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Regard critique · Justice sociale

Panpan Culture

«Petit Samedi» : un documentaire accro à l’amour

«Petit Samedi» est le premier film documentaire de la toute jeune Paloma Sermon-Daï. Sélectionnée au Festival International Francophone de Namur, la réalisatrice a remporté ce 9 octobre, le Bayard d’Or du Meilleur film ainsi que le Prix Agnès. 

09-06-2021

Publié le 16 octobre 2020.

C’est l’histoire de Damien Samedi, un toxicomane de 43 ans qui essaye de s’en sortir, et de sa mère Ysma, aimante et réconfortante. Ces deux personnages aux visages marqués et aux voix fragiles nous transportent dans leurs conversations les plus intimes: parfois drôles, parfois pesantes, souvent attachantes. Filmé par succession de plans fixes, le duo se retrouve la majeure partie du temps dans la cuisine et le salon de la maison familiale namuroise. C’est là que les langues se délient. Les rires, les silences, les soupirs, le désarroi s’entremêlent avec pudeur. Et puis, il y a ces scènes dans la chambre de Damien qui reviennent comme un leitmotiv dans le film. De dos, le fils accomplit son rituel quotidien. Assis, il se courbe sur une table basse et inhale profondément une substance avant de se laisser tomber en arrière tel un sac de plomb. Plongé dans les méandres de sa pensée, le quarantenaire disparaît un temps de la caméra, laissant le spectateur face à une pièce envahie par des volutes de fumée d’héroïne, en suspend… Une addiction impitoyable qui se révèle lors des séances chez la thérapeute. Quand Damien tente, à plusieurs reprises, d’arrêter, il lui confie qu’«[il] ne sait plus faire la bise», qu’«[il] ne sait plus contrôler [ses] mouvements», qu’«[il] ne sait plus aller travailler». Et puis, ce constat glaçant, quand le manque se transforme en «surplus d’émotions», une déferlante de sensations indomptables alors «que la consommation [permet de fermer] tous les capteurs d’émotions». 

Recherche désespérément Damien

Et Ysma dans tout ça, que fait-elle? Elle, dont le quotidien est rythmé par la présence ou l’absence de son fils. L’attente, les messages laissés sur le répondeur, l’anxiété qui monte. Sans nouvelles, elle arpente le village à la recherche de Damien. Elle interroge un groupe de jeunes, en leur décrivant «son gamin». «Mais quel âge a-t-il votre fils Madame?», demandent les ados incrédules. Car, oui, un homme de 43 ans n’est plus un enfant. Mais n’est-ce pas ce que fait sans le vouloir Ysma, infantiliser son fils? En prenant soin de lui, en lui donnant de l’argent, en le faisant rire pour adoucir son état, en gardant l’espoir pour deux, en lui préparant son CV. Lui qui est pourtant un travailleur acharné. Mais qu’aurait-elle dû ou pu faire d’autre? «Et si tu m’avais mis à la porte, tu ne crois pas que je m’en serais mieux sorti?», une réplique cinglante, terrible pour une mère. Mais non. Elle n’a pas pris le risque de le perdre à tout jamais. Quand son amie Martine lui suggère de «laisser l’oiseau quitter le nid», Ysma acquiesce sans conviction. Ne dit-il pas lui-même à sa psy – à l’instar d’un enfant – «qu’[il] a fait une bêtise» en tombant dans la drogue… Cet amour inconditionnel est loin d’être à sens unique. Damien veille aussi sur sa mère en allant la voir pour lui demander obsessionnellement si elle n’est pas malade. Des dialogues aussi amusants que surréalistes. «Quand je serai morte, je viendrai te chatouiller par les pieds pour que tu prennes soin de toi.»

Une mise à nu familiale

Ce lien fusionnel rappelle celui des enfants uniques avec leurs parents, mais Damien est au contraire issu d’une grande fratrie comptant Grégory, Quentin, Riol et… Paloma. Eh oui! La petite dernière du clan est la réalisatrice du film et à l’origine de cette initiative. C’est courageusement qu’il a accepté la proposition de sa sœur, de dévoiler son intimité dans le but d’aider les gens comme lui. Et puis Paloma Sermon-Daï s’est vite aperçue que Damien était plus à l’aise quand leur mère n’était pas loin. C’est ainsi qu’Ysma est entrée dans le champ de la caméra. Une femme téméraire, malicieuse, émouvante, débordante d’amour et qui, surtout, se remet en question. Pour les diriger, la réalisatrice les a laissés libres d’improviser en leur donnant uniquement des exemples de conversations ayant déjà eu lieu. Le documentaire, à la base sur la toxicomanie, a évolué vers une histoire, à la fois belle et douloureuse, de deux battants. Petit Samedi est un hommage et une déclaration d’amour bouleversante et pudique d’une jeune femme pour son frère et sa mère, dans l’espoir de changer les mentalités et de soutenir ceux et celles qui vivent le même enfer que Damien Samedi. Une réalisatrice à suivre de très près.

Petit Samedi, documentaire 75′, réalisé par Paloma Sermon-Daï, produit par Michigan Films, https://vimeo.com/388201992allonie Image Production (WIP), Take Five.

Sortie en salles le 9 juin 2021 au Cinéma Palace (Bruxelles) et le 30 juin à Liège (Grignoux) et Namur (Caméo).

Prix du BAYARD D’OR DU MEILLEUR FILM et Prix AGNÈS au Festival du Film Francophone de Namur (FIFF).

 

Mélanie Huchet

Mélanie Huchet

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