence d’emplois et à institutionnaliser une forme de sevrage moderne.»

La recherche a-t-elle montré des divergences entre les CPAS du Nord et du Sud? «La recherche était demandée par le SPP Intégration sociale, rappelle Abraham Franssen. Le SPP, instance fédérale, a la hantise de voir apparaître des clivages communautaires. Une recherche précédente sur la question de l’activation sociale avait montré des sensibilités différentes entre le Nord et le Sud. Mais ici, à mon grand étonnement, j’ai constaté des divergences très fortes entre CPAS wallons et entre CPAS bruxellois. Une lecture communautaire serait donc abusive même si on sait que, du côté francophone, on fait généralement preuve de plus de vigilance critique. Pour les anciennes générations en tout cas.»

[do action= »citation »]«Les CPAS doivent dire clairement ce qu’ils acceptent ou pas et mettre des balises puisque le projet de loi ne le fait pas. Les obstacles techniques sont une ligne de défense faible.» Abraham Franssen, professeur de sociologie à l’Université Saint-Louis et auteur de l’étude sur le PIIS[/do]

Un clivage générationnel? Des professeurs dans les écoles sociales nous avaient déjà dit leur malaise à ce sujet1. Le professeur de sociologie confirme. «Dans les rencontres qualitatives, ce critère était sensible. Les travailleurs sociaux de plus de 40 ans sont plus critiques à l’égard de l’activation sociale que les jeunes. Il y a même un profond décalage.» Abraham Franssen ajoute cependant qu’il faut se garder de tout jugement moralisateur du style «c’était mieux avant». «Avant, il y avait aussi cette tendance à abandonner des usagers à leur sort, de ne s’occuper que des ‘bons’, de ceux qui peuvent prendre leur sort en main. Les dispositifs d’activation sociale peuvent apporter un bénéfice subjectif: recréer du lien, sortir de l’isolement. Estimer qu’un CPAS doit s’occuper de tous ses usagers est aussi une démarche intéressante.»

Vide de contenu?

En déposant son projet de loi, Willy Borsus semble avoir pris de court les CPAS. Comme pour le rapport social électronique, il n’y a pas eu de réelles négociations et il n’a pas été tenu compte de leur avis. Mais quel avis? Celui-ci s’exprime souvent sous la forme d’objections techniques (pas assez de moyens, charges supplémentaires). Pour Stéphane Roberti, président du CPAS de Forest et membre de l’Association de la ville et des communes de la Région bruxelloise, «derrière ces protestations ‘techniques’, il faut voir une prise de position politique plus présente qu’autrefois». Les CPAS bruxellois remettent en cause la contractualisation de l’aide sociale, assure-t-il. «C’est perçu comme une mise sous tutelle insupportable des usagers.»

Le message est-il vraiment si clair? Pour Abraham Franssen, les CPAS ont une responsabilité en termes de prises de position publiques. «Ils doivent dire clairement ce qu’ils acceptent ou pas» et «mettre des balises puisque le projet de loi ne le fait pas. Les obstacles techniques sont une ligne de défense faible. Il est légitime qu’une institution cherche à obtenir plus de moyens mais, ici, ce n’est pas seulement une question de nombre de travailleurs sociaux.» La question fondamentale reste le sens même que l’on donne aux mots «intégration sociale». Pour que le PIIS soit efficace, estime Abraham Franssen, il faut que le CPAS ait accès à des offres (externes) en matière de formation ou d’articles 60. «Des CPAS disposent de ce réseau, d’autres (et c’est la majorité) n’ont rien à offrir. Le PIIS est alors vide de contenu. Pour certains usagers, il est tout aussi évident que leur imposer un PIIS n’a aucun sens. Et s’il n’existe aucun tissu qui permette au moins la reliance sociale, on est dans l’incantation, la posture idéologique.»

 

1. Lire Alter Échos n°421, «Avis de tempête sur le travail social», Martine Vandemeulebroucke, avril 2016

Aller plus loin

Lire sur www.alterechos.be l’interview de Luc Vandormael, président de la fédération des 262 CPAS de Wallonie : «En matière de violence sociale, nous sommes au niveau 4 permanent», 8 janvier 2016, Pierre Jassogne.

«Les CPAS au bord de l’asphyxie», Alter Échos n°421, avril 2016 (dossier)

Martine Vandemeulebroucke

Martine Vandemeulebroucke

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